Cuir et chaussure, est-ce le bout du tunnel ?

 
 


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ancestrale en Tunisie, le travail du cuir, arrivé à maturité industrielle au
cours des années 90, a trouvé dans le Programme de mise à niveau, lancé en
1996, un nouveau souffle, voire une précieuse opportunité pour se refaire
une bonne santé.

Selon des statistiques officielles, elles étaient, en 1995, quinze
entreprises, toutes branches confondues, à adhérer au Programme de mise à
niveau. En 2005, 187 entreprises dont 118 spécialisées dans la chaussure ont
réalisé leur plan de mise à niveau, soit la quasi-totalité des entreprises
les plus en vue du secteur qui en compte 440.

Le total des investissements réalisés dans ces opérations de mise à niveau a
atteint, entre 1996 à 2005, 143,4 millions de dinars. Cette enveloppe
globale se répartit entre investissements en diagnostics (1,8 million de
dinars), investissements matériels (109,8 millions de dinars) et
investissements immatériels (31,8 millions de dinars).

La plus grande part des investissements est accaparée naturellement par
l’industrie de la chaussure avec 95,3 millions de dinars, la tannerie en
deuxième position avec une enveloppe de 36,6 millions de dinars, les
entreprises de maroquinerie et d’habillement en cuir ont mobilisé quant à
elles des investissements de l’ordre de 11,5 millions de dinars.

Ces résultats positifs, publiés à dessein pour mettre en valeur l’apport du
Programme de mise à niveau qui éteint cette année sa dixième bougie, ne
doivent pas occulter les difficultés structurelles dans lesquelles se débat
ce secteur piégé, des décennies durant, par la garantie du marché et un
protectionnisme excessif.

Une étude de positionnement stratégique du secteur, effectuée avec un
cofinancement européen, a identifié les difficultés et défis que le secteur
se doit de relever dans l’avenir.

Les défis à relever

Le premier défi à relever consiste à améliorer la productivité moyenne en
matière de fabrication de chaussure. Elle est de 10,6 paires par jour et par
emploi par rapport à 22 paires dans des pays concurrents comme
la France et le Portugal. De même, pour une fabrication de chaussures de
ville de type soudé (semelle collée sur tige) moyen de gamme, la
productivité européenne se situe autour de 16 paires par homme et par
jour tandis qu’en Tunisie, elle est de l’ordre de 8,5.

L’idéal serait pour la Tunisie d’atteindre une productivité au moins
équivalente à celle des Européens. L’étude estime que la Tunisie peut, sur 5
ans, améliorer de 50% la productivité de la branche en l’amenant à 13 paires
par jour et par personne, pour peu qu’elle oriente la production vers le
moyen de gamme.

Au rayon des faiblesses également, la branche souffre de faiblesses au
niveau de la qualité.
Les parties concernées s’en rejettent la responsabilité. Tout le monde
accuse tout le monde de négligence. Le consommateur, qui estime ne pas avoir
pour son argent, accuse le vendeur, lequel accuse le fabricant qui, à son
tour, accuse le tanneur qui s’en prend à l’éleveur et aux abattoirs….

Plus de 40% de la production de la matière première (peaux) présente des
défauts dus à la dépouille, aux coutelures (trous causés par le varron) et à
la conservation (échauffe, tâches).

Ces défauts proviennent des maladies qui affectent le cheptel et des
abattoirs qui n’utilisent pas des moyens mécaniques et électriques pour la
dépouille.

La Fédération du cuir et chaussure (structure patronale), a proposé, mi-juin
2005, un plan de restructuration : la traçabilité du cheptel, une mise à
niveau des abattoirs et l’interdiction des dépouilles anarchiques.

Pour subvenir à ces besoins, la Tunisie importe en moyenne plus de 13.000
tonnes de peaux et de cuirs pour plus 300 millions d’euros par an. Parmi les
fournisseurs on retrouve l’Italie (avec 4000 tonnes), la France (3000 tonnes) et le
Maroc (1100 tonnes).

Autre faiblesse structurelle du secteur: l’absence de créativité. Les
industriels, surprotégés, accordent peu d’intérêt aux tendances de la mode,
aidés en cela par l’absence de concurrence sur le marché local. Leur statut
de rentier se révèle ainsi être un fort handicap pour la promotion du
secteur. La solution : favoriser l’éclosion de “designers” et industrialiser
de nouveaux modèles. D’où l’enjeu de former les hommes, de recourir à la
gestion par assistance de l’ordinateur (GPAO) et d’ancrer une véritable
culture du travail bien fait.

L’off shore hors jeu

La forte présence de l’off shore dans le secteur n’a pas eu l’effet
d’entraînement requis sur l’amélioration de la qualité. L’off shore a
favorisé la mécanisation du secteur mais n’a pas eu d’impact sur la
créativité et l’innovation. Sur les 440 entreprises du secteur, plus de 140
sont à participation étrangère dont une centaine sont à capitaux 100%
étrangers. L’off shore assure 80% des exportations estimés en 2005 à 684
millions de dinars contre 261 millions de dinars en 1996, soit plus de 60%
de la production dont la valeur est estimée en 2005 à 1115 millions de
dinars.
La branche chaussure assure 81% du total des exportations, le cuir 11% et la
maroquinerie 8%.

Les Italiens sont dynamiques avec une cinquantaine de sociétés. Aux
dernières nouvelles, ils projettent de créer, à Medjez El Bab (56 km de
Tunis), un technopôle spécialisé dans le cuir et chaussure.

Avantages compétitifs

Au-delà des faiblesses, le secteur engrange les avantages. Il ressort d’un benchmarking avec les principaux pays concurrents (France, Italie, Espagne,
Portugal, Chine) que la branche cuir et chaussure tunisienne répond à deux
exigences principales du marché européen : un coût de production attractif
et un savoir-faire confirmé.

Pour les articles prioritaires “soudé ville”, la Tunisie est au niveau exigé
par les donneurs d’ordre européens pour réaliser de la sous-traitance.Elle peut renforcer son poids sur le marché de la chaussure de sécurité qui
représente 9% du marché européen et accorder plus d’intérêt aux tendances de
la mode et même à l’intelligence économique.

La stratégie arrêtée suggère la mise en oeuvre d’un plan de mise à niveau
estimé à 217 mille euros pour chaque entreprise. Ce plan, qui ciblera 155
entreprises, favorisera une réduction des travailleurs de 31.370 (chiffres
de 2005) à 20.000, et surtout l’accroissement de la production et de
l’exportation.

Il s’agit également d’harmoniser les normes d’évaluation des produits et
composants, de valoriser le produit local, d’instituer une classification du
cuir et de lutter contre la pollution des tanneries en leur créant une zone
spéciale.