“La BFPME joue le rôle de pivot pour les promoteurs de projet…”

Par : Tallel
 
 


mansour.jpgCréée le 1er mars 2005, avec un capital de 50
millions de dinars, totalement public et détenu à hauteur de 60% par l’Etat
tunisien, 40% par des entreprises publiques, le capital de la Banque de financement des
petites et moyennes entreprises (BFPME) devrait doubler au cours des deux
prochaines années. Il est même prévu d’avoir
des partenaires étrangers mondialement connus, telle que la BEI (Banque
européenne d’investissement), par exemple. C’est donc une banque ouverte sur
le monde extérieur, voire sur le monde privé.

Un an et demi après la création de la banque et afin d’en savoir davantage,
Webmanagercenter a rencontré son P-DG, M. Abdessalem Mansour, qui nous a
entretenu sur la situation actuelle de la banque ainsi que sur ses
perspectives de développement. Entretien !

WMC : Pourriez-vous nous parler de la Banque de financement des petites
et moyennes entreprises, seize mois après le démarrage de ses activités ?

Abdessalem Mansour : Je dois dire que nous avons suivi trois axes.
C’est d’abord, une banque qui finance essentiellement l’investissement de la
PME. De ce point de vue, elle doit se distinguer du reste des organismes de
financement par la qualité de ses cadres, car le plus que la BFPME peut
apporter c’est au niveau de l’identification, des études, l’évaluation et du
suivi des projets. Autant dire que nous avons une politique de recrutement
très sélective, puisque nous ne concevons le plus de la banque que par la
qualité de ses cadres. C’est pourquoi nous nous sommes dotés, dès le
démarrage de nos activités, de cadres de très haut niveau dont la plupart
sont des anciens de l’ex-BDET (Banque de développement économique de la
Tunisie).

Donc nous avons un noyau de personnes expérimentéss issus des grandes écoles,
notamment des analystes financiers, et autres ingénieurs, etc., ce qui nous
a permis d’entrer dans le vif du sujet sans perdre du temps. D’ailleurs, les
premières approbations de financement ont eu lieu le 16 mai 2005.

Ensuite, nous nous sommes attelés à mettre en place les ressources humaines
qui sont notre capital n°1 ; et d’ici fin octobre, nous serons une
cinquantaine de personnes avec un taux d’encadrement d’environ 80% (dont une
quarantaine de cadres de très haut niveau). Voilà la première action.

Notre 2ème action, a été de faire connaître ce nouvel outil qu’est la BFPME
qui, il faut le dire, diffère des autres banques, car nous ne finançons pas
l’intégralité d’un projet, c’est-à-dire que nous sommes en co-financement
avec les autres organismes de financement (banques commerciales, sociétés de
leasing, les SICAR…).

Pourriez-vous expliciter davantage ce point pour nos lecteurs ?

Il est intéressant de savoir que le principe du co-financement existe
partout dans le monde, notamment dans les économies libérales (France,
Suède, Canada, etc.). Alors, pourquoi le co-financement ? D’abord, il n’est pas
prudent de mettre tous ses œufs dans un même panier. Si par malheur le
projet ne marche pas, c’est tout le crédit qui tombe à l’eau. En premier
lieu, c’est un principe de prudence, donc de partage du risque, c’est
important. Ensuite, la BFPME est une banque de financement de
l’investissement, ce qui veut dire que nous n’intervenons que par le biais
de crédit moyen et long terme –exceptionnellement de crédit court terme
pour les PME adjudicataires des marchés publics.

Tout ceci c’est dans
l’intérêt du promoteur lui-même, parce que l’expérience a montré –en
Tunisie et ailleurs- que lorsque vous avez un schéma de financement qui est
bouclé, cela ne veut pas dire pour autant que c’est un projet qui va réussir
puisque le promoteur est souvent obligé de s’adresser à une banque
commerciale pour avoir un fonds de roulement de départ. C’est là où,
souvent, le bas blesse, car si on n’engage pas les banques commerciales dès
le départ, elles ne vont pas nous suivre au niveau de l’exploitation.

Pour résumer ce point, je dirais que le co-financement constitue une étape
capitale pour la survie du projet, sachant que les projets qui ne
réussissent pas meurent au cours des 3-4 premières années. Ce qui veut dire
que, en associant les banques commerciales au projet, nous assurons du coup
son bon démarrage.

On a compris ce qu’est le co-financement. Mais est-ce que la BFPME
apporte des fonds, c’est-à-dire des liquidités… ?

La BFPME est régie par la loi 2001 afférente aux institutions de crédit.
Autant dire que la BFPME est avant tout une banque, et qui dit banque dit
octroi de crédit.

D’ailleurs, je vais vous donner, plus tard, des chiffres qui montrent que
nous avons même commercé à prêter de l’argent. Mais encore une fois, nous ne
finançons pas l’intégralité d’un projet.

Alors, comme son nom l’indique, la BFPME finance des projets dont le coût
d’investissement varie de 80.000 à 4 millions de dinars ; elle finance les
nouvelles créations mais aussi l’extension des entreprises existantes.

Notre mode d’intervention est le suivant : la banque n’accorde pas de crédit
dont le montant dépasse les 50% du coût du projet dans tous les cas de figure.
Par exemple, un projet dont le coût d’investissement est de 1 million de
dinars, la banque ne peut donner que 500.000 dinars de crédit ; le reste
doit venir des fonds propres et des autres banques. Et puis, nous
n’accordons pas de crédit de plus de 1 million de dinars par projet.

Pourquoi ?

Parce que, au fur et à mesure que le coût du projet augmente, la
contribution baisse. Je m’explique : si le coût d’un projet se situe entre
80.000 dinars et 1 millions de dinars, notre apport ne dépassera pas 50% ; entre
1 et 2 millions de dinars, notre contribution s’arrête à 40%, entre 2 et 3
millions, c’est 30%, et entre 3 et 4 millions, c’est 25% ; parce que
l’augmentation du coût du projet engendre inévitablement une augmentation du
risque en absolu. De là vient le montant de 1 million de dinars qui est le
maximum de notre contribution, soit 25% d’un investissement de 4 millions de dinars. Et puis,
n’oublions pas que nous sommes une banque des PME, de ce fait, nous devons
financer des projets de 80, 100.000 voire 200.000 dinars au tant que des
projets de 1 ou 4 millions de dinars.

En tout cas, nous faisons tout notre possible pour toucher le maximum de
PME, de diplômés sortants de l’université, bref le maximum des besoins ; et
c’est là où réside la raison de la création de la banque. Il faut savoir
d’ailleurs qu’une étude a montré que, avant la création de la BFPME, entre
50 et 80% des PME trouvaient des difficultés de financement parce qu’ils ne
disposaient pas de garantie, d’une part, et certaines institutions
financières de la place n’ont pas la capacité en ressources humaines à même
de leur permettre d’évaluer un projet, notamment dans les NTIC, la
biotechnologie, économie d’énergie, etc. C’est pour cette raison que la
BFPME a recruté des ingénieurs spécialisés dans ces domaines.

De ce point de vue, je dirais que nous ne sommes pas venus concurrencer le
tissu financier existant, mais plutôt le consolider, combler le maillon
manquant, surtout au niveau des études, de l’évaluation technique des projets…

Si Mansour, vous avez expliqué ce qu’est le co-financement, vous avez
évoqué la valeur ajoutée de la banque. Si vous voulez bien, j’aimerais
maintenant qu’on revienne un peu sur le bilan chiffré de la banque après une
année d’existence…

Après une année et demie, il y a des signes forts qui ne trompent
pas. Voici ce que les autres banques disent aux promoteurs: ‘’si la BFPME
est d’accord pour lancer tel ou tel projet, pour notre part nous sommes
d’accord’’. Que faut-il entendre par-là ? C’est que les institutions
financières se sont rendu compte de la fiabilité et du sérieux de notre
travail, notamment en matière d’évaluation des projets.

Grosso modo, le premier axe a consisté à mettre en place les structures de
la banque, puis les consolider ; le deuxième axe, c’est une action de
communication tous azimuts, à travers l’organisation des journées
d’information au niveau national (avec les ministères des Technologies de la
communication, de Recherche scientifique et du Développement des
Compétences, Enseignement supérieur ; les écoles…), puis au niveau des 24
gouvernorats du pays en vue de faire connaître davantage les mécanismes
d’intervention de la banque. A ce sujet, je dois rappeler que nous repartons
dans tous les gouvernorats pour une mission de suivi, de contact et de
découverte de projets à financer. Et nous allons continuer notre politique
de communication par des déplacements sur le terrain. Je dois d’ailleurs
indiquer que près de 50% des projets que nous avons financés se trouvent
dans les régions de l’intérieur (hors zone côtière).

Des Chiffres… ?

Justement, il y a des chiffres qui vont étayer ce que je viens de dire. Nous
avons approuvé au jour d’aujourd’hui 145 projets (c’est environ 10 projets
par mois) –sur quelque 500 projets reçus- dont le coût total est de 156
millions de dinars, avec une intervention directe de la BFPME de 38,7
millions de dinars. C’est l’action de communication et vulgarisation de la
banque qui a permis de drainer tous ces projets.

Toujours sur le chapitre du bilan, nous avons ouvert des représentations à
Médenine (qui couvre Médenine, Gabès et Tataouine), à Gafsa (pour Gafsa,
Tozeur et Kébili), à Kasserine (Kasserine, Sidi Bouzid et Kairouan), à
Siliana (Siliana, Béja, Jendouba et Le Kef). Comme ça, nous avons couvert
toutes les régions de l’intérieur du pays ; il est prévu d’élargir la gamme
de nos représentations en 2007.

Pour les 145 projets approuvés, nous avons signé 21 contrats d’engagement
(c’est-à-dire signature de crédits) pour plus de 4,4 MDT, et on a décaissé
plus de 3 MDT pour 16 projets sur les 21. Il est prévu d’atteindre, à la fin
de l’année 2006, près de 12 MDT d’engagements.

Pour ce qui est des approbations, nous sommes à près de 39 MDT, et nous
prévoyons de dépasser les 45 MDT à la fin de l’année 2006.
Un bilan on ne peut plus éloquent, mais est-ce que cela veut dire pour
autant que la banque ne rencontre pas de difficultés… ?

Eh bien, comme vous le savez, nous sommes investis d’une mission difficile
telle qu’on l’a souligné plus haut. En effet, généralement les gens qui se
présentent à nous ce sont des gens qui ne possèdent pas de garantie réelle
hors projets. Et la banque ne demande que des garanties inhérentes au
projet.

La première solution, c’est la SOTUGAR (Société tunisienne de garantie) qui
est un organisme mis en place par l’Etat et qui travaille d’une manière
parfaite avec nous parce que nous l’associons à tous les projets que nous
approuvons. De ce fait, la SOTUGAR constitue un élément important pour la
BFPME.

Toutefois, il y a certaines difficultés, je dois le reconnaître : c’est que
la SOTUGAR ne couvre pas tous les secteurs, l’agriculture, certains services
de la santé (les cliniques, par exemple), l’environnement et la culture ;
par contre, elle couvre tout ce qui est secteur industriel et autres
services connexes à l’industrie, ainsi que celui des Nouvelles technologies
de l’information et de la communication (NTIC). Nous sommes en train de voir
comment élargir son champ d’action pour que celui-ci corresponde à notre
champ d’action, car la BFPME finance tous les secteurs exceptés deux, le
tourisme et la promotion immobilière.

La deuxième difficulté, c’est comment amener les autres banques à ne pas
demander de garanties réelles hors projet… Mais là, il s’agit d’un travail
de longue haleine parce qu toutes les banques dans le monde entier
travaillent de la même manière, c’est-à-dire demandent des garanties hors
projets. Ceci dit, la banque doit convaincre les autres banques en leur
disant que nous avons bien étudié tel ou tel projet, et que le risque
inhérent à ce projet est bien limité, et par conséquent de les inviter à le
financer avec nous… Vous conviendrez avec moi que ce n’est pas évident de
changer cette méthode bien ancrée…

Il faut savoir, également, que nous n’agissons pas comme une banque
traditionnelle ; dès qu’on est convaincu par un projet, on y devient partie
prenante, c’est-à-dire nous aidons le promoteur à finaliser son schéma de
financement de son projet, nous l’assistons à assurer un bon démarrage, nous
l’assistons aussi pour qu’il obtienne tous les avantages offerts par l’Etat
; nous organisons même des réunions de coordination entre le promoteur, les
autres banques et les SICAR… Autrement dit, nous jouons le rôle de pivot
pour les promoteurs.

Vous faisiez allusion plus haut à l’existence de ressources humaines
hautement qualifiées au sein de la banque. Mais est-ce que certains dossiers
n’ont pas connu de retard quant à leur traitement ?

Je vais être franc avec vous. Nous avons reçu 531 projets, dont une centaine
a été éliminée pour des raisons diverses, comme par exemple des projets
touristiques, dans l’immobilier, ou qui vont au-delà des 4 millions de dinars
ou en dessous des 80.000 dinars… Il reste 400 projets parmi lesquels 145 ont
été approuvés. On dira certes que le rythme n’est pas élevé, mais il faut
savoir que, la première année, la banque n’était pas suffisamment outillée
en ressources humaines. Mais avec les nouveaux recrutements opérés, le
rythme s’est nettement accéléré.

On croit savoir que la BFPME fait appel à des expertises étrangères.
Pourquoi et pour quel but ?

Effectivement. La banque, soucieuse de connaître les expériences des pays
qui nous ont devancés en matière de financement des PME, a fait appel –dans le
cadre de la coopération avec l’Union européenne- à des expertises à même de
lui permettre d’affiner sa stratégie. De ce fait, elle a procédé à la
signature d’un protocole d’accord de coopération avec le Groupe OSEO France*
(dont fait partie la Banque de développement des PME).

Propos
recueillis par

Tallel BAHOURY

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* Groupe OSEO BDPME (Banque de développement des PME en
France), créée en 1997, a pour rôle essentiel d’accompagner le entreprises
petites et moyennes dans chacune des étapes de leur existence, en favorisant
leur accès au financement.