Accroître rapidement la production de l’énergie solaire dans le cadre d’une stratégie volontariste, visant à changer complètement de modèle de développement, aux fins de trouver une nouvelle source d’énergie gratuite et inépuisable pour dessaler l’eau et en finir une fois pour toute avec le déficit hydrique en Tunisie, est l’une des thèses ardemment défendues par le macro-économiste tunisien Mohamed Cheikhalifa, au moment où l’Etat a engagé une étude d’opportunité pour explorer le gaz de schiste pour un coût de 2 millions de dinars.

Dans une interview accordée à l’agence TAP, il n’y a pas si longtemps, ce chantre des énergies renouvelables plaide pour l’exploitation de l’énergie solaire (dessalement de l’eau de mer) dans le développement d’une culture irriguée à fort rendement notamment, pour booster la production de l’huile d’olive, en irrigué et partant les exportations de ce produit phare capable de rapporter des recettes en devises considérables pour le pays.

Il importe de rappeler que les départements ministériels de l’Energie et de l’Environnement ont, récemment, engagé une étude d’opportunité pour explorer le gaz de schiste. Ce dernier est extrait de la roche mère à plus de 3 km de profondeur dans le sous-sol, grâce à une technologie dite fracturation hydraulique, qui en plus de son coût faramineux, nécessite l’injection, pour chaque forage, de plus de 20 000 m3/an d’eau mixée avec des produits chimiques, polluant ainsi la nappe phréatique et hypothéquant l’avenir des générations futures.

Cette fracturation hydraulique génère le rejet de près de 750 produits chimiques. Selon Frances Libertés.org, 25% des produits qui s’infiltrent dans les nappes phréatiques sont cancérigènes, 37% sont des perturbateurs endocriniens, 40 à 50% pourraient affecter les systèmes nerveux, immunitaire et cardiovasculaire, et plus de 75% les organes sensoriels et le système respiratoire.

Le macro-économiste, également activiste de la société civile, qui maîtrise à merveille l’équation symbiotique entre Eau et Energie solaire, se dit perplexe face à ce recours inconsidéré au fossile non conventionnel, alors que le monde prépare sa mue vers les énergies propres et durables.

Il évoque d’autres alternatives à la portée des pays de “la ceinture solaire” de la région MENA, beaucoup plus écologiques et moins coûteuses, pour régler le problème du déficit énergétique ainsi que celui de “la détresse hydrique” endémique sévissant en Tunisie depuis des lustres ! Interview.

Comment voyez-vous cette décision d’investir 2 milliards dans cette étude d’opportunité pour extraire le gaz de schiste?

Mohamed Cheikhalifa: C’est un choix, le moins qu’on puisse dire, inapproprié, alors que la Tunisie dispose d’un rayonnement solaire de l’ordre de 2000 kWh/an/m², qui ne demandent qu’à être collectés, pour servir à redynamiser une économie exsangue !
De prime abord, il faut savoir une chose: l’énergie fossile est inefficace, à titre d’exemple pour produire de l’électricité il faut user d’au moins 3 unités d’énergie primaire pour obtenir la même unité d’énergie électrique !

Le reste part renflouer les Gaz à Effet de Serre asphyxiant la terre et qui ne cessent de nous polluer la vie : une TEP (tonne équivalent pétrole) génère ainsi 3,2 tonnes équivalent CO2 !

Pour le secteur du transport par exemple, quand vous chargez votre voiture de carburant, seul 25% de la quantité sert à mouvoir la roue. Quant à la voiture électrique, c’est 90% de l’énergie qui assure cette mobilité.

Notre potentiel d’énergie solaire, durable et renouvelable, est de l’ordre de 5 000 TWh/an, pour une consommation électrique, distribué par la STEG, pour 2016, de 15 TWh ! Autant dire un gisement inépuisable.

L’énergie primaire consommée par notre économie peut être facilement remplacée par l’énergie électrique produite par le solaire, le reste est exportable vers les pays de la rive nord de la Méditerranée, dont les besoins énergétiques sont considérables.

Je crois que le choix du solaire n’est pas la panacée pour les politiciens seulement. La société civile a son mot à dire, me semble-t-il ? En effet le recours à l’énergie fossile a fait son temps, il n’est pas une fatalité. D’ailleurs les objectifs de la COP 21, nous assignaient des engagements pratiques et chiffrés pour réduire nos gaz à effet de serre, d’autant plus que le 18 avril, la Terre a franchi sa dernière étape du changement climatique. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les concentrations atmosphériques en dioxyde de carbone ont été mesurées à 410 parties par million (ppm). La situation est grave et il faut penser global et agir local pour sauvegarder notre habitacle commun !

Les autorités énergétiques en Tunisie justifient ce choix par le grand potentiel de gaz de schiste dans le pays, permettant de réaliser l’indépendance énergétique tant espérée. Qu’en pensez-vous et est-ce qu’il n’existe pas d’alternatives, autres que cette ressource controversée?

Le gaz de schiste n’est nullement envisageable ici, c’est même une hérésie dans un pays de la ceinture solaire telle que la Tunisie ! On ne le souhaiterait même pas à nos ennemis, que dire de nos concitoyens et de notre Verte Tunisie ?

En effet, notre déficit énergétique pour 2016, était de 3,7 M de tep, soit 40,7%, dont 2,5 millions de tep environ sont constitués, en partie, par du gaz servant à couvrir notre consommation électrique journalière.

Il est aisément envisageable de se départir définitivement, du fossile par le recours au photovoltaïque. En outre, le coup de grâce lui sera asséné par l’introduction de la Voiture Electrique roulant à 20 kilowatts par heure, (kWh) pour 100 km. Ce véhicule étant alimenté d’électricité PV récoltée sur les toits des automobiles directement.

Je vous rappelle que le rendement moyen annuel d’un Kilowatt crête photovoltaïque (kW c PV) (puissance maximale de production d’un panneau solaire), est de l’ordre de 1700 kWh, il nous faut déployer, d’ici 2020, au moins 4,4 GW c PV, pour éliminer ce poste gaz de nos importations énergétiques (2,5 Milliards de dinars) et réduire notre déficit commercial d’autant et à vie, tout en créant 10 000 emplois directs.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la production classique dans les centrales à combustion nécessite l’utilisation d’eau déminée pure pour y développer de la vapeur, vecteur pour faire tourner les turbines. L’eau ainsi gaspillée, par un pays assoiffé tel que le notre, est estimée à 2 litres par kWh, livré au compteur…ce qui nous amène à sauvegarder 15 millions de m3 d’eau, par an, soit 5% de ce que distribue la SONEDE comme eau potable, pour couvrir les besoins de 125 000 ménages au minimum. Sachant par ailleurs, que les pertes énergétiques lors du transport et de la distribution du réseau STEG, sont de l’ordre de 17%, donc celles subies lors de l’approvisionnement de la périphérie du réseau (régions frontalières) devraient être d’au moins de 50%. C’est pour cela qu’il faut mettre en place un programme spécifique de production de l’énergie solaire, en commençant à partir de nos frontières terrestres, où il y a une forte déperdition d’énergie.

Quid de la question de la pénurie d’eau, comment pensez-vous y remédier à l’aide de l’énergie solaire ?

En effet, en matière de ressources d’eau renouvelable, notre pays, vu son site, est très mal loti. Selon les statistique de la FAO, nous disposons de 410 m3 d’eau par an et par habitant, c’est au-dessous du seuil critique c’est que j’ai appelé “Détresse Hydrique”. Et toujours selon la FAO, il n’y a ni développement durable ni protection de l’environnement quant les ressources hydriques d’un pays sont inférieures à 1000 m3/an/hab.

C’est le constat amer qui prévaut sous nos yeux, n’en déplaise aux politicards de tous bords qui nous racontent des chimères sur leur programme de développement hypothétique et qui ne se concrétiserait jamais sans traiter, de prime abord, le problème du manque d’eau!.

A mon avis, pour relever de nouveau nos ressources hydriques, il faut opter pour le dessalement de l’eau de mer, en ayant recours à l’énergie solaire, afin de les renflouer de 510 m3 /an/hab. C’est un apport de pas moins de 7 km3/an, d’eau de sources non conventionnelles.

Selon une étude de l’Institut Allemand de Thermodynamique (DLR), les pays de la région MENA disposent d’assez d’énergie solaire directe qu’ils peuvent mobiliser pour couvrir leurs besoins en eau, et ce par le biais du dessalement à l’énergie thermique solaire concentrée, sans autres procédé ni ingrédient. Elle évalue même le potentiel de la Tunisie à plus de 80 km3/an d’eau distillée.

Il faut profiter de cette aubaine, surtout que l’injection de 1000 m3 d’eau dans l’agriculture permet la création de 17 journées de travail direct et indirect. Les 7 km3 espérés fourniraient ainsi de l’emploi durable pour 400 000 chômeurs au moins. Cet apport hydrique pourrait métamorphoser notre agriculture.

Quel secteur pourrait bénéficier le plus de cette manne, d’après vous?

Notre oliveraie qui couvre 1,8 million d’hectares et compte 88 millions d’oliviers cultivés à sec, fournie cahin-caha, des rendements de l’ordre de 100 kg/an d’huile à l’hectare, lesquels varient, d’une année à l’autre de +/- 50%. La production de l’eau à partir du dessalement de l’eau de mer, changerait ainsi le paradigme et nous permettrait d’évoluer vers une activité agricole en irriguée à 100 %, avec des rendements similaires à ceux prévalant en Sicile, soit 500 kg/ha/an (+/- 10%).

Notre huile d’olive peut devenir le vecteur porteur de notre économie. Elle peut la structurer de manière durable. De l’huile bio valorisée peut être exportée en ampoule de verre de 5 centilitres, à un Euro pièce tel un “médicaliment”, vers les pays émergents d’Asie et d’ailleurs. En effet, les recettes engrangées par les exportations de l’huile d’olive en 2015 (340 000 tonnes) se sont élevées à la bagatelle de 2 milliards de dinars.

J’estime que l’énergie solaire est l’alternative idoine qui pourrait aider la Tunisie à réaliser son développement durable. C’est une véritable mue qui devrait être engagée pour franchir le seuil de vulnérabilité et assurer une vie digne aux générations futures.

Comme l’a si bien dit le philosophe allemand Nietzsche, lors d’une envolée lyrique de son Zarathoustra: “J’ai appris cela du soleil, quand il descend, lui qui déborde de richesse, alors il déverse l’or dans la mer à profusion, inépuisable; de sorte que le pêcheur le plus pauvre même, rame avec une rame d’or”.