Il ne s’agit pas de tout effacer ou de tout pardonner. Que ceux qui ont commis des erreurs ou qui ont profité de privilèges qu’ils ne méritent pas payent. Qu’importe la manière dont ils ou elles paieront, le plus important est que les victimes de leur respect de la discipline et de la hiérarchie et de l’exécution des ordres venues «d’en haut» ne soient plus les parias de la vengeance aveugle de ceux incapables de pardonner ou de dépasser.  

La réconciliation nationale servirait à remettre les choses dans l’ordre et dans les règles de l’art parce que le destin de la Tunisie est en jeu. Parce que nous perdons plus de 1,2% de croissance à cause de l’inertie d’une administration devenue trop frileuse pour oser décider, parce que notre incapacité à pardonner et à nous réconcilier donne de nous l’image d’un peuple habité par la haine et dévoré par la vindicte.

Ernst von Salomon, célèbre auteur allemand, avait quarante-neuf ans lorsqu’il a écrit «Le Questionnaire» à l’ère de la «dénazification». Emprisonné par les Américains sortis victorieux de la Deuxième Guerre mondiale, il y raconte ses interrogatoires et sa vie et dénonce la sottise des vainqueurs devenus bourreaux après avoir été libérateurs. Il y démontre qu’ils ne valent pas mieux que les vaincus et dénonce les injustices et mauvais traitements subis par les Allemands châtiés par les Américains.

L’Allemagne de la Deuxième Guerre mondiale et même celle de l’après mur de Berlin est devenue la première puissance économique européenne parce que peuple et leadership sont grands et ont vu grand en choisissant de se réconcilier et même dans certains cas d’ignorer les dossiers qui risquent de mettre le pays en vrille.

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Presque 7 ans après le 14 janvier, la Tunisie ne réussit toujours pas sa «dé-benalisation» dans le politique et encore plus dans les médias. Le temps s’est arrêté aux premiers mois de 2011, les procès déclenchés tout de suite après le départ de Ben Ali par des idéalistes, qui n’ont pas tardé à désenchanter et les chevaliers de l’apocalypse qui continuent sur la même lancée, n’ont pas vu d’épilogue. Ni les plans machiavéliques visant à décomposer la société tunisienne, ni le repli l’économie et encore moins le climat empoisonné par l’amertume et la suspicion n’ont découragé les justiciers. Leur rage forte de jour en jour est nourrie par une énergie destructrice toujours renouvelée. Ce que nous pouvions au lendemain du 14 janvier considérer comme une réaction “humaine” face à trop d’oppression, à la perte d’un code d’honneur et de valeur et l’omniprésence de la famille présidentielle est devenu aujourd’hui acharnement, persécution voire une nouvelle forme d’oppression.

Les familles sont toujours omniprésentes et tous partis confondus.

A chaque fois que l’on parle de réconciliation nationale, les «rébellions» commencent 

Aujourd’hui, alors que la loi sur la réconciliation nationale et celle de la lutte contre la corruption reviennent de nouveau sur la table, et au lieu de plancher sur des discussions constructives à propos de cette loi à l’ARP, voilà que des «rebellions» commencent un peu partout sur le territoire national, spécifiquement dans les zones frontalières, et occupent nos chers députes. Nous sommes, d’ailleurs, en droit de nous poser des questions sur le pourquoi et le comment de mouvements qui se déclenchent dès que le pays veut enterrer la hache de guerre pour écrire une nouvelle page de son histoire.

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Qui veut que l’administration reste amorphe? Qui veut que les véritables dossiers, ceux déterminants pour le pays, restent noyés dans ceux en rapport avec une ère aujourd’hui révolue?

Nous devrions peut-être poser la question aux députés du peuple qui ne sont pas tous blancs comme neige! Parmi ceux qui doivent œuvrer nuit et jour à l’adoption des lois permettant au pays d’avancer, il y en a qui sont eux-mêmes défaillants et se positionnent dans la logique du népotisme et du clientélisme.

Comment tolérer aujourd’hui qu’un député menace de déloger un haut responsable de son poste parce qu’il n’a pas répondu à ses sollicitations, ses demandes ou à des interventions, pour la plupart du temps servant des desseins personnels? Et pourtant ça existe.

Comment admettre que certains députés continuent à gérer leurs affaires en se prévalant de leur statut de représentants du peuple? Cela aussi existe.

Pourquoi tolérer que des députés qui ne sont pas tous aussi intègres que cela bloquent une loi qui permettrait au pays de rebondir sur ses pieds et à la machine administrative de sortir de sa grève de zèle, justifiée dans nombre de cas par la crainte des vendettas?

Un moyen d’injecter un nouveau souffle…

La loi sur la réconciliation nationale n’est pas un trophée que l’on veut décerner à un président qui n’a aucune ambition d’être reconduit pour un seul mandat -du moins, c’est ce qu’il avait promis de faire-, c’est plutôt un moyen d’injecter un nouveau souffle à un pays épuisé par les guéguerres absurdes entre différents pans de la société tunisienne.

Six mille (6.000) dossiers sont aujourd’hui entre les mains d’une IVD, aux dernières nouvelles, chancelante. A supposer que l’on traite 2 dossiers/jour, il faudrait plus de deux années pour en venir à bout. Les contribuables devraient-ils prévoir de nouveau et dans le cadre du budget de l’Etat des milliards à l’instance de Sihem Ben Sedrine?

La loi sur la réconciliation nationale, dans sa nouvelle mouture, servirait en premier lieu à rendre justice à ces centaines de cadres administratifs qui souffrent depuis 7 ans, ce qui est pire qu’une prison, d’allées et venues continuelles devant les juges d’instruction. Leur seul tort étant d’avoir obéi à la hiérarchie et aux ordres d’un président auquel, soyons honnêtes, rares étaient ceux qui oser lui dire non. Même pas le fameux général qui a fait le buzz en janvier 2011 pour que finalement nous réalisions que c’était tout simplement de l’intox.

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Parmi ces hauts fonctionnaires donc (plus de 6.000), la plupart n’ont bénéficié d’aucun avantage personnel et se doivent de ce fait être amnistiés. Les autres, ceux qui ont profité de leurs postes à des fins personnelles auront à rendre compte de leurs actes dans un cadre plus serein que celui inquisitoire.

Toutes les affaires en suspens aujourd’hui et qui seront traitées dans le cadre de cette loi seront conservées au Centre des archives nationales tel que stipulé par le traité de Venise sur la réconciliation économique et financière et seront publiées sur le Journal officiel.

Que stipule la loi sur la réconciliation nationale?

A Sihem Ben Sedrine qui a fait recours à elle pour trancher quant au respect de la première version de la loi sur la réconciliation nationale, celle-ci a conclu ainsi: «La Commission de Venise rappelle que le fonctionnement de tout système de justice transitionnelle présuppose un large consentement. Son succès est, en plus, étroitement lié à de nombreux facteurs, dont en premier lieu l’indépendance des instances –nouvelles ou déjà existantes– prévues pour sa mise en œuvre… La Constitution tunisienne n’impose pas de forme ni d’organe particuliers pour la réalisation de la justice transitionnelle, et la loi organique n°2013-53 n’interdit pas non plus l’adoption d’une législation spéciale relative aux domaines économique et financier. Il en découle que, en principe, le droit portant sur la justice transitionnelle peut être modifié par une autre loi organique. Dans le but de réaliser la justice transitoire “dans les délais prescrits par la législation qui s’y rapporte“, il peut être en principe raisonnable que des mesures soient prises pour accélérer les procédures en cours, par exemple par le biais de la création d’une commission spécialisée chargée de s’acquitter des dossiers financiers».

Dans la nouvelle version de la loi sur la justice transitionnelle déposée à l’ARP, tous les aspects ont été pris en compte dans le respect des procédures et normes adoptées par le traité de Venise et de la Constitution tunisienne.

Des discussions ont eu lieu avec les différentes parties concernées: pouvoir exécutif, blocs parlementaires, experts, société civile et médias.

La Commission de la réconciliation sera indépendante et composée de deux magistrats procéduriers grade 3, deux juges administratifs, deux juges financiers, un avocat auprès de la Cour de cassation, un commissaire au compte et un représentant des associations actives dans la gouvernance et la lutte contre la corruption.

Les recours qui doivent être déposés devant la commission ne concernent qui occupaient des postes avant le 14 janvier et qui auraient par crainte de représailles exécuté des ordres ou encore parce que le seul moyen pour elles de s’imposer en tant que compétences était de passer par le palais. Avant 2011, c’était la “dictature”, après, c’est la liberté!

Pour la Tunisie, la réconciliation nationale économique est indispensable car, sans elle, le sursaut économique escompté risque fort de ne pas avoir lieu. Pour notre pays, aujourd’hui il s’agit de rebondir ou de périr.

 

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