
Souvent perçue comme un simple outil de transaction, la caisse enregistreuse incarne bien plus qu’un terminal de paiement. Elle structure le quotidien des commerçants, sécurise les flux financiers, facilite la gestion des stocks et garantit la transparence vis-à-vis des clients comme des autorités fiscales. Dans un contexte où la traçabilité, la rapidité et la fiabilité sont devenues des exigences incontournables, elle joue un rôle stratégique dans la fluidité des opérations et la crédibilité de l’établissement.
Qu’il s’agisse d’un petit commerce de quartier ou d’une grande enseigne, la caisse enregistreuse est le point de convergence entre gestion, relation client et conformité réglementaire.
Depuis des années, la traçabilité des opérations commerciales est au cœur des préoccupations fiscales en Tunisie. Et pour cause, non seulement la contrebande et ses acteurs animent des pans non négligeables de l’économie nationale mais aussi dans les secteurs de la consommation sur place — cafés, restaurants, bars, gargotiers — la fraude est facilitée par l’absence de facturation systématique.
Les clients, souvent des particuliers, n’exigent pas de facture, ce qui permet à certains établissements d’émettre des centaines de tickets sans les enregistrer en comptabilité.
Résultat : des recettes réelles largement sous-déclarées.
Une réforme attendue… et retardée
Face à ce constat, une loi a été adoptée en 2016, du temps de feu Slim Chaker, pour imposer l’usage de caisses enregistreuses dans toutes les activités de consommation sur place. Mais il a fallu attendre 2019 pour que le décret d’application voie le jour. Ce décret précise les obligations des deux parties : l’administration fiscale et les entreprises concernées. Il définit aussi les caractéristiques techniques des caisses, qui doivent être connectées à une plateforme du ministère des Finances, garantissant l’enregistrement simultané des opérations.
Les données saisies ne peuvent être modifiées ou annulées, et toute réparation ou changement doit être signalé à l’administration. En cas de panne, la durée de réparation ne doit pas excéder trois jours. Des sanctions sont prévues pour les contrevenants.
Un calendrier progressif
L’arrêté fixant les dates d’entrée en vigueur publié le 14 octobre 2025 instaure l’obligation d’équiper les établissements de consommation sur place de caisses enregistreuses. Cette mesure sera mise en œuvre de manière progressive :
- dès le 1er novembre 2025, elle concerne les restaurants touristiques, les salons de thé ainsi que les cafés classés en deuxième et troisième catégorie ;
- Entre le 1er juillet 2026 et 2028, l’obligation s’étendra ensuite aux autres catégories d’établissements, avec une généralisation prévue d’ici 2028. Extension s’étendra aux autres établissements, jusqu’aux plus petits gargotiers.
Personne n’échappera à cette obligation. Le temps d’adaptation a été accordé, mais l’objectif est clair : mettre fin à l’opacité fiscale dans un secteur lucratif où l’État ne perçoit qu’une fraction des recettes réelles.
Une incohérence législative ?
Mais alors que cette réforme avance, une autre mesure phare est sur le point d’être supprimée : l’article 45, qui interdit les paiements en espèces au-delà de 5 000 dinars, notamment dans les transactions immobilières. Cet article impose la mention des références de paiement (chèque, virement, etc.) dans les actes de cession, garantissant une traçabilité essentielle.
Supprimer cet article serait un recul grave. Il a été contesté à ses débuts, mais il est désormais intégré aux pratiques courantes. Promoteurs et particuliers s’y sont habitués.
Pourquoi revenir en arrière ? Pour relancer une activité bloquée ? Cela reviendrait à légaliser l’illicite sous prétexte de crise économique. Qui en a eu l’idée et pourquoi l’avoir proposé ? Dans quel intérêt ? Et quels risques que la Tunisie, après l’abrogation de l’article en question soit de nouveau intégrée sur la liste grise du GAFI ?
Un signal dangereux
Dans un pays qui prétend défendre la transparence, lutter contre la corruption et garantir l’équité, la suppression de l’article 45 enverrait un signal contradictoire. Ce sont ceux qui disposent de liquidités non déclarées qui en profiteraient. Une telle proposition ne devrait même pas être envisagée.
Cette mesure ne relève pas d’un simple impératif fiscal : elle répond à une exigence internationale cruciale. En effet, la Tunisie court le risque d’être réintégrée sur la liste grise du GAFI, un groupe de juridictions sous surveillance renforcée pour leurs lacunes dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Une telle réintégration, bien qu’exempte de sanctions directes, pourrait gravement affecter la réputation du pays, freiner les investissements, et inciter les institutions financières à redoubler de prudence dans leurs opérations. La traçabilité des transactions, notamment en espèces, devient ainsi un enjeu de souveraineté économique et de crédibilité internationale.
La grande question est qui dessine les politiques économiques de la Tunisie et comment ?
Une question qui mérite réponse, le peuple a le droit de savoir !
Amel Belhadj Ali
Chiffres clés
- 2016 : Année de la loi initiée par Slim Chaker pour encadrer la facturation dans les commerces de consommation.
- 2019 : Le décret d’application établit la connexion obligatoire au ministère des Finances.
- 2025–2028 : Mise en œuvre progressive selon les catégories d’établissements.
- 3 jours : Délai maximum de réparation en cas de panne, sous peine de sanction.
- 5 000 dinars : Seuil au-delà duquel les paiements en espèces sont interdits dans les transactions officielles.


