Une après-midi chez Mohamed Al Awssat Ayari, le Tunisien de la NASA


Par Mohamed BOUAMOUD

laoucet-ayari1.jpgIl
est des Tunisiens qui, lorsque vous les rencontrez et parlez avec eux, vous
font honneur, tout comme ils ont fait honneur à leur pays. Mohamed Al Awssat
Ayari en est un. Une sommité. La fierté est de l’avoir rencontré. Mais la
difficulté, c’est comment le présenter en en renvoyant fidèlement l’image,
le mérite et le prestige qui sont les siens. On va essayer…


 


D
ans
une rue quelconque de la ville d’Hammam-Lif, et à moins de 200 mètres de la
plage, une maison tout à fait ordinaire. Elle s’ouvre sur une antichambre
des plus simples avec meubles rustiques de cette couleur verte assez
reposante pour la vue. On devine tout de suite que c’est la sobriété qui
règne sur le domicile. Mais là, trois hommes sont en train de pianoter sur
leurs ordinateurs portables. C’est juste si, une fraction de seconde, ils
lèvent sur vous un regard affable pour vous souhaiter la bienvenue. C’est
tout. En revanche, c’est un autre, grand de taille, qui va s’occuper de
vous. C’est lui l’aîné. Il s’appelle Mohamed Al Akbar. Au bout d’une petite
minute, il nous reconduit dans une autre antichambre. Mêmes meubles. Même
couleur. Sauf que là, le spectacle est impressionnant. Sur l’un des murs
sont placardés six portraits d’hommes entourés d’au moins quarante cadres :
des diplômes, des satisfecit, des tableaux d’honneur… Devant notre
émerveillement, Al Akbar nous dit : «Nous sommes six frères… Nous sommes six
docteurs…». Mais il ajoute avec une humilité renversante : «Je suis le moins
brillant, je suis chirurgien dentiste…». Vous vous rendez compte ?… Le
moins brillant des six est chirurgien dentiste !… On croit rêver… Sur le
mur d’en face, un grand portrait trône sur toute la pièce. Visage de couleur
d’albâtre. Visage plein de grâce et de bonhomie. Un turban blanc boudinant
une chéchia cramoisie. C’est le portrait du père, décédé il y a quelques
années. Il s’appelle : Cheikh Othmène Ayari. Grand Imam de sa qualité. Avait
étudié à la Mosquée Zitouna. Et était professeur. Il enseignait les dix
méthodes de lecture du Livre saint. Hafiz, féqih et érudit. Tout simplement.
Il avait une telle adoration pour le prophète Mohamed qu’il avait juré de
baptiser Mohamed tous ses enfants. Oui, mais comment les distinguer ?… Se
pouvait-il qu’ils s’appellent tous Mohamed Ayari ?… Il trouva la
solution : le premier serait dit Al Akbar, le second Al Awssat, et ainsi de
suite. Mais il n’y eut pas de suite : c’aurait été indélicat de baptiser le
plus jeune Al Akhir (le Dernier). Et de toute manière, il n’y a pas de
dernier dans cette lignée, ils sont tous égaux, six docteurs. Terrible ce
qu’on se sent petit devant eux !… Entre Al Akbar – très timide – et nous,
la conversation a du mal à s’installer. Alors il s’excuse : «Je vais appeler
le Docteur…». Autre mot d’ordre dans la famille et qu’on devine facilement :
le respect mutuel. Et juste une petite minute après, apparaît sur le pas de
la porte Mohamed Al Awssat Ayari. Grand de taille. Assez mince. Lunettes de
vue et cadre par trop fins. Sourire aux lèvres, Al Awssat, en nous serrant
la main, esquisse une très légère courbette, alors que c’est nous qui
aurions dû nous prosterner devant lui. Dans cette gêne de ne savoir comment
attaquer la conversation, c’est lui qui l’aborde de manière assez
dialectique pour que l’enchaînement soit méthodique. Il se retourne et
désigne du doigt le grand portrait : «C’est mon père… ». Se lisent dans son
regard la fierté, l’admiration et, surtout, la reconnaissance. Le message
n’a pas besoin de mots, il est très clair : ‘‘c’est grâce à lui que nous
sommes là où nous sommes aujourd’hui’’. Et le hasard a voulu qu’en ce moment
précis apparaisse sur le seuil une femme d’un certain âge. Al Awssat se lève
le plus respectueusement du monde et dit tout simplement : «C’est ma mère…».
Dans les yeux de celle-ci, l’expression est très forte : cela n’a rien à
voir avec la fierté, l’admiration ou quelque sentiment du genre ; non, c’est
l’expression d’une félicité intense, profonde, presque grave, solennelle
pour tout dire ; elle semble avoir envie de dire : ‘‘C’est moi qui les ai
faits ainsi !’’. Mais elle ne pipe pas un seul mot. Elle sort sur un
mouvement très vague de la main. S’amorce alors la conversation pour
laquelle nous sommes là. Une conversation très difficile à suivre. Mohamed
Al Awssat a perdu au moins 90% de son arabe dialectal, et c’est déjà pas mal
qu’il se souvient de son français scolaire. Sur deux mots en français, il
bute contre un mot en anglais ; et ce n’est même pas l’anglais de
Shakespeare, c’est l’anglais américain : allez comprendre quelque chose…

 


Un
génie dans la peau d’un ingénieur


 

Mohamed Al Awssat Ayari
est né le 10 novembre 1959 à Hammam-Lif où, à Dar El Bey, il fait ses
classes primaires avant d’entamer celles du secondaire au Collège Sadiki. A
Gabès, après le bac, il fréquente, pour deux ans, l’école d’études
préparatoires qui le prédisposent à poursuivre ses études à l’Ecole
d’ingénieurs de Tunis qu’il quitte en 1983 avec un diplôme. Cette année-là,
il jette son dévolu sur l’Université du Colorado où il obtient son doctorat
en 1988. En gros, ses études ont porté sur la mécanique des fissurations et
de l’endommagement des structures massives, tout comme l’endommagement
résultant des séismes. Il part ensuite au Canada où il enseigne sa propre
spécialité tout en entamant, au département Génie civil et Génie mécanique
de la principale université de Montréal, de nombreuses recherches sur la
résistance des matériaux, l’emmagasinement des déchets nucléaires dans les
mines profondes, et notamment les bâtiments massifs tels que les barrages du
Nord du Canada qui fournissent de l’électricité pour tout l’Ouest du
continent américain. Avec l’appui de l’Université et la disponibilité des
moyens financiers et des équipements nécessaires, il constitue, parmi
quelques uns de ses étudiants, une équipe de chercheurs associés qui vont
s’attaquer à maintes recherches dont la stabilité des structure en composite
(les flottes aériennes étant de plus en plus construites avec les
composites), l’étude spectrale du comportement thermique des structures,
c’est-à-dire que selon une méthodologie scientifique, l’on simule la
construction d’un barrage à dessein d’en observer, pendant deux ans,
l’évolution et le comportement, sachant que les fuites d’eau sont à
l’origine des fissurations de l’édifice ; une manière, donc, de parer, sur
le plan réel, à tout endommagement du genre. Mais jusque-là, c’est du
domaine de l’académique. Mohamed Al Awssat est plutôt tenté par la pratique.
En 1995, il retourne au Colorado où il se voit invité à occuper un poste au
Centre de fabrication d’instruments et de satellites relevant de la NASA
(National Aeronautics and Space Administration). Grâce à sa grande capacité
d’analyse des structures, mais profitant au maximum des connaissances
offertes par ledit Centre, il se fait fort, en supervisant un groupe de
chercheurs, de devenir consultant auprès de la NASA tout en enseignant à
l’Université du Colorado.

 

Le couronnement de cette
fabuleuse carrière survient en 2004 lorsqu’il met au point, avec son équipe,
la sonde ‘’Spirit’’ placée sur la surface de Mars, soit un robot dûment doté
d’une caméra et dont la fonction est de fournir 24 h sur 24 des informations
et des images en temps réel, cette invention étant nourrie d’énergie
solaire.

 

achahed1.jpgACH’CHAHID


 

Lors d’un séjour chez ses
parents en 2005, Mohamed Al Awssat a la surprise de recevoir un jour la
visite d’une petite voisine, une fillette de 14 ans, qui vient lui lancer un
défi : «Vous les scientifiques, vous inventez les satellites et un tas de
choses que vous placez sur les planètes et je ne sais où, mais vous ne
faites rien pour que les musulmans s’accordent au moins une fois l’an quant
à la naissance du Croissant annonçant le début du mois saint ; les uns
prétendent le voir, les autres pas, et le résultat c’est que les uns et les
autres commencent le jeûne avec toujours une différence d’un jour…». Le défi
est réel et sans appel. Très surpris, Mohamed Al Awssat est presque gêné : «Ecoute
mon enfant, je ne vois pas maintenant ce que je peux faire, mais je promets
d’y réfléchir…». En fait, ce n’est pas une simple promesse : «C’est mon
métier de résoudre de tels problèmes, je ne pouvais pas me défiler devant un
tel défi…». Trois années plus tard, Mohamed Al Awssat parvient à concevoir
et à mettre au point un système de détection précise de la naissance du
Croissant. En cours de route, plusieurs problèmes rencontrés : comment
discerner avec exactitude la dernière lumière du jour et celle du
Croissant ? Comment éviter que les nuages n’empêchent la vision de l’astre ?
etc. Aujourd’hui, le système est doté d’un computer d’analyse de certains
phénomènes, d’un matériel de télécommunication et de renvoi des images sur
plusieurs points d’observation. Instrument d’observation unique dans son
genre et fiable, ACH’CHAHID,
comme l’a baptisé Mohamed Al Awssat, a été présenté lors du Congrès de
Marseille tenu en juin 2008 sur les nouveaux instruments astronomiques. Le
système a d’autant mieux été accepté qu’il est valable pour d’autres
applications, comme l’observation de l’avancée du désert et autres.

 

Mohamed Al Awssat Ayari
est père d’une fille, Sarra, aujourd’hui âgée de 20 ans et qui vient d’être
élue présidente des étudiants en médecine de l’Université du Colorado. Le
cadet a tout juste 10 ans. Il s’appelle : Othmène Ayari. De sorte que
l’image de Cheikh Othmène Ayari vit toujours au sein de la famille…