Walid Joumblatt : “Economique, l’élan souverainiste est mal perçu dans les instances financières internationales”

De tous les hommes politiques libanais, c’est sans doute l’un
des plus énigmatiques, des plus imprévisibles, disent ses détracteurs, sous
l’apparence d’une simplicité bonhomme. Drôle, brillant, rapide, il est le
véritable chef d’orchestre de la Révolution du Cèdre, qui a obligé l’armée
syrienne à plier bagage après l’assassinat du Premier ministre Rafik Hariri en
2005.

Bon vivant, facile d’accès, consensuel, ceux qui militent à ses côtés l’adorent
et le portent au pinacle. Animal de campagne, inépuisable parleur, solide coup
de fourchette, il est le baromètre de l’échiquier politique beyrouthin et
demeure, en dépit du déficit numérique de ses coreligionnaires druzes par
rapport à la poussée démographique des autres communautés, l’interlocuteur
obligé des puissances régionales et internationales, soucieuses d’apaiser le
chaudron libanais.

A l’image de son père, Kamal Joumblatt, figure légendaire de la gauche arabe,
compagnon de route de la résistance palestinienne dans son ultime repli
libanais, qui a érigé l’hospitalité et l’ascétisme en mode de vie, Walid Bey
nous a aimablement reçu dans son domicile au Clémenceau, au cœur de Beyrouth et
a bien voulu commenter pour nous l’actualité locale et régionale et l’euphorie
perceptible des milieux financiers après la victoire de son camp lors des
dernières élections législatives.

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: Un commentaire sur l’issue du scrutin du 7 juin 2009…

Walid Joumblatt : Nous avons certes gagné les élections et le Hezbollah et
ses alliés ont publiquement reconnu leur défaite, mais l’atmosphère
délétère, confessionnelle et haineuse de la campagne électorale me laisse un
arrière-goût d’amertume et de défiance. Pour s’étriper, les leaders des
communautés sunnites et chiites ont ressorti du placard un arsenal
sémantique vieux de 1.400 ans, réveillant de la sorte les vieux démons de la
grande discorde, ce qui a obligé leurs partenaires (chrétiens, druzes…) à se
positionner avec le même registre agressif.

Comment expliquez-vous l’alliance de Walid Joumblatt, adhérent à
l’Internationale socialiste avec Saâd Hariri, symbole du capital mondial
prédateur ?

Je ne suis pas à une contradiction près. Issu d’un milieu bourgeois à
caractère fondamentalement féodal, je défends, fidèle à une tradition
ancestrale, les intérêts d’une communauté montagnarde, déshéritée, en marge
des circuits économiques prospères qui ont fait la fortune des maronites et
des sunnites depuis des lustres. Cela dit, mon alliance actuelle avec le
chef du courant du futur Saâd Hariri s’explique tout d’abord par la
dimension sociale de l’héritage politique de son père, les impératifs
géopolitiques à la suite de l’assassinat de Rafik Hariri et l’espoir de voir
le fils continuer l’œuvre de son géniteur, un grand bâtisseur, soucieux du
sort du Liban, toute confessions confondues, des marginaux et des
laisser-pour-comptes de la croissance.

Vos partenaires de la majorité ont brandi le slogan «Liban d’abord». Qu’en
pensez-vous ?

Il s’agit d’un slogan stupide, isolationniste, contraire au rôle
traditionnel d’un Liban ouvert, réactif, intégré dans son environnement
arabe et terre de rencontre entre l’Orient et l’Occident. D’ailleurs, sur le
plan économique, l’élan souverainiste étriqué est mal perçu dans les
instances financières internationales qui ont toujours prôné l’émergence des
pôles de développement régionaux, le maillage entrepreneurial au delà des
frontières et la libre circulation des biens et des personnes, loin des
replis identitaires et des réflexes protectionnistes.

Est-ce que le PSP (parti socialiste progressiste à majorité druze), naguère
pilier du mouvement national libanais, demeure encore à gauche de
l’échiquier politique ?

Le PSP, émanation de la pensée de Kamal Joumblatt, est un parti à l’origine
foncièrement laïque, anti-confessionnel, attaché à la cause des opprimés et
combattant, de ce fait, les dérives du capitalisme sauvage, compradore, qui
a déferlé au Liban depuis des décennies avec la complicité, à l’époque, de
l’élite politique maronite, sûre d’elle et dominatrice. Seulement, avec
l’invasion israélienne en 1982 et les conséquences de la guerre de la
montagne, consécutive au retrait de l’Etat hébreu du Chouf, le paysage
politique libanais s’est confessionnalisé à outrance et le PSP est devenu, à
son tour, druze, recroquevillé sur les intérêts immédiats de la communauté.

Toutefois, je suis déterminé, dans un proche avenir, à restructurer le PSP
sur le double plan idéologique et intellectuel, à ressusciter l’héritage
culturel du parti, fondé sur la défense du secteur public, la suppression
des privilèges relatifs au communautarisme et la lutte contre les inégalités
tout en tenant compte du dynamisme millénaire du secteur privé qui a façonné
le visage du Liban depuis des lustres.