Saïgon, Alger, Tunis, fin(s) de règne(s) ou passation(s) des pouvoirs… 1963, 1992, 2011

Par : Tallel

Le dicton populaire veut que «l’histoire ne se répète jamais, elle bégaie» !
Quoi qu’il en puisse être, force est de constater que c’est dans bien les vieux
pots que l’on fait les meilleures soupes. Qu’est-ce à dire concrètement?
Simplement que lorsque le mécontentement éclate dans une population, les
véritables maîtres du pouvoir ont tôt fait de reprendre les choses en main.

C’est, en tout cas, ce que l’on a pu observer au Sud Viêt-Nam en 1963, en
Algérie en 1992 et c’est ce qui vient, apparemment, de se produire en Tunisie. À
chaque fois qu’un régime pro-américain est mis en difficulté par des
manifestations populaires, à chaque fois que la marionnette de Washington est
usée, elle est, rapidement, remplacée par une autre, à l’issue d’un (plus ou
moins) habile tour de passe passe.

Petit retour en arrière. En 1963, Ngô Dinh Diêm, président du Sud Viêt-Nam, qui
était au pouvoir depuis 1955 avec l’aval du protecteur états-unien, fut renversé
par un coup d’État militaire mené par le général Duong Van Minh dit «Big Minh»
avec le soutien de la CIA. Diêm, catholique dans un pays majoritairement
bouddhiste, était parvenu à faire l’unanimité contre lui. Lorsque, en signe de
protestation contre le régime, des bonzes s’immolèrent par le feu, la fameuse
«Madame Nhu», belle-sœur de Diêm, qualifia ces actes de «barbecue», ce qui
provoqua un scandale fatal à la famille Diêm.

Le 11 janvier 1992, en Algérie, alors que le FIS (Front Islamique du Salut)
était en passe de remporter les élections, la nomenklatura MALGache[1]
algérienne s’empara brutalement du pouvoir, avec le soutien de ses petits
camarades de l’establishement militaire français. Résultat de ce pitoyable
wargame: une bonne décennie de guerre civile, aux métastases encore actuelles
(voir, entre autres, l’Aqmi)…

Quant à la Tunisie, il suffit de rappeler que c’est une zone de tensions depuis
bien longtemps: dès la fin des années 1970, le pouvoir de Bourguiba apparaissait
comme usé et des pions étaient déjà mis en place, en particulier un certain Zine
el-Abidine Ben Ali. Celui-ci après avoir fait St-Cyr et suivi le cours de
l’école d’artillerie de Châlons-sur-Marne partit parfaire sa formation aux
États-Unis à la Senior Intelligence School de Fort Holabird (Maryland), école US
de la barbouzerie kakie. À son retour en Tunisie, il épousa en 1964, Naïma,
fille du général Kefi et fut nommé chef de la Sûreté militaire. Sans trop de
problème, nous retrouvons l’ambitieux officier à la tête de la Garde nationale,
en 1977.

Les tensions sont particulièrement importantes dans la zone à cette époque.

Au début de janvier 1980, à l’occasion de la première rencontre à Tripoli des
Comités révolutionnaires libyens en Europe, le commandant Jalloud soulignait que
«le révolutionnaire engagé qui œuvre pour les masses prend l’initiative de la
violence révolutionnaire».

Quelques jours plus tard, le 26 janvier 1980 se produisit le «coup de Gafsa»:
300 membres de l’Armée de libération tunisienne dirigés par Kasdi Merbah
s’emparèrent de la ville de Gafsa qui ne fut reprise par l’armée tunisienne
qu’au bout de deux jours de combats, au prix de dizaines de morts et de
centaines de blessés.

Les années 80 furent l’occasion d’une ascension fulgurante pour Ben Ali qui
devint chef de la Sûreté nationale en 1984, poste qu’il cumula avec celui de
ministre de l’Intérieur en 1986, et enfin Premier ministre en 1987, ce qui lui
permit de remplacer Bourguiba en novembre 1987: «the right man in the right
place», pour reprendre l’adage anglo-saxon.

Les gouvernements français successifs soutiennent subrepticement ces régimes
comme le prouvent par exemples les ventes massives de blé à ces pays: l’Algérie
vient de nous acheter 350.000 tonnes de blé, la Tunisie, quant à elle, 100.000
tonnes, ce qui permet aux régimes locaux de maintenir le prix du pain à un
niveau acceptable. Dans le même temps, notre énarchie[2] nous explique que le
stock de blé de la France est tombé à moins de DEUX millions de tonnes ce qui
correspond à 25 jours de consommation et que, par la force des choses, le prix
du pain va donc, en France, augmenter de 4 à 5 centimes (le coût du blé
représente environ 5% du prix du pain!). Autrement dit, les Français doivent
donc se serrer la ceinture pour favoriser le maintien au pouvoir des
kleptocraties[3] en place au Maghreb !

Des régimes qu’apprécient, curieusement, les autorités internationales comme le
montre le satisfecit dithyrambique que le patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn,
accordait encore au régime tunisien, le 18 novembre 2008:«Je m’attends à une
forte croissance en Tunisie cette année, la politique économique adoptée ici est
une politique saine et constitue le meilleur modèle à suivre pour de nombreux
pays émergents. Le jugement que le FMI porte sur la politique tunisienne est
très positif et je n’ai pas de crainte pour l’année prochaine. En Tunisie, les
choses continueront de fonctionner correctement».

Quant aux media français, ils se distinguent, as usual, par leur absence totale
de professionnalisme et de sérieux. Comme en 1992, ils nous ont resservi la même
antienne à peine modifiée: si «le FIS arrive au pouvoir, des centaines de
milliers d’Algériens vont se réfugier en France», devenant «si Ben Ali reste,
des centaines de milliers de Tunisiens vont venir ici». Abracadabra! Curieuse
posture, en tout cas, de la part de mass media qui, d’habitude, nous affirment
que l’immigration est une «bonne chose pour la France». À quoi riment de tels
cris d’orfraie ? Plus symptomatique, en l’espace de deux jours, Ben Ali est
passé du statut de «rempart contre l’islamisme» (mention «Bien», dans la vulgate
mondialiste) à celui de «dictateur» («Pas bien du tout»). Sic transit gloriam
maghrebi!

Quant à la «révolution populaire» que certains d’entre eux évoquent, en parlant
de «Gavroche», de 1830 comme le fait Laurent Joffrin dans le journal anarcho-capitaliste
Libération, rappelons lui qu’après Charles X, est arrivé au pouvoir Louis
Philippe Ier, l’idole des milieux d’affaires. Mais cette mention, Laurent
Joffrin n’est peut-être pas aussi naïf qu’il veut le laisser croire, est-elle si
innocente que cela? Le nouvel homme à la tête de la Tunisie, pour le moment,
Mohammed Ghannouchi est notoirement connu pour ses très bonnes relations avec le
FMI, dans la mesure où il participé à de nombreuses négociations avec les
institutions financières internationales et l’Union européenne. Difficile,
cependant, d’en faire, pour autant, un perdreau de l’année: le personnage est,
tout de même membre du Bureau exécutif du Rassemblement constitutionnel
démocratique (RCD, le parti benaliste au pouvoir) depuis 2002, et en est devenu
l’UNIQUE vice-président le 5 septembre 2008.

Notons, par ailleurs, que le nouveau costume taillé à Ben Ali (dictateur) n’est
pas sans risques pour l’intelligentsia française. Celle-ci a, de longtemps, été
familière des fêtes et des prébendes de la kleptocratie benaliste. Ceci sans
parler des rives de la défunte Carthage souvent utilisée à des fins, peu
discrètes, de tourisme sexuel, hétéro et/ou homosexuel. Dans le cadre de
l’avènement d’un régime authentiquement populaire voyant le jour en Tunisie –ce
que nous souhaitons sincèrement à ce peuple– qu’adviendra-t-il des éventuelles
requêtes judiciaires (demandes d’interrogatoires, d’extraditions, etc.) que
pourrait être légitimement amené à adresser à Paris un (ou plusieurs) magistrat
du peuple tunisien?…

Note(s) :

[1] L’actuelle nomenclature militaire au pouvoir à Alger est issue du MALG – le
ministère de l’Armement & des Liaisons générales, soit le Service de
Renseignement (SR) de l’ALN, ancêtre de la Sécurité militaire (SM), puis du
département du Renseignement & de la Sécurité (DRS). D’où MALGache.

[2] L’immense majorité des hauts fonctionnaires français et de la classe
politique hexagonales sont issus de l’Ena (École nationale d’admninistration),
sorte d’État dans l’État.

[3] Terme généralement usité pour qualifier les gouvernements algériens
successifs, depuis l’éviction de Ben Bella, mais qui s’applique, sans trop de
difficulté à la plupart des pays du pourtour méditerranéen.

Source :
http://www.geostrategie.com/2948/saigon-alger-tunis-fins-de-regnes-ou-passations-des-pouvoirs