FORUM ATUGE 2006 : «L’économie tunisienne ne peut plus se contenter d’une progression lente vers la société du savoir».

Par : Autres
 
 


khanfir140706.jpgL’économie
tunisienne ne peut plus se contenter d’une progression lente vers la société
du savoir. Selon les experts et professionnels réunis en conclave sur le
thème des compétences comme levier stratégique de la valeur ajoutée, des
changements radicaux sont attendus aussi bien au niveau de l’entreprise, le
système éducatif et la formation professionnelle ainsi qu’au niveau de
l’administration. C’est ce qui ressort des travaux du Forum annuel de l’ATUGE,
tenu cette année en deux temps, avec un premier événement à Paris le 17 juin
et un second à Hammamet le 27 juillet 2006, réunissant les Tunisiens
diplômés de grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce, résidents des deux
côtés de la Méditerranée avec les entreprises et institutions de leur pays.



Rencontre avec M. Mondher Khanfir, membre du comité d’organisation et
animateur de la table ronde qui a traité de la stratégie nationale de
développement par les compétences des secteurs à forte valeur ajoutée.

WMC : Vous venez de clôturer votre Forum annuel de l’ATUGE. Quel bilan
faîtes-vous de cette action ?


Mondher Khanfir : Comme bilan préliminaire, je peux vous dire que les
principaux objectifs sont atteints. Pour son quinzième anniversaire, l’ATUGE
a voulu toucher un public encore plus large. En organisant un événement en
deux temps, en France et en Tunisie, l’ATUGE a montré sa capacité
mobilisatrice. Le FORUM de Paris a drainé près de 500 personnes, autant que
celui qui a été organisé à Hammamet. C’est une grande première.

Par ailleurs, l’esprit «atugéen» est de transmettre une dynamique au sein de
notre réseau, pour être toujours agissant et entreprenant. Le Forum dans sa
double dimension Expatriés/Inpatriés a largement contribué à impulser cette
dynamique.


Sur quelle base a été choisie la thématique de cette édition de votre
FORUM annuel ?

La quinzième édition du FORUM ATUGE pose en filigrane l’avènement de la
société du savoir, qui est un «Projet de Société» en Tunisie. L’ATUGE, en
tant qu’association citoyenne, a instauré cette tradition de créer pendant
son FORUM annuel un espace de débats et de réflexion à tous ses membres et
associés, pour discuter de sujets d’actualité et d’intérêt général pour
notre pays.

 

Comment voyez-vous la société du savoir en Tunisie?

C’est une réelle opportunité pour nous Tunisiens. Ne disposant pas
d’excédant de capitaux ni d’industries lourdes, nous devons profiter à fond
de la nouvelle donne économique qui érige l’information et le savoir comme
principaux actifs créateurs de richesse. Pour cela, il faudrait qu’on se
donne les moyens d’accélérer le développement des secteurs s’appuyant
essentiellement sur le capital immatériel. Investir sur la technologie et
les connaissances, c’est aussi investir sur les compétences comme facteurs
clés de production. La combinaison des connaissances des marchés, le savoir
technologique et les talents créatifs et la capacité à transformer le savoir
en valeur ajoutée, permettra à la Tunisie d’entrer dans la compétition
mondiale.


Vous dites qu’il faut accélérer le développement des secteurs à forte
valeur ajoutée. Comment formuler la bonne stratégie et quels sont les défis
que la Tunisie doit relever pour y parvenir?

L’argument d’une Tunisie, pays proche, à main-d’œuvre qualifiée et bon
marché, et une fiscalité avantageuse a fait son temps. Mon constat découle
de l’analyse de la structure des IDE en Tunisie. Il n’y a qu’à voir les
investissements de ces dernières années pour s’apercevoir que c’est le
secteur des services, notamment ceux à forte valeur ajoutée (énergie,
finance, télécommunication, …), qui draine la plus grosse part d’IDE. Le
mobile de ces investissements n’est ni la proximité, ni la main -d’œuvre pas
chère. Mais plutôt le marché et les compétences disponibles.

Maintenant, pour bien formuler une stratégie de transformation de notre
économie, car c’est bien de transformation qu’il s’agit, nous devons oser
remettre en cause nos certitudes. Il ne suffit plus de faire de petites
«touches» et des améliorations de l’existant pour passer à une économie
basée sur les connaissances.

La meilleure stratégie serait forcément celle construite de concert avec la
participation des secteurs publiques et privés. Il est utopique de penser
que la responsabilité du développement économique ne repose que sur les
épaules de l’Etat. Mais de quelle manière ces deux parties peuvent elles
travailler ensemble sur un même objectif ? C’est là, la vraie question que
nous avons cherché à traiter lors de la table ronde sur la stratégie
nationale de développement des secteurs à forte valeur ajoutée, et qui a
réuni comme intervenants des acteurs économiques et personnalités
tunisiennes de premier rang, à savoir, M. Moncef Ben Saïd, M. Chekib Nouira,
Pr. Mohamed Jaoua, Pr. Tawfik Jelassi et M. Abdelaziz Dargouth, que je
remercie d’ailleurs au passage pour la qualité et la pertinence de leurs
interventions.

En attendant la note de synthèse qui sera publiée dans les prochains jours,
je peux vous dire d’une manière très synthétique qu’en vue de déployer une
économie basée sur les connaissances, nous avons identifié un plan d’actions
articulé autour de 5 axes, qui relèvent de la responsabilité conjointe des
secteurs publics et privés, à savoir :

1) Le lancement de grands projets «Knowledge Based Economy» mobilisateurs de
compétences pointues
2) L’identification et le financement des secteurs à forte valeur ajoutée
3) Le renforcement des synergies entre le système éducatif, la recherche et
l’entreprise
4) La reconnaissance des compétences aussi bien dans l’administration que
les entreprises
5) L’infrastructure et l’environnement des affaires.

Pensez-vous que les conditions de succès sont réunies pour passer à
l’étape de mise en oeuvre ?

Il y a encore beaucoup de freins, aussi bien structurels que culturels. Les
acteurs économiques et l’administration en Tunisie demeurent très peu
intégrés et outillés pour passer à l’étape d’économie basée sur les
connaissances. D’ailleurs, le rapport annuel 2005 sur l’économie du savoir
de l’Institut des Etudes Quantitatives relevant du ministère du
Développement et de la Coopération internationale, tout en mettant en avant
le potentiel important d’une économie basée sur les connaissances en
Tunisie, montre un faible taux de pénétration et d’appropriation de
l’économie du savoir par les agents économiques publics et privés.

Mais la Tunisie dispose d’atouts réels. D’abord, un processus de
tertiarisation de l’économie déjà amorcé depuis plus de 30 ans, qui
s’accélère grâce à l’essor des TIC pour toucher l’ensemble des secteurs
primaires et secondaires, pour lesquels l’économie «immatérielle» est
désormais une orientation très forte.

Nous avons aussi quelques ‘success stories’, notamment dans le secteur de la
santé libérale, qui présente aujourd’hui un niveau de compétitivité de
classe mondiale, et qui attire non seulement les investisseurs
internationaux, mais aussi les patients de pays avancés. Ce secteur, par
exemple, peut entraîner avec lui le développement d’une offre tunisienne en
matière de solutions technologiques pour les cliniques privées. Il suffit de
capitaliser sur l’expérience acquise et chercher des opportunités de
business exploitables. Il n’y a pas de recettes toutes prêtes. Chacun peut
contribuer à l’édification de la société du savoir. Il suffit d’apprendre et
d’oser !

Propos recueillis par
B.Z.