Le commandement dans l’entreprise : entre tradition et modernité

Le pouvoir par l’autorité c’est un exercice de domination qui
bloque les énergies. Le management par le coaching humanise le commandement et
introduit la culture de la performance. Point de vue.

Débat de circonstance organisé par le CJD à l’effet
d’explorer les nouveaux horizons du management prisonnier d’une forme
traditionnelle d’exercice du pouvoir. Rym Kessous et Maher Kaller de FormaXion
ont exposé le cadre du management par le coaching. Charmant. C’est sûr.
Pratique. Il faut essayer.

Commander, c’est dominer ?

Comment exercer le pouvoir dans l’entreprise ? Ca n’a jamais été une énigme,
mais un système, avec des valeurs. Le modèle le plus répandu, celui basé sur le
couple autorité/obéissance a dérivé de l’organisation militaire. Il vise
l’atteinte pure et simple des objectifs, pas plus. On peut considérer de ce fait
qu’il est de portée limitée. Mais il fonctionne. Une nouvelle école du
management coaching, menée par l’américain Jack Welsh, considère que l’on peut
changer les repères du système. Le tandem leadership/adhésion peut constituer un
modèle de substitution. On gomme le chef et on intronise le leader. En écartant
les rigidités du premier on baserait la cohérence de l’ensemble sur la notion de
performance ouvrant la voie à une course au progrès, sans fin. La perspective a
de quoi séduire. L’on se demande alors s’il faut se contenter d’injecter les
recettes du coaching dans l’ancien système pour le «décarcasser» ou alors
bouleverser l’organisation de l’entreprise; auquel cas comment la faire
fonctionner ?

Le pouvoir par l’autorité : la somme des mauvaises volontés

La fonction du chef autocratique est facile à caricaturer. Il a des
subordonnées à son service et lui est le plus futé, car c’est lui qui décide en
dernier ressort. Peu importe s’il se trompe de but ou de moyen, le dernier mot
lui revient. Un problème survient, et c’est lui qui le diagnostique et propose
la solution. Aux autres de s’exécuter. «Untel allez me chercher l’échelle au
fond de l’atelier pour vous permettre d’accéder à la pièce défectueuse que vous
devrez remplacer». Untel se rend sur les lieux, point d’échelle. Que ferait-il
selon vous ? Eh bien, il retournera au rapport. Il n’y a pas d’échelle au fond
de l’atelier. La solution a été préconisée par le chef. Elle n’a pas d’issue.
C’est son problème et non le mien. Pareil pour le service commercial à qui on
donne comme objectif de chiffre d’affaires 100 MDT. Le marché permet d’aller
au-delà et de crever le plafond. Mais à quoi bon, se demandent nos commerciaux?
Les ordres sont les ordres. Blocage et mauvaise volonté.

Laisser le collaborateur endosser le risque

Changement de décor. On est en présence du manager coach. Un problème arrive,
que fait-il ? Il recherchera une synergie de groupe. Il sollicitera ses
collaborateurs. Ils conjugueront leurs volontés pour s’acheminer vers une
solution. S’il la valide et qu’il les lance au travail, ils s’évertueront à la
mettre en place et à dépasser le problème parce qu’il y va de leur crédit. Cette
solution est la leur et il leur faut la faire aboutir. Ils se mettront toujours
en posture de positiver parce qu’ils sont en première ligne.

Développer les hommes par le travail

Dans le premier cas, le travailleur voit son entreprise comme une enceinte de
production avec son poids coercitif. Dans le second, le collaborateur la ressent
comme un milieu de développement personnel. Pour le cas du modèle d’autorité on
parle du 1er âge du management. Et par-delà on évoque ses difficultés à garder
les compétences car il néglige de les former et bien entendu de les attirer.
Dans le second, on part de l’a priori valorisant. Le collaborateur est regardé
comme un adulte. Son avis compte pour l’entreprise et on prend le courage de
parier sur sa maturité. Ce sont les deux thèmes qui ressortent dans les
exit-sondages sur terrain. Le deuxième modèle n’est jamais déserté par les
siens. Même contre des promotions alléchantes, les gens qui s’épanouissent dans
leur entreprise parce qu’ils sont en présence d’un système valorisant, ne
quittent presque jamais.

Le profil du leader

Il est présenté comme le héros du management moderne. Il délègue, fait
confiance mais en même temps se fait respecter sans avoir à rappeler qu’il est
le chef. Parce qu’il est compétent, crédible et courageux, il ne sera pas
contesté. Il peut avouer «caler» devant un problème qu’il confie à un
collaborateur. Ce dernier s’engagera corps et âme à le résoudre et quand il y
parvient, il ne cherchera pas à détrôner son «boss». Il continuera à le
respecter et à lui faire confiance. Ou tel autre manager qui appelle de
l’extérieur pour voir s’il y a un problème. Si tout va bien, il vaque à ses
loisirs et s’il rencontre un problème, rebelote, il conviera ses hommes à lui
trouver la solution. Temps de prise à l’entreprise réduit pour ne pas marcher
sur les paltebandes de ses collaborateurs. La situation peut paraître
fantaisiste mais avec pareils managers, on est prêt à mourir pour la cause.
Mieux que tout. Emporté par votre enthousiasme et Dieu sait que la foi vous fait
soulever des montagnes et que vous vous trompez, car l’erreur est humaine, le
leader vous pardonne. Oui on peut toujours être à côté de la plaque y compris
quand on est armé de bonne volonté. Et d’ailleurs, font remarquer les
conférenciers. L’erreur part toujours d’une bonne intention. Par conséquent, il
ne faut pas brimer l’auteur de la faute afin de ne pas l’inhiber et de ne pas le
détourner de l’initiative qui est un acte de courage et de résolution.

Les cas extrêmes

Il y a, malgré tout, des limites à la démonstration des deux conférenciers.
Le rapport entre leader et collaborateur peut aller loin. «Désormais on divisera
le coût et les délais par deux», décidera le leader, et c’est parfois suivi
d’effets. La situation est spectaculaire. Mais tout en étant plausible, elle
soulève certaines interrogations. Où est la place des syndicats dans une telle
configuration ? Réduire les coûts de moitié, c’est travailler deux fois plus.
Cela ne s’aménage pas sans négociation sociale. Et si l’on décide de diviser les
coûts par deux, on aura l’occasion de distribuer plus de dividendes. La décision
émanait-elle du manager ou du Conseil d’administration ? on ne sait trop. Il y a
du bon dans la théorie de Jack Welsh.

Rym Kessous et Maher Kallel font un remarquable travail de communication.
Dans quelle mesure on peut s’en inspirer? Un petit mot pour les exemples cités.
Napoléon trichait avec ses hommes de troupes. Afin de les valoriser, il en
ciblait deux ou trois et s’informait au préalable de leur situation personnelle
et leur fait la causette avec une certaine forme d’intimité. Il demandait des
nouvelles de leurs proches. C’est valorisant pour la personne concernée. Mais
Napoléon est un personnage certes glorieux qui a mal fini. C’est un contre
exemple. On raconte même que sur le front de Russie, il faisait jouer ses airs
de tambours favoris pour galvaniser l’esprit de combat des troupes en faisant
croire aux hommes engagés dans le feu des premières lignes que l’Empereur est
dans les parages. Leurrer c’est «posséder» les gens. C’est d’une certaine façon
chercher à les dominer, et là on retombe dans les travers du système. La théorie
s’effondre. D’un autre côté, on ne sait faire la part des choses. Le management
par le coaching c’est juste une technique pour détendre l’aspect relationnel des
rapports avec la hiérarchie ou de réformer l’entreprise ? On ne sait pas bien.