Le Tunisien, la rentrée scolaire , Ramadan et l’Aïd : l’as de la débrouillardise et l’épreuve du calendrier


Par Mohamed BOUAMOUD

palmarium1.jpgIl
faudrait tout de même reconnaître que depuis quelques petites années, et
particulièrement cette année 1429, le calendrier hégirien ne fait guère bien
les choses. Faire tomber le mois saint tout juste après la plage et la mer,
et l’accoler, de surcroît, à la rentrée scolaire, ne relève point de la
clémence. C’est même une épreuve de force à laquelle il soumet la classe
moyenne en Tunisie. Mais bon !, c’est le hasard du calendrier. Bon gré mal
gré, tout le monde s’y conforme. Sauf que, évidente et inextinguible,
l’exaspération est sur tous les visages. Tous : ce sont les parents aux
appointements assez moyens, pour ne pas dire assez modestes*.
 

*Dans notre enquête, nous avons tenté
d’équilibrer les données autant que faire se peut et même de les réduire à
leur plus simple expression pour ne pas dramatiser les choses. Par exemple,
nous avons choisi de petits ménages à seulement deux enfants à charge. Soit,
aussi, des ménages qui n’ont aucune prétention, ou la moindre propension,
aux luxes alimentaire et – encore moins – vestimentaire. D’ailleurs, le côté
vestimentaire ne figure même pas dans ce travail qui, lui aussi, ne prétend
guère à l’exhaustivité. Nous nous sommes limités à dire : l’être humain a
nécessairement besoin de manger et d’étudier. Par conséquent, combien lui
coûteront le mois saint et la rentrée scolaire imbriqués l’un dans l’autre.
Le tout, sans excès de table, sans fioritures, sans l’ombre d’un luxe.

 

Etat des lieux

Il va sans dire que les présidents directeurs généraux, les DGA, les
professeurs universitaires, les médecins et spécialistes, les chefs
d’entreprise et, pour faire bref, tous les salariés plus ou moins bien
carrés dans l’aisance ne concernent en aucun cas notre propos. Une autre
catégorie a été volontairement exclue de notre enquête pour ne pas crier au
paupérisme : les éboueurs de municipalité, les cireurs, les revendeurs de
bric-à-brac dans les rues, les masseurs de bains maures et tous les autres.
Nous nous sommes limités aux salariés moyens du secteur public qui sont,
supposons-nous, légion, en tout cas la frange la plus importante.

Dans ces salaires, l’on va faire fi de toutes sortes de primes bien que nous
sachions qu’elles sont perçues par maints fonctionnaires comme étant des
gilets de sauvetage en de pareilles situations. On fera également fi des
salaires de début de carrière en nous disant qu’un père de famille ne l’est
pas dès sa première année dans la fonction publique. L’un dans l’autre, on
prendra pour exemples des salaires servis au bout d’une petite dizaine
d’années de service. Du commis d’administration qui perçoit à peu près 395
dinars jusqu’à l’administrateur qui en gagne environ 670, en passant par le
secrétaire d’administration (dans les 450 dinars) et l’attaché
d’administration (quelque 550 dinars), on va dire que la moyenne de ces
salaires moyens se situe aux alentours de 500 dinars – juste pour arrondir
et approcher du mieux qu’on peut à la réalité des uns et des autres. Qu’on
nous excuse d’insister un peu, mais l’on aura remarqué que les uns
perçoivent plus de 500 dinars, et que les autres, un peu moins. On va donc
se prononcer sur le milieu.

Fonctionnaire, cadre moyen et père de deux enfants

Notre « specimen » ? Un fonctionnaire moyen dans les parages d’un attaché
d’administration au salaire de 500 dinars, mais père de deux enfants, l’un
au collège (la 7ème année, par exemple) l’autre au secondaire (disons le
bac). C’est donc une petite famille de quatre personnes. Bien sûr qu’il
existe des ménages à plus de deux enfants, comme il peut exister d’autres à
seulement un enfant à charge. On se situera toujours au milieu.

Pour subsister, rares sont les familles tunisiennes, si modestes soit-elles,
qui vivent, au mois du Ramadan, seulement de couscous, de macaroni et de
brik à l’œuf. Dans la consommation mensuelle que nous avons élaborée (Voir
article : «Prix du marché »), nous avons négligé : les épices de toutes
sortes, les tajines, la soupe quotidienne, le plat principal de chaque
rupture de jeûne, la petite salade, les fruits, la boisson gazeuse, le thé,
l’eau, le café, les…cigarettes de monsieur (pas de chicha, SVP !). Si nos
lecteurs sont d’accord, on va mettre toutes ces consommations dans un même
sac et les facturer à 100 dinars le mois (ce qui est toujours loin de la
réalité). Par conséquent, la table de notre famille à quatre coûtera : 307
dinars. (Remarque : le commis d’administration touche 389 dinars le mois :
cela veut tout dire).

Mais ces chiffres sont très loin de la réalité. Nous avons omis –
volontairement – les petites fournitures scolaires (Lire article : les
stylos, les crayons, la gomme, la règle plate, etc. ; nous avons omis le
plus important : le tablier (pas moins de 8 dinars) et le cartable (pas
moins de 8 dinars). Et nous avons omis l’essentiel : les deux abonnements
scolaires (bus, métro ou train). Si cela peut nous être accordé, on va
chiffrer ces ‘‘omissions’’ à seulement 50 dinars. Le tout totalisera : 179,
435 dinars.

« J’ai failli le gifler ! »

Ainsi donc, l’ardoise du chef de famille, Ramadan et rentrée scolaire
réunis, sera portée à : 486, 435 dinars. Si l’on ajoute – forcément ! – ses
propres frais de déplacement (bus, métro ou train), il va avaler tout son
salaire dès la première dizaine de jours du mois saint.

Oui, évidemment, la majorité des femmes travaillent de nos jours : eh bien,
c’est elles qui paieront le loyer, la facture de la SONEDE, la facture de
l’électricité (deux augmentations en une seule année), et les cartes des
téléphones portables. Les vêtements ?… Pas de vêtements cette année. A la
question de savoir comment il va s’en sortir, un père de famille nous a dit
: « Il voit bien que je suis dans la m… jusqu’au cou, et le voyou de me
demander des espadrilles de marque Nike. J’ai failli le gifler !! ». Du
calme, voyons !, la h’chicha de ramadan n’a pas encore démarré…

« C’est toi l’Etat ? »

D’habitude, le Tunisien est réputé un as de la débrouillardise. Plus
maintenant. Ou très peu. Sur certains visages se lit déjà une espèce de
défaitisme, de ras-le-bol, sinon d’abandon. En effet, notre question
centrale était : comment allez-vous vous en sortir ?… Les réponses ont
parfois été agressives, du genre : « Va écrire sur le foot au lieu de foutre
ton nez dans notre misère pour l’étaler sur ton journal !! », ou du genre :
« Et pourquoi donc ?!, c’est toi l’Etat ?, tu as une solution pour nous ?!,
la paix, s’il te plaît !! ». Il ne sert à rien de maquiller les choses :
oui, certains Tunisiens sont très inquiets, et le plus inquiétant c’est que
d’aucuns risquent de se retourner contre leurs propres familles comme si
c’était elles qui ont fabriqué le calendrier de cette année.

Mais il y a les plus sages, ceux qui attendent patiemment leurs primes de
rendement et qui donc semblent très résignés. D’autres ont déjà fait leurs
calculs. Ils ont soumis des demandes de petits crédits, qui à la CNSS, qui à
la CNRPS, qui aux banques, qui à leurs propres administrations : « Normal :
sans un petit crédit à la consommation, il n’y aura tout simplement pas de
consommation ». Sauf qu’il y a sur toutes les bouches cette décision amère :
« C’est simple, cette année, ni baqlawa ni gh’raïba, qu’ils se contentent
d’un kg de maqroudh ou qu’ils aillent au diable, je ne peux rien pour eux…
».

Et alors ?… Les soucis du Tunisien sont-ils fondés ?… Jugez-en
vous-mêmes…

 

Lire aussi  :



Les prix du marché



Une charmante rentrée des classes!

 

Â