Visionnaire discret mais déterminé, Wael Moula incarne une nouvelle génération d’entrepreneurs tunisiens qui transforment les défis en opportunités. À travers sa start-up dédiée au paiement électronique, il démontre qu’innovation, rigueur et sens du collectif peuvent faire avancer tout un pays. Son parcours est celui d’un bâtisseur, animé par le souci d’utilité et la foi dans les solutions concrètes. Dans cet entretien en deux tons, il raconte comment une idée née d’une crise sanitaire (Le covid+) s’est transformée en un levier national pour l’inclusion financière. Entre vision technologique et engagement citoyen, il dessine les contours d’un nouveau modèle tunisien. Entretien :

Wael Moula 2Wael Moula, votre initiative semble à la fois audacieuse et nécessaire. Est-ce un coup de génie ou un ras-le-bol du système ?

Merci pour cette question. En réalité, c’est un peu des deux. Un ras-le-bol, oui, face à une inertie du système, mais aussi une volonté de contribuer concrètement à une transformation vertueuse. On voulait faire rouler la roue du business, apporter notre savoir-faire dans le domaine de la fintech pour aider à la fois le citoyen et les entreprises à continuer d’avancer malgré les blocages.

Comment cette idée s’est-elle concrétisée ?

C’est ainsi qu’est née notre start-up, avec pour objectif de faciliter le paiement électronique et digital des factures et des services. Car une facture, c’est le cœur de tout business. Nous avons donc commencé par là : créer une plateforme digitale innovante en matière d’open finance et d’open banking. Elle s’interface avec les systèmes bancaires, récupère les données des factures et permet leur paiement de manière 100 % digitale, sans frais ni coûts supplémentaires.

Quels ont été les premiers jalons de cette aventure ?

Nous avons développé les éléments de base, notamment la facture électronique, en partenariat avec Tunisie TradeNet, l’autorité légalement habilitée en Tunisie pour la facturation électronique. Ensuite, nous avons lancé notre propre plateforme, baptisée Lesia, qui agrège et permet le paiement des factures. Elle est aujourd’hui déployée dans le cadre d’un projet national structurant, en partenariat avec la Société Monétique Tunisie et sous le pilotage de la Banque Centrale.

Quel est l’impact concret de cette plateforme ?

Pay-Smart est notre produit principal. Il permet à tous les Tunisiens, en Tunisie ou à l’étranger, de payer leurs factures et services publics via différents moyens de paiement digitaux. Et ce n’est pas juste un portail web ou une application mobile : c’est une véritable plateforme interconnectée aux systèmes bancaires. Le citoyen peut s’y connecter via son netbanking, son wallet mobile (comme EasyFlous), ou toute autre solution de paiement compatible. Tout est centralisé, standardisé, sécurisé.

Peut-on dire que vous réparez un chaos financier ou que vous bâtissez un nouveau modèle ?

Je dirais plutôt que nous construisons un nouveau modèle, en étroite collaboration avec l’État et la Banque Centrale. C’est un partenariat public-privé exemplaire, via la Société Monétique Tunisie qui regroupe toutes les banques et opère sous supervision centrale.

Quel est l’enjeu en termes d’inclusion financière ?

Le marché tunisien compte environ 35 à 37 % de citoyens bancarisés, mais tous ne possèdent pas de carte bancaire. Le mobile payment devient donc une alternative essentielle. Le virement électronique reste peu utilisé, d’où notre volonté de promouvoir le digital et l’inclusion financière, pour les citoyens en Tunisie comme à l’étranger.

Et aujourd’hui, où en êtes-vous ?

Dieu merci, nous sommes en production. Notre plateforme facilite le paiement pour tous, citoyens comme entreprises. C’est notre manière de contribuer au pays. Ce projet national touche tous les Tunisiens, avec plus de 260 millions de factures et services disponibles sur la plateforme. Depuis notre lancement en 2022, la demande ne cesse de croître. En 2025, nous voyons une adoption massive, non seulement via les cartes bancaires, mais aussi par mobile, via le réseau des agents et les nouveaux établissements de paiement. Vous évoquez une forte demande pour votre produit.

 Qu’est-ce qui vous rend particulièrement fier dans cette aventure ?

Ce qui me rend fier, c’est que nous avons su aller au-delà de notre première solution. Nous avons étendu notre activité avec la création de We-pay, une start-up spécialisée dans les services d’acceptation de paiement pour les commerçants et les entreprises en Tunisie. Elle propose une approche innovante, différente et adaptée aux réalités du terrain. Parlez-nous de votre solution “TAPY” : un nom qui intrigue autant qu’il évoque la simplicité. Ah, TAPY !

C’est notre solution soft POS, ou plutôt soft TAPY, comme on aime l’appeler à la tunisienne. L’idée est simple et puissante : transformer un smartphone Android en terminal de paiement électronique (TPE). Plus besoin d’un appareil physique pour accepter les paiements par carte. Il suffit d’installer l’application, de taper la carte sur le téléphone, et le paiement est effectué. C’est souple, léger, économique, et conforme aux normes de sécurité des réseaux comme Visa, Mastercard, et bien sûr aux exigences de la Banque Centrale.

C’est une révolution pour les petits commerçants, non ?

Exactement. TAPPY est la première solution tunisienne opérationnelle dans ce domaine. Elle permet à tout type de professionnel — livreur, médecin, pharmacien, restaurateur — d’utiliser son smartphone comme terminal de paiement. C’est une avancée majeure pour la digitalisation du commerce en Tunisie.

 Comment percevez-vous l’évolution technologique dans le pays ?

Je suis très heureux du niveau de digitalisation atteint. Les banques ouvrent leurs systèmes, s’interfacent avec ceux de l’État, et permettent le paiement des factures et services publics. C’est un atout considérable pour les citoyens. L’intelligence artificielle joue aussi un rôle clé : elle permet, par exemple, de saisir automatiquement les données d’une facture en un clic, là où un comptable aurait passé des heures. On gagne du temps, on réduit les coûts, on optimise les processus.

Et le soft POS, c’est vraiment le “new normal” ?

Absolument. Transformer un smartphone en TPE, c’est une révolution. Les grands réseaux comme Visa et Mastercard misent énormément dessus. Le blockchain commence aussi à s’implanter, avec des cas d’usage en développement. C’est le nouveau mode de vie technologique, partout dans le monde.

Amel Belhadj Ali

CHIFFRES CLÉS

  • 35–37 % — Le faible taux de bancarisation renforce l’importance du paiement mobile et des solutions d’inclusion financière.
  • 260 millions — La plateforme centralise un volume massif de factures et services, confirmant sa portée nationale.
  • 2022 — Depuis son lancement, l’adoption ne cesse de croître, soutenue par les banques et nouveaux acteurs du paiement.
  • 1 smartphone — La solution TAPPY permet aux professionnels d’accepter les paiements sans matériel supplémentaire.
  • 0 frais — Le paiement digital des factures élimine les coûts cachés et facilite l’accès pour tous.