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nebhene-bouchaala-ata-tunisie-wmc“La Conférence internationale sur l’investissement ” Tunisia 2020 ” doit émettre des messages rassurants vis-à-vis des entreprises actives dans le secteur des composants automobiles implantées en Tunisie, en les incitant à développer leurs unités de production et en les rassurant que toutes les conditions sont réunies pour engager une vraie relance économique”, a affirmé Nabhen Bouchaala, président de La ” Tunisian Automotive Association “.

Quelles sont vos principales attentes de la Conférence internationale sur l’investissement ” Tunisia 2020 ” prévue pour les 29 et 30 novembre courant ?

La Tunisian Automotive Association participera dans le cadre de cette conférence à un panel consacré au secteur automobile programmé pour le deuxième jour. J’interviendrai personnellement à ce panel. Plusieurs sociétés membres seront également présentes.

Notre principale attente c’est de pouvoir garder ce qu’on a déjà. Les sociétés qui existent en Tunisie doivent y rester et il faut aussi les inciter à développer leurs unités de production, de manière à créer dix mille emplois supplémentaires. Cette conférence doit donc émettre des messages rassurants vis-à-vis de ces sociétés.

L’autre attente, c’est qu’à travers cette conférence on souhaiterait qu’il y ait l’annonce de l’arrivée d’un constructeur automobile en Tunisie. Et pour ce faire, il faut qu’il y ait une volonté politique pour négocier la possibilité d’installation d’un constructeur automobile en Tunisie et il faut aussi mettre à profit les bonnes relations entre la Tunisie et certains pays actionnaires dans des groupes et des constructeurs automobiles.

L’implantation d’un constructeur automobile permettrait de créer, dans l’immédiat, 30 à 40 mille emplois supplémentaires, outre la dynamique que cela pourrait générer.

On attend aussi de cette conférence de promouvoir l’image de l’économie du pays et de changer l’image qui lui est aujourd’hui associée d’économie en difficulté. La réussite de cette conférence pourrait ainsi donner un signal très positif aux investisseurs ; à savoir que le pays a pu enfin réunir les conditions nécessaires pour s’engager sur la voie de la relance.

Est-ce qu’il y a des sociétés de composants automobiles étrangères qui ont exprimé leur volonté de venir investir en Tunisie ?

Pour être honnête, on a eu des discussions avec quelques donneurs d’ordre européens, et le sentiment le plus partagé entre eux c’est la peur de venir s’installer en Tunisie. Et c’est la raison pour laquelle j’insiste sur le rôle rassurant de cette conférence.

Aujourd’hui, la Tunisie est une destination pour les sociétés des composants automobiles et on a bien peur qu’elle ne soit déclassée. Il faut rassurer les professionnels pour ne pas être déclassée. Une minute d’arrêt d’une chaîne de production d’un constructeur de composants automobiles coûte entre 3 et 6 mille euros. Il faut donc veiller au moindre détail, pour que les problèmes au niveau des ports, de la logistique et des infrastructures soient résolus.

Comment se porte aujourd’hui le secteur des composants automobiles en Tunisie ?

C’est un secteur qui emploie aujourd’hui 80 mille personnes, dont 12 mille cadres supérieurs et ingénieurs et qui fait environ 1,3 milliard d’euros d’exportation, mais c’est aussi un secteur qui fait face à plusieurs problèmes.

Les constructeurs des composants automobiles et les donneurs d’ordre implantés en Tunisie, manifestent aujourd’hui une grande réticence à développer leurs affaires dans le pays. Ceci est du à plusieurs facteurs, dont la mauvaise image du contexte socio-économique, l’absence d’un plan de communication efficace dédié à rassurer ces constructeurs et un climat social très tendu même si on a aujourd’hui tendance à nuancer et à nier ces tensions.

L’autre facteur important derrière l’hésitation de ces constructeurs, c’est l’instabilité et la discontinuité dans les textes et lois régissant la question de la fiscalité. On avait le meilleur système fiscal en Afrique, mais depuis quelque temps ce système est en train de subir des amendements mal étudiés qui risquent de déplaire à ces investisseurs.

Ces constructeurs épinglent aussi une baisse de la productivité et de la qualité, due en grande partie à ce climat d’impunité et de laisser-aller qui règne depuis quelques temps en Tunisie, et qui risque d’impacter très négativement ce secteur très exigeant en termes de qualité. A cet égard, les constructeurs, membres de l’association, ont exprimé leur attitude à envisager des formations, mais il faut que cette formation soit valorisée dans la pratique.

L’autre problème important auquel fait face le secteur c’est l’infrastructure non conforme aux standards internationaux. Nos zones industrielles sont très mal organisées. On n’a pas de vraies zones industrielles dignes de ce nom. On a juste des petits rassemblements d’industriels dépourvus de toutes les commodités nécessaires.

Pour finir, l’autre obstacle majeur c’est un problème de terrains industriels. Les grands constructeurs de composants automobiles expriment généralement leur volonté d’acheter des terrains dans les zones sur lesquelles ils comptent investir et on a souvent du mal à satisfaire leur demande.

Ce secteur peut bien se développer. On a même la possibilité de multiplier par deux, le revenu de la Tunisie et d’atteindre 10% du PIB, si ces problèmes sont réglés et si une stratégie claire consacrant la continuité dans les décisions stratégiques (impôts, augmentations salariales…) est adoptée.

Ces problèmes ont poussé certaines sociétés de composants automobiles étrangères à quitter la Tunisie. Qu’est ce que vous en pensez ?
Malheureusement, il y a certaines petites sociétés qui ont quitté parce que c’était difficile pour elles de continuer à investir dans un climat aussi tendu, mais l’exemple le plus parlant à ce titre c’est le départ du géant américain ” Lear corporation “. C’est une boîte qui a travaillé pendant 20 ans en Tunisie ; son départ nous fait perdre 2000 emplois et donne un signal très négatif aux investisseurs étrangers notamment américains.

Et là, on vient de se mettre en association pour travailler tous ensemble afin d’éviter le départ d’autres géants. On a les meilleurs opérateurs dans le domaine, il faut les préserver.

Quelles recommandations pourriez-vous donner pour favoriser le développement de ce secteur ?

D’abord, Il faut miser sur la communication. Notre diplomatie économique doit être suffisamment efficace. Une diplomatie économique efficace pourrait développer les filières existantes et en attirer d’autres.

Ensuite, il va falloir penser à créer un fonds de promotion dédié à ce secteur porteur. Ce fonds aiderait à établir des sociétés qu’il va falloir aider au début, mais qui vont créer de la valeur ajoutée une fois établies.

L’autre souhait que j’aimerais bien que les décideurs politiques prennent au sérieux, c’est la mise en place d’une ” Automotive City “. C’est en tout 400 à 500 hectares bien connectés aux infrastructures adéquates (ports, aéroports, chemins de fer et autres). Ce projet pourrait être intégré dans l’actuel plan de développement (2016-2020) et permettrait de préparer le terrain pour la venue d’un constructeur automobile.

Ma dernière recommandation, c’est la mise en place d’une discipline dédiée au secteur automobile dans les universités et les centres techniques, voire même prévoir une ” Automotive Academy “, si volonté il y a d’optimiser nos capacités en la matière.

L’association est là pour aider, pour donner des orientations et des propositions, mais il faut que les décideurs politiques s’y impliquent aussi pour pouvoir donner corps à ces propositions.