Tunisie : Jalloul Ayed, «Une commission a été chargée de démanteler les réseaux de la contrebande qui détruit l’économie du pays»

jalloul-ayed-wmc-1.jpgJalloul Ayed serait-il le ministre des Finances providence pour la Tunisie de la Transition? Ce mélomane averti, auteur de trois symphonies, “Magador”, “Hannibal Barca” et “Parfum de Jasmin”, met ses «notes» financières et recrée les monde de la banque et de la finance dans la Tunisie nouvelle comme le pianiste qu’il est lorsque, devant son piano, il pense, réfléchit, médite, avant de mettre sur papier sa vision de la nouvelle finance en Tunisie.

Non, ce n’est pas qu’un rêveur, musicien au regard perdu dans ses symphonies, il a de la vision et veut que la Tunisie en profite. «Parce que la Tunisie mérite mieux».
Entretien

WMC: Qu’en est-il du projet de la refonte totale de la fiscalité? D’autant plus que la Tunisie figure, aux dires des spécialistes, parmi les pays où il y a le plus grand taux d’imposition de par le monde?

Jalloul Ayed: Ce n’est pas vrai, la Tunisie n’a pas un taux très fort d’imposition. Ceci dit, notre fiscalité a plus besoin d’une réforme que d’une refonte qui est plus radicale. La réforme me semble nécessaire dans le contexte actuel. Nous devons recadrer la fiscalité pour qu’elle soit un outil qui favorise la réussite du plan économique et social du pays.

Elle fera partie d’un plan de réformes très ambitieux qui visera en premier lieu à lutter contre le chômage, encourager les investissements et remédier aux déséquilibres régionaux.
Comment s’articuleront ces réformes et surtout la fiscale?

Cette réforme doit correspondre aux orientations économiques de la future Tunisie; elle doit soutenir le nouveau programme d’investissements. Comme tout le monde le sait, le moyen le plus sûr de lutter contre le chômage, c’est l’investissement. Elle doit également répondre à un impératif tout aussi important, à savoir la distribution équitable des ressources et dans le même temps répondre aux exigences d’une orthodoxie et un équilibre financiers devenus aujourd’hui nécessaires pour le pays. Le but est qu’il n’y ait plus de dérapages et à aucun niveau.

Lorsque vous parlez de distribution équitable des richesses, que voulez-vous dire au juste?

J’ai parlé d’une distribution équitable de ressources. En ce qui me concerne, je suis très favorable à l’instauration d’un management participatif, d’un système de rémunérations avantageux, qui engage plus les employés dans les intérêts de leurs entreprises et les rend plus impliqués et plus concernés par sa réussite. Des salariés actionnaires, il n’y a rien de plus utile pour une entreprise qui veut percer. Ce modèle a réussi surtout dans les pays anglo-saxons et il faudrait l’appliquer dans notre pays pour améliorer les performances des entreprises.

Sur un tout autre volet, j’estime que l’allocation plus juste des ressources sur le plan régional, c’est-à-dire spatiale, est indispensable tout comme le renforcement des investissements dans les régions les moins nanties.

Réduire le gap entre les différentes régions figurera certainement parmi les priorités de n’importe quel gouvernement en Tunisie, en réallouant une bonne partie des investissements dans les régions.

Quel sera le rôle du secteur privé à ce niveau?

Le secteur privé sera un principal acteur de la dynamisation des investissements dans les régions. A ce propos, le Fonds d’investissements (générationnel) que nous comptons mettre en place, même s’il utilise comme mise initiale des fonds de l’Etat, sera appelé à travailler uniquement avec le secteur privé.

Un fonds générationnel, c’est quoi exactement? Il servira à financer des projets publics, des infrastructures, à soutenir les privés?…

Pourquoi cette appellation tout d’abord? Parce que c’est un Fonds qui appartient à l’Etat et qui, par le truchement de certains leviers mis en place par l’Etat, encouragera les privés à tous les niveaux et dans tous les secteurs économiques à lancer de grands projets. C’est un Fonds «Equity» de fonds propres qui va donner une plus grande force de frappe aux investisseurs privés pour leur permettre de lancer leurs projets. Ce qui se traduit par la création de postes d’emplois et de valeurs qui seront réinvesties dans ce Fonds et ainsi de suite. C’est un Fonds perpétuel d’investissements et de réinvestissements, et toutes les richesses qui seront créées seront réinvesties.

Le Fonds générationnel, dont la mise initiale est publique, est appelé à travailler uniquement avec les privés. Il a la particularité d’accorder aux privés les meilleures conditions d’investissement en fonds propres et constitue la meilleure garantie pour nos enfants. Il sera approuvé incessamment. Il devrait rassurer tous ceux qui s’inquiètent à propos de la dette publique et ses conséquences sur l’avenir des futures générations grâce à l’investissement en fonds propres. Il apporte les réponses à leurs appréhensions.

C’est un fonds en capital et pas en dettes. C’est ce qui manquait à la Tunisie. Car, dans un projet économique, il y a deux composantes essentielles, les fonds propres et les crédits. Dans notre pays, nous avons mis en place des structures financières compétentes comme les banques pour tout ce qui est des crédits mais nous n’avons pas réellement de grands véhicules d’investissements. Ce gouvernement a lancé deux véhicules importants d’investissement qui sont la Caisse de dépôts et de Consignation, qui exige une capacité d’investissement qui dépasse celle du privé et qui ne respecte pas les critères d’acceptation des privés en matière de rendement et de taille. Le gouvernement a déjà approuvé la création de cette Caisse.
La Caisse de dépôts et de consignation était depuis longtemps sur la table en Tunisie?

Le plus important était de la créer. Maintenant c’est du concret et c’est ce gouvernement qui l’a fait. Nous n’avons pas recréé la roue, elle existe ailleurs, mais il fallait passer à l’acte. Par contre, le Fonds générationnel est une création tout à fait tunisienne. Pour vous donner une idée, ce Fonds pourra d’ici quelques années pourvoir à un million d’emplois.

Quels sont, selon vous, les principes de la restructuration bancaire et financière qui ont besoin d’un coup de fouet pour se mettre au diapason des standards internationaux et assurer leur rôle en tant que moteurs de l’économie et du développement dans le pays?

Pour revenir au fonds générationnel, il y a la partie “Capital“ qui sera assurée grâce à la création de ce fonds, et d’autres qui créeront, pour leur part, d’autres fonds. Ce sont des fonds d’investissement qui professionnalisent les métiers d’investissement. Lorsque nous disons investissement, nous désignons également le capital, parce que tout seul, le capital ne servira pas à grand-chose…

La question la plus importante aujourd’hui est de savoir si le système bancaire tunisien peut accompagner le programme ambitieux d’investissements? Jusqu’à un certain niveau, oui mais ce n’est pas sûr qu’il y arrive de bout en bout. D’où l’importance de lancer au plus vite des réformes concomitantes au plan de relance de l’économie tunisienne.

Quelles sont vos priorités pour ce qui est des réformes?

La réforme du secteur financier, la réforme fiscale, la réforme de l’administration et de l’appareil de l’Etat et la réforme de la justice, ce qui instaurera des traditions de transparence et de bonne gouvernance. Ce sont des réformes nécessaires que nous sommes actuellement en train d’initier, et nous espérons que le prochain gouvernement continuera sur nos pas.

Dans le même temps, nous avons commencé à travailler car la Tunisie ne peut pas attendre. Nous devons nous atteler au travail régulier et non circonstanciel.

Pour revenir aux réformes du secteur financier, je commencerai par dire que nous nous attaquerons au marché des capitaux; un point positif à ce propos, nous commencerons à zéro et nous n’aurons pas à restructurer. Nous pouvons développer un marché obligataire dynamique pour investir dans des projets de longue haleine. Concernant le système bancaire, nous pouvons considérer qu’il tourne bien mais la Tunisie mérite mieux. Le système ne peut pas prendre uniquement sur lui la responsabilité des financements. La première chose à faire est la restructuration des grandes banques publiques, l’incitation des banques privées à se mettre en pôles et de mettre la barre très haut tant au niveau de la gouvernance, de la technologie, que du système d’information ou des produits et de services. Nous allons mettre une sorte de benchmark sur ce que nous attendons des banques, la consolidation des fonds propres sans négliger les règles prudentielles et la gestion plus rationnelle des dettes subordonnées. Nous pousserons les banques à créer des champions nationaux. Leurs bases de fonds propres actuels ne pourraient pas leur permettre de financer des grands projets dans le pays. Des rapprochements pourraient donc se faire. Nous comptons nous y atteler au niveau des banques publiques.

Le rapprochement des banques publiques a suscité pas mal de remous lorsqu’il a été décidé, il y a une année, notamment la fusion entre la STB/BH. Vous revenez à la charge?

Dans tout projet de convergences, il y a certains points sur lesquels on peut s’entendre. Dans des cas pareils, il faut restructurer, nettoyer, assainir pour que, s’il y a mariage, il se réalise dans les meilleures conditions. Ceci étant, nous pouvons commencer par baliser le terrain, en commençant par harmoniser les grands principes de gouvernance, de gestion des risques, les systèmes d’information, la gestion bilancielle. Nous devons commencer par-là, en tout état de cause, qu’il y ait fusion, rapprochement ou pas. Nous ne pouvons pas créer un champion national handicapé.

Concernant la Commission de gestion créée au sein du ministère pour gérer les entreprises confisquées, comment comptez-vous vous y prendre pour que leurs actifs ne perdent pas de la valeur? Et ne pensez-vous pas qu’il faut plus de réactivité?

Nous avons été réactifs. La Commission de gestion ne gèrera pas les actifs, elle est en charge des portefeuilles. Nous avons d’ores et déjà commencé à assurer la gestion des entreprises en question. Chaque société ou groupe aura sa propre stratégie et sa propre gestion.

Les mandataires judiciaires restent…?

Ceux qui sont compétents et qualifiés pourront assurer le management des entreprises appartenant aujourd’hui à l’Etat. D’ailleurs, certains d’entre eux souhaitent en prendre la responsabilité.

L’Etat compte-t-il les céder ou les mettre sur le marché? Ou cela serait-ce au nouveau gouvernement de le faire?

Le nouveau gouvernement sera lui-même transitoire. J’estime qu’il faudrait encourager des introductions en Bourse. Pour celles qui ne seront pas mises à la vente, il faut les mettre en portefeuille; pour les autres, les entreprises industrielles, il faut considérer les meilleures conditions et mise en Bourse.

Le commerce parallèle détruit notre tissu industriel, comment comptez-vous y parer?

C’est un grand problème, mais il accompagne le désordre qui suit les révolutions. Il y a eu beaucoup de résidus des anciens produits qui étaient importés de manière illégale. Pour ce qui est des produits de consommation courante, j’ai donné des instructions claires à mes collègues de la douane pour qu’ils sévissent. Nous allons créer une commission avec les responsables de la douane et ceux du ministère de l’Intérieur pour dépister les contrebandiers, leurs commanditaires et démanteler les réseaux pour arrêter le mal à la racine. Nous sommes très conscients du mal que ces pratiques font à notre économie.