Le G20 à Londres : L’heure de vérité?!

Le monde parviendra-t-il à faire accepter au marché global, de
se ranger sous la discipline de la régulation ? Les Etats pourront-ils reprendre
la main pour superviser les excès de l’argent réfractaire ?

Sans quoi, bonjour les dégâts!

A Londres, ce jeudi 2 avril, les 20 pays les plus nantis du
globe, 75% de la population de la planète, 85% du PIB mondial, se rencontrent
pour décider de la configuration du capitalisme de demain. Le hic est que ce
groupe est unanime sur l’objectif. Tous conviennent de juguler énergiquement la
dépression pour une rapide sortie de crise. Mais ils sont divisés sur la
finalité. Au-delà de la forte dose de tonicité qu’il faudra imprimer à la
relance, l’UE voudrait «moraliser» le capitalisme, pour éradiquer ses
soubresauts à l’avenir. Les Anglo-saxons voient cette refondation comme une
fronde idéologique et non comme une action rédemptrice du système.

Quel consensus à Londres, pour ce G20 ?

Le contexte de «l’horreur économique»

Ce sommet intervient au moment où le monde est sous le choc. Eric Pichet,
professeur de finance, invité de IHE, ce samedi 28 mars, parlait d’un contexte
épidémiologique pour décrire l’onde de choc de la crise financière. Comment une
perte de 200 milliards de dollars sur les 1.200 milliards d’encours de crédits
de «subprimes» finit par générer une chute de capitalisation des Bourses
mondiales à hauteur de 25.000 milliards de dollars, soit un multiple de 125.
Toute l’économie du monde soufflée par ce qui est inférieur à une année de
bénéfice du système bancaire US avant 2007.

Attention, il faudra également y ajouter les dégâts collatéraux. La chute de
3% au moins du PIB mondial et la surprime de risque de 200 points de base au bas
mot, sur les émissions obligataires des Etats. Le cumul de ce manque à gagner,
d’un côté, en plus de la ponction financière indue, de l’autre, se traduiront
par un recul de richesses pour la planète. Et ce qui n’arrange pas les choses,
la contraction du commerce mondial réduira la croissance des pays émergents.

Cette disproportion des dégâts a de quoi appeler nos consciences. Les 50
millions de chômeurs, que compte le monde à l’heure actuelle, auront le souffle
coupé au moment où démarrera le sommet. ce manque à gagner ne sera pas sans
conséquence. En même temps que l’économie est ébranlée, la confiance dans
l’avenir est durement éprouvée. Le monde a le moral à zéro mais refuse d’être
affamé. La radicalisation des mouvements sociaux en Europe vient le rappeler.

«L’hérésie économique»

Le monde anglo-saxon récuse les critiques apportées au système. Quand la
capitalisation boursière est au plus bas, au lieu de la dénoncer, il faut,
disent-ils, s’y plier car c’est la loi du marché ! Ce purisme doctrinaire, quand
bien même il serait de bon aloi, n’est pas de circonstance. Honni soit le marché
qui mal alloue les ressources et nous prive de richesses nouvelles.

Que nous rapporte-t-il de nous attacher au dogme libéral quand le marché sous
nos yeux détruit de la valeur? On peut toujours reconsidérer de manière critique
la sacro sainte loi du marché. Les successions des écoles de pensée a bien
réalisé des dépassements théoriques sans mette à bas le modèle de concurrence
pure et parfaite. Ce modèle a bien résisté à la disposition de l’asymétrie entre
les opérateurs sans s’écrouler. Il n’est en rien iconoclaste de vouloir mettre
le marché sous contrôle et supervision.

Oui, la globalisation est nécessaire mais sous condition de régulation
supervisée par une autorité politique. Sans quoi on se laissera emporter encore
une fois par les excès douteux de financiers irresponsables.

Quand le système soutient que le salaire doit être le plus bas et le profit
maximisé, il peut lui apporter une caution scientifique montrant que les
productivités marginales des facteurs travail et capital l’exigent, et personne
n’a trouvé à redire. Mais ce modèle ne fait aucune place aux bonus et autres
parachutes dorés. Sinon que l’on nous apporte la contradiction. Leur abandon pur
et simple n’affecte en rien le fonctionnement du système et ne justifie en rien
cette crispation incompréhensible de la sphère financière de la City et de Wall
Street.

«On ne nous dit pas tout»

Le mystère est trop clair, disait Marcel Proust. Le procès en sorcellerie
fait autour de la supervision est l’œuvre des soi-disant fidèles au libéralisme.
Mais il est fait à dessein, pour nous égarer.

Commençons par mesurer ce que nous a coûté un déficit de supervision ! Ce
sont 42 millions de crédits «subprimes» qui ont été octroyés à des «NINJA» ( «No
Income, No Job, No Asset»), selon la formule du professeur Pichet. On a donc
donné du crédit à des gens non solvables. Sans supervision, l’on n’a pas pu
déceler les dépassements d’actifs suspects.

AIG a bien assuré pour 400 milliards de dollars (soit 3 fois ses fonds
propres) des obligations émises par Lehman Brothers contre la faillite de
celle-ci, qui a bien eu lieu avec le consentement des pouvoirs publics.

Qui dit mieux. Et c’est sans supervision que les agences de notation
délivraient le triple A pour des obligations «pourries». Interrogées sur la
question, elles se sont amendées en disant qu’elles notaient l’impossibilité de
défaillance collective des débiteurs, enfreignant la loi de Modigliani-Miller
qui stipule qu’il y a corrélation de chômage en situation de crise, alors
qu’elles sont appelée à se prononcer sur leur solvabilité. Et strictement leur
solvabilité.

Voilà comment des métiers font un peu n’importe quoi, faisant dérailler le
marché de la voie quand il n’y a pas de supervision ou quand il y a une
supervision exotique. Comment expliquer autrement que par le relâchement de la
réglementation le refuge dans les paradis fiscaux des Hedge Funds, ces fonds qui
spéculent contre nature.

La réalité est toute simple. Il y a un marché global qui ne peut être
contrôlé par des réglementations nationales, alors il faut trouver le moyen de
l’astreindre à une autorité supranationale. Cela tient du bon sens. CQFD !

L’erreur de médication

Continuer à crier à l’hérésie quand les Etats nationalisent pour sauver des
pans entiers de l’industrie est inacceptable. L’industrie automobile a besoin
des fonds publics pour se restructurer, c’est-à-dire être au rendez-vous du
marché avec les modèles appropriés (moteurs propres et économiques) quand on
sera sorti de la crise.

Il ne faut pas le lui refuser. Il faut capitaliser l’industrie pour l’aider à
se remettre sur la voie du développement durable et non indemniser les chômeurs.
La première solution relève de la rationalité. La seconde procède de la
solidarité. Elles se complètent et même que si la première est bien appliquée,
elle sauvera des emplois et allégera d’autant la charge de solidarité. Tourner
le dos à l’industrie automobile au motif qu’elle n’a pas su se mettre au
diapason du marché, c’est faire acte de cécité économique.

Si la GM Est par terre demain, c’est Opel qui suivra. Et l’histoire nous l’a
enseigné. Quand les travailleurs sont à la rue en Europe, c’est l’extrême droite
qui s’installe au pouvoir. Et on connaît la suite. Les Etats ont joué leur rôle
de remparts en dernier ressort au prix du sacrifice du déficit budgétaire. Quand
les Etats se substituent aux opérateurs privés, le risque devient public. Et
politique. Que l’on ne s’amuse pas à le laisser se réaliser. Et le directeur
général du FMI a bien appelé l’attention du monde entier sur l’insuffisance de
ses ressources à pallier la faillite des Etats.

Le Yalta de l’économie

La revendication d’un nouvel ordre mondial vient cette fois du saint des
saints, elle émane de l’intérieur même du G20. Cette réclamation d’éthique est
la condition de survie du système. A-t-elle plus d’impact aujourd’hui qu’elle
est parrainée par plus nantis que nous ? Il faut l’espérer au vu de la
détermination d’une partie des pays européens à mettre fin au bras de fer de
l’entreprise contre l’Etat, au diktat de l’actionnaire contre le citoyen et à
l’hégémonie du marché contre la légitimité du pouvoir politique. Autant il est
nécessaire de réhabiliter l’Etat dans son droit, autant il faut que le marché
renoue avec l’efficience. Dans la discipline !

Un Yalta de l’économie à Londres est-il plausible, et la City
abdiquera-t-elle sa suprématie aussi facilement ? Un capitalisme sans
développement inégal et qui aurait –enfin !- un visage équitable. Sans quoi le
dégraissage du système se déroulerait selon son scénario apocalyptique de crise
économique qui dégénère en une crise des institutions politiques. Aux libéraux
succèderont les ultras et leur discours jusqu’auboutiste de clash des
civilisations dont on aurait beaucoup à craindre et qui finit toujours par une
tournure belliqueuse.

Il est vrai, si tant est qu’on laisse faire, qu’il sera plus facile plus tard
de relancer par la Reconstruction. Mais qui en fera les frais ? Faisons de
Londres le sommet de la dernière chance. Avant le désastre.