L’évènement : en visite inopinée, le week end dernier,  dans le gouvernorat de Kebili, le Président Kaïs Saïed, a dépoussiéré un des plus délicats dossiers fonciers auquel le pays était confronté depuis les années 60.

Dans les faits, il a annoncé  l’élaboration prochaine d’un projet de loi devant résoudre définitivement la problématique des terres collectives.

Cette décision, tant attendue par d’importants pans de la population tunisienne,  intervient trois ans après l’affrontement sanglant,  au mois de décembre 2020, de deux tribus au sud du pays à cause d’un différend foncier lié, justement, aux terres collectives.

Les violences, qui ont eu lieu à Ain Skhouna, zone située entre Douz, dans le gouvernorat de Kébili et Béni Khedach, gouvernorat de Médenine, ont opposé les habitants des localités précitées, lesquels ont fait usage de gourdins  et de fusils de chasse.

Bilan : Trois morts, une cinquantaine de blessés, véhicules et exploitations agricoles endommagés.

Ces incidents, qui ont beaucoup ému les tunisiens,  leur ont permis, non seulement, de redécouvrir le visage hideux du tribalisme mais également le degré d’incapacité de l’Etat tunisien à résoudre le problème des terres collectives.

Les terres collectives ont été, en 2020, à l’origine d’incidents sanglants

C’est pourquoi, ayant encore à l’esprit ces évènements douloureux qui ont eu lieu durant son mandat,  le président est revenu, à l’occasion de sa visite à Douz,  sur la question du tribalisme,  le qualifiant d’ « obsolète » et insistant sur l’impératif “d’en finir avec toutes ses formes”.

Le chef de l’Etat, qui était apparemment en campagne électorale avant l’heure, a mis à profit cette visite pour promouvoir son projet de société, mettant en exergue «l’égalité de tous les citoyens, quelle que soit leur région d’origine ».

Kaîes Saied a expliqué que la création du Conseil national des régions et des districts vise à permettre à chaque citoyen, où qu’il se trouve en Tunisie, de participer à l’élaboration des lois nationales, car l’objectif de l’État est d’assurer l’intégration nationale.

“De cette manière, les revendications régionales telles que celles concernant les terres collectives seront prises en compte au niveau national, et soumises à la deuxième Chambre parlementaire pour vote par les députés responsables devant les citoyens”, a noté Kaïs Saïed.

Les terres collectives, de quoi s’agit t-il ?

Pour revenir aux terres collectives, plusieurs études ont été menées sur cette problématique foncière. Il nous semble que l’étude la plus exhaustive effectuée à ce sujet a été faite, pour le compte de la FAO, par les éminents chercheurs agricoles : Noureddine Ben Nasr, Ali Abaab et Noureddine Lachhab.

Cette étude, intitulée « Partage des terres collectives et transformation des sociétés et des modes d’occupation et de gestion des espaces au sud est tunisien », nous donne, dans son préambule, une idée succincte des circonstances de l’émergence de ces terres depuis l’accès du pays en 1956 et de leur évolution.   On y lit notamment :

« A l’aube de l’Independance de la Tunisie, les terres collectives couvraient environ 3 millions d’hectares, soit près du 1/5ème du territoire national et le 1/3 des terres agricoles. Les terres collectives (des “archs”) sont situées, principaIement,  dans le Centre et le Sud du pays et constituaient les parcours collectifs (communs) des tribus nomades et semi-nomades de la région.

Depuis l’Indépendance du pays, un processus de partage des terres collectives a été lancé et a permis de partager environ 1,3 million d’hectares sur le 1,5 des terres collectives, anciennement exploitées en commun par les pasteurs nomades et semi-nomades, s’est traduit par l’émergence de nouvelles formes d’occupation et de gestion de l’espace.

Ainsi, après des décennies d’apurement foncier, il reste selon l’étude environ 200.000 hectares de terres collectives à partager et 900.000 ha de parcours collectifs à soumettre au régime forestier.

Par-delà ces informations,  à priori rassurantes quant à la résolution  de la problématique des terres collectives, nous espérons que d’autres problèmes fonciers d’une autre nature seront dépoussiérés et connaîtront le même sort, s’agissant particulièrement de l’accès à la propriété pour les habitants des villes et villages construits sur des terres domaniales.