Evoluer dans les finances n’était pas la première vocation de Feriel Chabrak, directrice générale de la Banque de Tunisie et des Emirats (BTE) depuis novembre 2022. Ce fût pourtant, celui où elle s’est distinguée. Fraîchement diplômée de la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Sfax, lauréate, elle a été immédiatement recrutée par l’une des plus grandes banques de Tunisie, une référence et école : la STB. Elle pensait avoir un poste dans le marketing, ce fût à la direction du crédit qu’elle fût nommée. Un heureux concours de circonstances qui lui a ouvert grandes les portes du savoir bancaire et financier.

En fait, celle, pour laquelle l’éthique est au centre de tout parce que son père et inspirateur lui a appris que « La science sans conscience, n’est que ruine de l’âme » s’est investie dans l’assimilation des modes de fonctionnement de la banque avec patience, humilité et engagement. Elle, spécialisée dans le Marketing, la grande nouveauté des années 80, a plongé dans les rouages de la STB, avec rigueur et en usant d’une grande agilité intellectuelle.

Elle a trouvé sa voie. « Le premier jour, quand j’ai été désignée à la direction du crédit, je suis allée voir le directeur du personnel pour lui expliquer que ma spécialité est le marketing. Il m’a répondu que la direction du crédit est la direction la plus importante et qu’elle offre des opportunités enrichissantes pour une nouvelle recrue. Ce fût le point de lancement de ma carrière ».

Feriel Chabrak a fait les services du crédit à court terme, extérieur et elle est ensuite partie en France à la suite de son mariage. Elle a pris une mise en disponibilité de sa banque et a profité de son séjour parisien pour faire un DESS en marketing à la Sorbonne. Elle s’est ensuite orientée vers la finance, « parce que commercial et finance faisaient très bon ménage ». Après sa deuxième année de DEA, elle s’est inscrite pour une thèse en Finance, qu’elle n’a malheureusement pas pu continuer pour des raisons familiales. Sa thèse portait sur l’impact du marché financier sur le développement de l’entreprise et c’était au cœur de l’actualité.

Elle reprend sa carrière à la STB où elle avait un très bon mentor : Kamel Ben Youssef directeur central : « J’en garde de très bons souvenirs, il m’a poussé à aller de l’avant, m’a encouragé. J’ai été de tous ses déplacements et ses missions, ce qui m’a permis de faire le tour des directions les plus importantes de la banque ».

Qu’est-ce qu’une banque si ce n’est les crédits et l’activité du marché ? Feriel Chabrak a fait les deux et à l’époque, les cadres bancaires d’autres pays venaient suivre des formations sur le marché du trésor, le trading et d’autres métiers de banque à la STB.

Mme Chabrak, elle, passait d’une direction à une autre, depuis le marché des bons de trésors, la trésorerie, marché monétaire et financier et passant par le marché de change. « C’était hyper impressionnant, avoir travaillé dans ces directions m’a permis d’avoir une véritable maîtrise du crédit et de l’activité touchant l’intervention sur les marchés ».

Restait la vision et l’occasion s’est présentée lorsque Feriel Chabrak a été nommée conseillère auprès de la direction générale, chargée de l’élaboration du plan stratégique de la banque. « Si Amor Neji* m’a offert cette chance et m’a ouvert d’autres portes. Être dans la stratégie, c’est voir la banque dans toutes ses dimensions, dans sa globalité. J’assistais à toutes les réunions avec les DG ».

C’est aussi Amor Neji qui l’a encouragée à enseigner à l’ESC où on voulait des professionnels pour animer des cours d’ingénierie financière au Master professionnel.

« Cela fait 28 ans que je suis dans la carrière académique et je n’en démords pas. L’échange avec les étudiants nous permet à nous autres, pris par le tourbillon des tâches quotidiennes et du management courant, d’être au diapason de notre métier. Quand on donne des cours à des étudiants, nous devons être à jour, update.  Le contact avec mes étudiants est plus qu’intéressant, il est revigorant. Il me pousse à lire, à être en éveil.

Enseigner épuise mais sa plus-value, quant à l’expertise, est inestimable. Je dis souvent à mes étudiants qu’autant ils profitent de ce que je leur inculque comme enseignement, je profite aussi de ce qu’ils m’apportent comme idées innovantes et comme perception et approches s’agissant des métiers bancaires. Je demande souvent à mes étudiants de travailler sur des sujets que nous n’avons pas abordés et d’effectuer des recherches sur des voies inexplorées, cela nous permet d’avancer plus sur de nouveaux concepts. La dynamique entre le monde professionnel et le monde académique permet d’aller vite et mieux »

Aujourd’hui, Feriel Chabrak continue à enseigner les métiers et stratégies bancaires mais sa carrière à la STB a pris fin lorsqu’après 23 ans de carrière, elle a choisi d’intégrer une autre banque. “J’ai fait un petit passage à la TQB alors qu’elle faisait sa transition vers la QNB”.

J’ai participé à la préparation du business plan, j’ai ensuite été à la TS banque, qui était avant la STUSID que j’ai intégré en novembre 2012, en ma qualité de directrice centrale de la trésorerie avec les métiers : compensation, les moyens de paiement, portefeuille centrale, l’activité de la salle des marchés, et aussi l’activité ALM, gestion actif passif, je maitrisais aussi bien la partie Marché que la partie back office de la banque ».

L’expérience au sein de ces banques est extrêmement intéressante, dans les petites banques comme la STUSID, ou les anciennes banques de développement. Elles disposent d’une structure organisationnelle plus souple et elles ne sont pas bloquées par l’existence de plusieurs niveaux hiérarchiques qui les rend moins performantes dans le traitement de l’information et des transactions. « Les petites banques sont dotées de structures légères, vous pouvez passer de directeur général à directeur central sans aucune difficulté, la prise de décision est rapide et il n’y a pas ce qu’on appelle une organisation verticale qui repose sur la hiérarchie ».

Ce qui a le plus séduit Feriel Chabrak dans les petites banques, c’est le mode de gouvernance.  « L’Etat est toujours présent et c’est sécurisant mais la gestion n’est pas soumise aux contraintes de l’appareil administratif ».

Les petites structures bancaires offrent les moyens à leurs dirigeants et leurs agents de s’épanouir, d’exprimer haut et fort leurs idées et leurs opinions et de réaliser leurs ambitions. « Le secret de la réussite c’est de faire un travail qu’on aime, même si pour une femme, occuper les postes clés n’est pas aisée. C’est un héritage culturel sur lequel nous devons tous travailler. Il faut travailler sur les mentalités »

A toutes les résistances et aux réticences, Feriel Chabrak a opposé une détermination et une persévérance impressionnantes parce qu’elle n’a jamais douté de ses capacités et de ses compétences. C’est cette assurance née de la confiance en ses qualités professionnelles et en un long savoir qu’elle a cumulé sur plus de deux décennies qui l’a encouragée à  postuler pour le poste de DG de la BTE.

Aujourd’hui, c’est la seule femme dirigeante d’une banque en Tunisie. Elle a la vision et déjà la stratégie pour transporter la BTE vers de nouvelles dimensions.

Nous y reviendrons dans une toute prochaine interview.

Amel Belhadj Ali