NTIC en Tunisie : Des obstacles et des actions

Par : Autres

Par Khaled Ben Jilani

 


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Je me permets de réagir à l’article publié par webmanagercenter. Ma
réaction vise aussi un nombre incalculable d’articles parus dans la presse
ici et là. Elle ne vise pas uniquement cette revue électronique que
j’apprécie particulièrement par la ligne éditoriale originale qu’elle
utilise.

Ma principale critique concerne l’absence d’analyse et de recommandations
concrètes dans les médias sur l’avenir du secteur des TIC. En effet,
l’effort des médias se limite à une simple énumération de faits et de
chiffres sans aucun relief. Cet article parle une fois de plus de nouveaux
projets pour le secteur des TIC (STEG CRM pour le citer).

Il manque cependant le fait d’analyser l’essentiel, c’est-à-dire l’impact de
ce type de projet sur le secteur des TIC en Tunisie. A première vue, ces
projets paraissent certes intéressants et sont porteurs d’espoirs. Mais il
me semble qu’il existe encore beaucoup d’obstacles pour que ces projets
deviennent de véritables moteurs du secteur. Il est important d’identifier
ces obstacles, d’en débattre et de proposer des actions pour que le secteur
(re)trouve une dynamique de croissance saine. Les obstacles que je cite ici
ne sont pas les seuls. Il en existe certainement beaucoup d’autres. Mon avis
reste certainement marqué par mon expérience. Les solutions que je
propose le sont probablement aussi.

Premier obstacle : le manque de clarté du rôle joué par l’Etat comme client
du secteur des TIC. Ce n’est pas en donnant des projets à réaliser aux mastodontes du secteur que nous allons développer un
réel savoir-faire et une réelle propriété intellectuelle en la matière.

 

Certes, ces projets sont sensés donnés aux STEG, et autres Tunisie Télécom,
accès à des technologies et outils de productivité avec un minimum d’effort
et un risque d’intégration contrôlé. Certes, ces projets vont permettre le
recrutement et la formation de quelques ingénieurs tunisiens sur le support
client et sur le paramétrage d’outils technologiques européens et
nord-américains. Et puis ? Et puis c’est tout. Point barre. Mais imaginons
un moment, un moment seulement, qu’au lieu des traditionnels équipementiers et éditeurs étrangers, ces contrats soient
adjudiqués à une entreprise ou à un consortium d’entreprises tunisiennes,
lesquelles se répartiraient la conception, le développement et le
déploiement de modules spécialisés.

 

Quel naïf ! me lanceriez-vous ? Ces projets permettraient pourtant à ces
entreprises d’acquérir des références importantes (comme Tunisie Télécom et
la STEG), et de développer une technologie tunisienne qui aurait un réel
potentiel d’internationalisation, car déjà adaptée aux besoins des grands.
Oui, cela serait moins rentable pour les STEG et Tunisie Télécoms que de
faire appel aux géants du secteur, mais cela serait bien plus approprié et
plus rentable pour l’Etat lorsque l’on considère les objectifs de création
d’emplois du secteur, le coût d’un diplômé de l’enseignement supérieur au
chômage, et les conséquences sociales de promotions entières d’ingénieurs
sans emploi.

Deuxième obstacle : le seuil psychologique de rémunération des ingénieurs
Tunisiens. La rémunération des consultants tunisiens sur les projets de
l’Union Européenne parlent d’eux-mêmes. Une même tâche réalisée par un
consultant «international» et tunisien est respectivement rémunérée 800 et
400 euros. Cela veut-il dire que l’ingénieur tunisien vaut moins que son
homologue international sur son propre sol ? D’après nos concitoyens dans
les ministères de tutelle administrant les fonds attribués par l’Union Européenne sur la
Tunisie, cela est en effet le cas. Non sens ! s’écrierait le premier venu. Et
pourtant cela est une triste réalité. Comment imaginer un instant qu’une
entreprise tunisienne qui, à compétences égales, ne peut se vendre qu’à
moitié prix de son concurrent international sur son propre marché, puisse
par la suite avoir une solidité financière suffisante pour
s’internationaliser, se battre sur des marchés extrêmement compétitifs quand
elle est déjà défavorisée sur son propre marché.

Troisième obstacle : Ces projets restent liés à la réglementation des
marchés. Cette réglementation exclut de fait les petites entreprises du
secteur, et n’a pas la flexibilité pour se conformer à une stratégie et des
priorités nationales. De plus, la procédure d’attribution prend très souvent
trop de temps, et se conclut beaucoup trop de fois par la publication d’un
avis d’appel d’offre infructueux (se référer au dernier appel d’offre ERP de
la STEG comme bon exemple), plombant de fait la trésorerie des entreprises
qui s’aventurent sur ce genre de marché. L’Etat doit rassurer les
entreprises et afficher d’emblée que certains ou une partie des appels
d’offres se feront par une procédure rapide et qu’ils seront attribués à des
entreprises tunisiennes sous certaines conditions.

Autre obstacle : l’absence de culture de l’externalisation dans le secteur
public. Aux USA et en Europe, l’externalisation des services a joué un rôle
essentiel dans la croissance de plusieurs secteurs liés de près ou de loin
aux technologies de l’information. Elle a permis de développer un
savoir-faire spécifique sur des segments tel que les centre d’appels,
l’infogérance, l’archivage électronique, la sécurité, la tiers maintenance
applicative, et bien d’autres. Toutes des activités ou seul le vide ou le
quasi-vide font l’unanimité.

L’Etat qui a construit un arsenal
impressionnant d’incitations à investir dans le secteur, mais qui par
ailleurs, reste un client difficile et qui de ce fait ,
constitue encore l’un des principaux freins au développement du secteur. Il
est essentiel que l’on se donne les moyens d’achever les objectifs fixés en
terme de création d’emplois et de nouvelles entreprises. Pour cela, il faut
certes créer un marché par le lancement de nouveaux projets, mais il faut
d’abord harmoniser l’environnement pour que les incitations trouvent
preneurs et que l’Etat soit le premier moteur du développement du secteur.
Le seul moyen serait de faire évoluer la relation Etat- secteur privé vers
une relation de partenariat, et non plus de relation client-fournisseur
froide ou de régulateur-régulé, pour se donner la possibilité d’atteindre
des objectifs convergents.

Enfin, le premier frein au développement reste à mon avis l’absence de débat
constructif et continu sur l’avenir du secteur. Ce débat devrait avoir lieu
à différents niveaux, à travers différents canaux comme les syndicats
patronaux, les associations du secteur, les think tanks Étatiques, et les
autorités de régulation que sont les ministères et autres instances. Mais
avant tout ce débat doit avoir lieu par le biais des médias, plus ou moins
spécialisés. Ceux-ci doivent faire un état des lieux réguliers de ces débats
et faire réagir les acteurs du secteur par rapport à des opinions et avis
donnés, et pas seulement reporter de simples faits et chiffres.

 

 

 

17 – 01 – 2005 ::
07:00

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