Affaire Kerviel : déboucler ou ne pas déboucler, telle était la question

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érôme Kerviel arrive à son premier jour de procès contre la Société Générale au tribunal correctionnel de Paris le 8 juin 2010. (Photo : Jacques Demarthon)

[11/06/2010 06:30:17] PARIS (AFP) Jérôme Kerviel laisse entendre que la Société Générale a cherché à se débarrasser sans discernement des 50 milliards d’euros d’engagements qu’il avait pris, aggravant de manière spectaculaire ses pertes finales, alors que la banque met en avant le risque de faillite.

Dimanche 20 janvier 2008, au petit matin, la poignée de responsables mobilisée en urgence finit par remonter le fil et découvre que le trader a engagé la Société Générale à hauteur de 49 milliards d’euros, selon les témoignages de salariés de la banque versés au dossier.

Le PDG Daniel Bouton donne ordre de tout vendre en trois jours et d’annoncer la fraude supposée le jeudi matin.

La banque appelle alors d’urgence l’un de ses traders star qui va devoir se défaire seul des “futures”, les produits financiers achetés par Kerviel, manoeuvre aussi appelée “débouclage des positions”.

La perte théorique atteint alors 1,2 milliard d’euros, déduction faite du 1,5 milliard gagné par Jérôme Kerviel à fin 2007, selon les témoignages.

A l’ouverture des marchés le lundi, les Bourses baissent, sur fond d’inquiétudes sur les banques, mais il faut vendre à tout prix.

Au fil de la journée, les indices plongent, ce qui aggrave la perte potentielle. Le phénomène s’auto-entretient.

“Le fait de vendre massivement, ça a eu un impact sur le marché. La perte est liée à ça”, estime un vendeur d’actions sous couvert d’anonymat.

Les produits financiers achetés par M. Kerviel sont appuyés sur trois indices boursiers, notamment les indices phares des Bourses de Londres (Footsie) et de Francfort (Dax).

Or, le Dax et le Footsie terminent la séance du lundi sur leur plus forte baisse depuis le 11 septembre 2001. L’essentiel des engagements est liquidé en trois jours, mais dans un bain de sang. La perte n’est plus de 1,2 milliard, mais de 4,9 milliards.

Dans son livre, Jérôme Kerviel fustige la stratégie de la banque et affirme que le trader lui a confié que les positions avaient été débouclées “de façon porcine, n’importe comment”.

“Cinquante milliards d’euros sur des marchés comme ceux-là, le tuyau n’est pas assez large, donc il y a une pression trop importante qui fait tout écrouler”, juge le vendeur d’actions, pour qui “il n’y a aucune finesse dans la manière dont ça a été traité”.

Mais selon le marché des produits dérivés Eurex, cité dans le dossier, “au regard de leur taille particulière, les positions ont été débouclées de manière très professionnelle”.

M. Bouton a assuré que “la perte aurait pu être un multiple de ce que nous avons perdu”.

Lors de l’audience de jeudi, l’accusation a produit un document qui indique que même si la banque avait attendu pour déboucler la position, elle aurait nécessairement dégagé une perte, de 4,2 milliards d’euros au minimum.

A l’inverse, la perte aurait pu, à plusieurs reprises, dépasser dix milliards d’euros, ce qui aurait pu précipiter la banque vers un dépôt de bilan ou un rachat en urgence.

Un document que la Société Générale n’avait pas versé au dossier, ce qui a provoqué la colère de l’avocat de Jérôme Kerviel, Olivier Metzner.

“A aucun moment, je n’avais fait le clic de souris qui aurait généré de semblables pertes”, estime M. Kerviel dans son livre, avançant que la banque aurait pu attendre une stabilisation des marchés pour vendre.

“La réaction à avoir, c’était de couper les positions (vendre, ndlr) et pas se dire: je vais attendre un peu, peut-être que ça va remonter”, affirme Pierre-Antoine Dusoulier, président de Saxo Banque et ancien trader.

“Il n’y avait pas de bon scénario”, dit-il.