Pleins feux : «General Motors-Gate», textiles tunisiens, actionnaires insatisfaits et du chic sans le choc…

What is good for GM is good for America! Oublié, ce cri de
guerre ! Comment l’industrie automobile américaine s’est mise off-truck,
littéralement hors de la voie pour en arriver à sacrifier son enseigne fétiche,
ce totem de son invincibilité, sur l’autel du credo libéral ? Mauvais présage
pour la relance économique mondiale. Une fois encore, comment s’est-on laissé
surprendre ?

Le lundi 1er juin, panique à Detroit et séisme mondial, GM emblème d’entre tous
de la suprématie industrielle américaine, déposait le bilan en se rangeant sous
le chapitre 11 de la loi sur les faillites, l’équivalent de notre loi sur les
entreprises en difficulté. Le lendemain, mardi 2 juin, avec Citicorp, première
banque commerciale du monde, elles se font retirer de l’indice boursier de Wall
Street, le Dow Jones. Les autorités agitent une faible lueur d’espoir. A
l’instar de Chrysler, qu’on annonce requinquée après être passée par là, GM
pourrait se relever dans deux à trois mois. Son plan de restructuration qui
consiste à céder ses filiales pourrait la remettre sur pied. Mais l’argument ne
pèse pas lourd. Chrysler est une firme nationale. GM, avec son network implanté
sur les cinq continents, est une entreprise globale. Elle avait même eu une
présence en Tunisie via sa filiale de réseaux de câbles «Delphi Systems»
laquelle siégeait dans le Conseil d’Administration de la COFAT, filiale du
groupe Chakira Elloumi.

On achève bien les chevaux : une logique Destroy !

Il y a quelques années, Coca Cola a émis un emprunt sur le marché américain pour
une maturité de 100 ans ! Qui a été clôturé en un clin d’œil. On avait dit à
cette occasion que le marché a plus confiance dans les entreprises que dans les
Etats. Quand GM se fait Hara Kiri, cette conviction vacille. Comment une
entreprise du gabarit du géant de Détroit peut-elle ne pas voir le vent tourner
? Son tort serait de produire des voitures qui ne sont plus en phase avec le
marché, trop gourmandes, trop polluantes. Mais d’enseignement élémentaire, on
sait que gérer c’est prévoir. Comment légitimer ce déficit primaire de stratégie
? C’est proprement inexplicable. D’un autre côté, comment expliquer cette
indifférence de la part des autorités face à la cécité managériale de GM qui
vivait à son corps défendant la tourmente de l’énergie, les revendications des
verts et l’appel des consommateurs pour des véhicules hybrides? Le premier de la
classe et le fer de lance de l’économie qui accumule autant de bourdes. Allez y
comprendre.

«Do or die», agir ou mourir!

Le 1er constructeur auto du monde -pardon l’ex, parce qu’il ne l’était plus
depuis au moins deux ans- avait envoyé des signes d’essoufflement depuis le mois
d’octobre dernier. En même temps que ses ventes chutaient, sa trésorerie
s’étiolait. Sa déchéance était programmée. Il fallait dés lors agir car différer
la restructuration c’était s’exposer à de hauts risques. Pourquoi cette levée de
bouclier de la droite libérale contre le sauvetage du soldat GM? L’Etat a bien
recapitalisé les banques. Le résultat des courses est qu’au prix d’une entorse
aux dogmes libéraux, on a sauvé le système bancaire et préservé l’économie. Ou
presque. Pourquoi pas la même attitude de clémence à l’égard du secteur
automobile, pourtant colonne vertébrale du système industriel US? La rigidité
doctrinaire, quand elle torpille l’intérêt national, qu’on me pardonne mon
excès, mais ça ressemble à de l’intégrisme libéral. Sous Roosevelt, l’Amérique a
bien connu un régime d’économie mixte, n ‘est-ce pas ?

L’isolationnisme financier

En essayant timidement de sauver le constructeur auto avec des fonds publics
exclusivement américains, en temps de mondialisation amplement consommée, l’Etat
Fédéral s’enferme dans un isolationnisme financier. Un consortium mondial de
constructeurs peut très bien organiser une opération de remise en forme. Il n’y
a rien d’humiliant à envisager un plan Marshall au secours de l’Amérique. On a
toujours besoin de plus petit que soi dans la vie. Le reste du monde aurait été
bien enchanté de prêter main forte à l’Amérique. Un retour d’ascenseur bien dans
l’ordre des choses

Crash de GM, le retour de flamme de la crise

Flash back au 15 septembre dernier. Quand Lehmann Brothers a bu la tasse, la
crise financière avait basculé en une crise de confiance. Instantanément, on a
eu l’assèchement du crédit (credit crunch). N’était l’initiative anglaise de
garantir les engagements des banques, la crispation des liquidités aurait mis
aussitôt l’économie par terre. Avec la chute de GM, la crise signe son deuxième
retour. GM, dans son périmètre américain, c’est 235.000 emplois directs. A
supposer que ses filiales européennes, OPEL et SAAB, échappent à la tourmente,
ses ramifications mondiales grimpent à 3 millions d’empois indirects,
soutiennent certains experts. Et là, c’est une dimension d’entreprise
systémique.

La situation se démarque de la déconfiture passagère de Chrysler et de ses
54.000 salariés. Il y a donc à craindre maintenant une crise sociale. Cela fait
trop de similitudes avec la crise de 1929. Et alors, même schéma de sortie de
crise ? Oh ! Le scénario frisson. Le seul spectre de la soupe populaire est déjà
effrayant en soi. N’allons pas plus loin. N’est-il pas du devoir de l’Empire de
ne pas aggraver la crise ? Le 2 avril, le G20 avait voté une cagnotte de 1.100
milliards de dollars afin d’activer la relance. N’est-elle pas compromise, à
présent, avec cette dernière péripétie? La relance étouffée dans l’œuf, et voilà
toutes les options sont ouvertes y compris la perspective sombre d’un chaos
économique. Adieu veaux, vaches se lamentait Pierrette après avoir cassé son pot
au lait.

Textile : une politique industrielle publique volontariste

Là-dessus on se félicite du soutien des pouvoirs publics tunisiens à l’adresse
du secteur textile, de même que l’a explicité M. Afif Chelbi, ministre de
l’Industrie, de l’Energie et des PME, invité d’honneur de la CTFCI à un
déjeuner-débat consacré au textile, jeudi 28 mai. Le secteur n’a pas démérité.
Par gros temps, il a tenu bon face à ses principaux compétiteurs sur le marché
européen. Il a bien subi les contrecoups de la crise, avec une chute passagère,
de carnet de commandes, mais il a tiré son épingle du jeu en protégeant son rang
de 5ème fournisseur européen et de gros générateur de recettes en devises.

Les professionnels ont bien perçu le signal de la crise : la qualité sinon rien.
Et c’est précisément vers cet objectif que convergent les principaux concours
financiers publics (cf. l’article d’Amel Belhaj Ali). La moitié des 44 millions
de dinars de concours de mise à niveau vont au textile. Ces fonds financent
essentiellement les équipements de dernière génération et les investissements
dans l’immatériel. Ajouter que la Tunisie est le premier pays du Bassin
méditerranéen à subventionner 50% du matériel «PAO –DAO». Les concours externes
tels ceux de l’AFD abondent également dans le même sens.

En passant, on soulève l’éventualité d’une banque dédiée au textile, un jour ?
L’idée n’est pas dénuée de sens. Elle mérite, selon nous, d’être creusée.

En définitive, les pouvoirs publics s’obligent à doter le secteur d’un outil
industriel de dernier cri pour soutenir la compétition. L’offre industrielle
n’en sera que plus attirante car elle satisfait aux standards de productivité et
par conséquent de compétitivité. C’est nécessaire. Est-ce suffisant ?

Connaissez-vous John Galiano, Karl Lagerfeld et les autres ?

Il faut, à côté du versant technique, trouver aussi un renfort de modélisme.
C’est nécessaire. La preuve est la notoriété des deux figures de proue de deux
des plus grandes maisons de haute couture française. John Galiano est le maître
à bord chez Christian Dior et Karl Lagerfeld chez Chanel. La Tunisie a enfanté
une figure similaire avec Leila Menchari, directrice artistique chez Hermés. Ces
personnages manquent à nos enseignes textiles. Les stylistes impriment un modèle
économique nouveau. Ils entraînent l’entreprise à prendre le risque sur une
collection, c’est-à-dire les coloris, les tissus et matières, les accessoires et
fournitures, puis le modélisme et enfin le risque commercial.

Le sous-traitant prend tout juste le risque de qualité et de productivité.
Forcément le partage des parts sur la chaîne des valeurs se fera au détriment du
second. Il est vrai que le secteur redresse sa valeur ajoutée qui passe de 300
millions d’euros en 1995 à 1 milliard d’euros en 2008. Mais il faut relativiser.
Ne faut-il pas tenir compte de la part des allocations touristiques consacrées
aux dépenses de garde robe ?

Le fameux manteau blanc

Le vol régulier Tunis-Istamboul est un pont en or que nous faisons aux
modélistes turcs. Cet hiver, beaucoup de tunisiennes portaient un manteau blanc
de petite flanelle mais avec une coupe qui donnait une ligne d’enfer. Son prix
était bien inférieur à cent dinars. Il n’avait pas son équivalent dans les
vitrines de la capitale. Un article bien et bon marché et on résume l’équation.

Pour déplacer le curseur et sauter de palier dans la chaîne de valeur, à coup
sûr il faut tâter du modélisme et prendre le risque sur des collections. Que
fait H&M ? Au su et au vu de tous, il va dans les défilés de mode, copie les
collections et les reproduit dans des matériaux moins nobles. Alors, vous avez
la mode à des prix cassés, le chic sans le choc. Fatalement vous taillez un
segment commercial. Peu de producteurs sur la place alignaient une offre
équivalente qui soit chic et bon marché. Quand on a la qualité et parfois le
modélisme, les prix sont au plafond. Alors, il faut attendre les soldes pour
faire ses achats. Forcément les gens prennent les devants et vont faire leur
marché ailleurs.

Pourtant, ce manteau blanc est tout à fait dans les moyens de nos
professionnels. Qu’ils ne l’aient pas conçu, on peut comprendre. Mais qu’ils
n’aient pas eu le réflexe de le dupliquer est un manque de réactivité. C’est
peut-être le moment de songer à relever la rentabilité du secteur. Cela
profiterait à tous.

Les AGO cassent la morosité

Il a été grandement question de hausse de la rentabilité lors des AGO des
sociétés cotées en Bourse qui se sont tenues ces derniers jours. Dans leur
ensemble, ces moments de vérité où les managers affrontent les actionnaires pour
justifier leur gestion ont pris des couleurs. La rentabilité était au
rendez-vous. Mais rentabilité n’a pas rimé avec prodigalité.

Des business plans réalisés au pied de la décimale

Ce sont les valeurs financières qui ont ouvert le bal, mais la quasi majorité
des entreprises listées à la Bourse a vu sa prévision de résultats se réaliser.
Dans nos propres colonnes, au mois de septembre dernier, beaucoup de dirigeants
s’étaient exprimés pour prendre date, confiants dans la justesse de leurs
calculs.

Voulant rassurer les épargnants et autres investisseurs, Ils affirmaient qu’il
fallait garder confiance. La plupart disaient que la crise ne les impactera pas
et que leurs prévisions au 30 / 09 s’étant confirmées malgré la crise, ils
pariaient sur le quatrième trimestre de l’année et étaient sûrs de leurs
prévisions au 31 /12 /09. Ils ne faisaient pas l’unanimité et n’empêchaient pas
un courant de scepticisme parmi nos lecteurs. Ils ont pris date, et le temps
leur a donné raison. En toute bonne foi, il faut saluer leur courage.

Déception

Autant la moisson a été bonne autant les dirigeants ont été chiches en
dividendes, pense la majorité des actionnaires. Quand l’argent est dans la
caisse, il faut le répartir. On a distribué moins que ne le laissait espérer la
hausse des résultats. Alors, les actionnaires sont remontés contre les
administrateurs qui auraient penché du côté de la tutelle qui appelait à plus de
mesure, disent-ils tout bas. Leur déception vient de ce que les conseils
d’administration n’ont pas récompensé leur disponibilité. Les investisseurs ont
répondu présent à l’appel des diverses augmentations de capital ou d’émissions
obligataires. Quand ils jouent le jeu, il faut que ça paie, affirment-ils. Leur
propos est que la place pourrait capitaliser, en termes d’image, avec une
distribution généreuse. Elle s’était déjà illustrée à l’échelle du Continent
avec la seule autre bourse du Ghana par une performance positive en 2008.

Ce serait un excellent effet d’appel pour les fonds d’investissement si elle
récidivait avec des dividendes conséquents. Cette opinion a pour elle sa
rigueur. Mais ce qui n’est pas payé aujourd’hui nourrira les attributions
gratuites demain. C’est peut-être la réponse qui a fait défaut pour faire
rentrer la grogne des actionnaires frustrés. On peut être actionnaire dans son
bon droit mais au vu du contexte particulier de crise, il faut adopter un
comportement citoyen.