La mission de la Caisse des Dépôts et de Consignation revêt une grande dimension d’intérêt général estime Najia Gharbi directrice générale. La CDC est le bras financier de l’Etat, c’est un investisseur public de long terme dont les ressources sont mobilisées pour des investissements productifs dans des projets économiquement viables.

Elle accompagne les entreprises en difficultés, finance des projets d’infrastructures et apporte son expertise aux collectivités locales qui souhaitent lancer des projets. Elle investit également dans le domaine des technologies vertes, encourage la transition énergétique, favorise la transition numérique et accompagne les projets innovants. Najia Gharbi qui croit dur comme fer que la technologie est la clé du progrès économique bataille pour garder les startuppers et les porteurs de projets innovants en Tunisie.

Le point dans l’entretien ci-après :

La CDC en tant qu’investisseur public peut-elle compenser le manque d’investissements publics à l’échelle de l’Etat ?

Le rôle que joue l’Etat reste incontournable et irremplaçable, puisque l’investissement public au sens large du mot couvre plusieurs domaines et secteurs ce qui n’est pas le cas pour les autres investisseurs même dits public. Je parlerai plutôt de complémentarité et pas de remplacer. Le plus de la CDC c’est cet héritage de l’Etat de la notion d’intérêt général, de la patience et du long terme qui caractérise l’action de la Caisse. Notre apport est plus ressenti dans les projets en partenariat public privé où la CDC est sensée jouer un rôle important de part les missions qui lui ont été confiées par son décret-loi de création.

Accompagner les entreprises en difficulté dans leur volet innovation technologique, participer aux financements des start-up, investir des centaines de millions de dinars dans le capital transmission/retournement, la CDC a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

La CDC intervient en mode effet de levier, c’est un format intelligent de partenariat public privé où se conjugue argent public et contribution privée. Cette conjugaison des efforts des différents partenaires de l’écosystème procure à la fois une implication collégiale dans toutes les initiatives entreprises et permet à ces acteurs de s’initier pour de prochaines expériences encore plus élaborées. La présence de la CDC en tant que Tiers de confiance en tant que garant aide nos partenaires à investir en toute quiétude et oser le changement.

La CDC est appelée en fait à gérer les ressources qui lui sont confiées mais aussi à mobiliser les ressources nécessaires pour financer son programme d’investissement et les projets initiés dans le cadre de sa vision stratégique d’investisseur responsable, d’impact et de Long terme.

“La CDC est le bras financier de l’Etat, un investisseur public de long terme dont les ressources sont mobilisées pour des investissements productifs dans des projets économiquement viables.” – Najia Gharbi

Quels sont les programmes mis en place par la CDC pour accompagner les PME ?

Les initiatives sont multiples, en majeure partie en mode indirect via le fonds d’investissement que les sociétés de gestion créent pour répondre aux besoins du marché.

Une petite comparaison montre que le marché a bien évolué depuis la création de la Caisse en 2011. En effet, le montant total investi est de 3.466 millions de dinars tunisiens sur la période 2011-2022 dans le Private Equity la CDC, a contribué avec des souscriptions totalisant 446 millions de dinars tunisiens, dans 26 fonds à la fin de 2022, dont 21 locaux et 05 internationaux, nous avons contribué à la création de sociétés de gestion et de Fonds d’investissement, renforçant ainsi le marché du Private Equity en Tunisie.

“La CDC intervient en mode effet de levier, c’est un format intelligent de partenariat public privé où se conjugue argent public et contribution privée.” – Najia Gharbi

La CDC a ciblé particulièrement les PME innovantes via le fonds Innovatech géré par Smart Capital, en parallèle avec le fonds de fonds ANAVA dédié au financement des startups.

La CDC a aussi contribué à l’accompagnement des PME à travers des programmes dédiés pour soutenir les initiatives qui couvrent un large spectre de besoins de développement des PME notamment dans le cadre de la coopération avec l’AFD, exemple du programme ENLIEN dédié au financement des initiatives d’accompagnement et de financement des Projets initiés par les jeunes via les prêts d’honneurs et le Programme FAST dédié aux initiatives et programmes d’accompagnement et d’accélération des projets initiés par des femmes dans les régions, etc.,…

Vous avez mis en place un plan d’action spécifique destiné à des régions comme Sidi Bouzid et Kasserine, pourquoi ces régions et ne pensez-vous pas qu’il faut également y travailler sur la culture de l’entrepreneuriat ?

La réponse me parait évidente, certes Sidi Bouzid et Kasserine ne sont pas les seules régions qui connaissent des difficultés, mais une action de taille dans ces régions bénéficie d’un effet d’annonce important qui servira à donner de l’espoir aux gens qui se sentent longuement délaissés.

D’un autre coté le programme s’intègre dans la composante corridor économique qui vient compléter le programme infrastructure Route Corridor financé par la Banque Mondiale et qui touche principalement les deux gouvernorats Kasserine et Sidi Bouzid. Nous consacrons aussi un compartiment dédié à ces deux régions dans le fonds Impact.

“La CDC est devenue un acteur connu par sa ligne directrice de duplication de toute action entreprise par ses soins.” – Najia Gharbi

La CDC est devenue un acteur connu par sa ligne directrice de duplication de toute action entreprise par ses soins. Chaque duplication bénéficie des expériences vécues. Le choix porté sur Sidi Bouzid & Kasserine, a ses fondements logiques et historiques.

D’autres initiatives suivront une fois la réussite est assurée. Nous avons d’ores et déjà engagé des discussions avec d’autres bailleurs de fonds pour pouvoir lancer le compartiment hors corridor du fonds Impact.

Pourquoi estimez vous que la CDC doive être partie prenante d’un projet comme la zone franche de Ben Guerdane ?

La CDC est investisseur public de long terme, un investisseur d’impact et d’intérêt général qui a pour première vocation l’investissement dans l’infrastructure. La Zone franche de Ben Guerdane est un concentré des éléments qui concordent avec la vision et la stratégie d’intervention de la CDC, la présence de la Caisse est donc bien justifiée et le contraire aurait été objet d’étonnement.

Il s’agit aussi d’un projet type de PPP institutionnel où des partenaires publics (CDC et Office de Commerce) et privés (Cambres de Commerce et Sicars), se lancent pour développer la zone franche mais aussi pour agir ensemble pour booster ce projet afin d’atteindre les objectifs de développement assignés.

Vous avez clôturé des projets comme Save, Enlien, Flywheel, Joussour, Fast, Mezzanine et autres, avez-vous évalué ces expériences ?

Ces initiatives sont financées par des bailleurs de fonds internationaux et ont été approuvés par notre commission de surveillance. La CS exige un état de suivi à chaque réunion du conseil de la CDC d’une part, d’autre part les bailleurs de fonds n’ont consenti de traiter avec la CDC qu’après de longues missions d’audits approfondis de nos normes prudentielles et d’audit.

Tout financement par des bailleurs de fonds internationaux est un sujet de suivi concomitant, à mi-parcours et après clôture menés par leurs équipes en plus du suivi des instances internes de la CDC.

“La CDC est un acteur économique contracyclique qui intervient au creux de la vague comme catalyseur pour assurer une bonne reprise.” – Najia Gharbi

Quelques indicateurs chiffrés : Save a permis de sauver 60 Startups en pleine période COVID, EnLien a permis d’accompagner 1.881 agriculteurs dont 43% des femmes dans le cadre du projet Souk el Kahina, de soutenir 635 projets, de créer 2.309 emplois, de financer 570 projets dont 48% créés par des femmes, de créer 251 startups dont 97 ont été labelisés, et d’octroyer 231 prêts d’honneur pouvant augmenter par l’effet multiplicateur grâce au redéploiement des revenus des remboursements. Le programme a permis aussi de mobiliser 312 experts au profit des projets accompagnés.

Le Programme FAST, Femmes Accélération Startups et TPE, qui a démarré en 2022, soutient 18 structures d’accompagnement entrepreneuriales sur toute la Tunisie dont 11 programmes dédiés aux femmes dans les régions hors grand Tunis, 4 initiatives d’accélération et d’internationalisations et des startups et 3 initiatives d’open Innovation.

Les réalisations chiffrées de l’impact de FAST seront partagés par la CDC en partenariat avec l’AFD à la clôture du programme prévue fin de cette année.

Comment selon vous la CDC pourrait être un acteur efficient dans l’accompagnement sauvetage des entreprises mais aussi dans des accompagnements personnalisés qui permettent de projeter nombre d’entreprises dans l’économie de demain, hautement technologique, verte, orange, circulaire, dans une économie où l’intelligence artificielle, la robotique et la nanotechnologie représentent une part importante?

La CDC Acteur d’intérêt général au service de l’économie nationale et de son développement, est aussi un acteur économique contracyclique qui intervient au creux de la vague comme catalyseur pour assurer une bonne reprise. De ce fait découle l’action menée par la Caisse depuis la crise du COVID avec le lancement des fonds et initiatives : Impact 100 MD, Aspire 100 MD, Empower 300 MD, Relais 100 MD.

Notre action ne s’est pas limitée à ces fonds, un fonds de restructuration est en cours de mise en place. Il s’agit d’une ligne de financement de 40 M$ mise à la disposition de la CDC par le FADES, qui sera dédiée aux souscriptions dans les fonds qui investissent dans les PME en restructuration financière mais qui ont un potentiel important de relance.

“La CDC attend plus de célérité des parties prenantes et publiques afin qu’on puisse rattraper le retard post révolution et atteindre une vitesse de croisière en matière d’investissement et de développement du pays.” – Najia Gharbi

Quant aux PME innovantes, une initiative est venue compléter le schéma d’investissement ANAVA (Start Up Act) dédiée non pas aux startups mais aux PME à savoir la fonds INNOVATECH dont la CDC est jusque-là mono-souscripteur, en plus de sa contribution directe dans les technopoles qui jouent un rôle important dans le développement technologique du pays.

Comme vous le constatez, la CDC n’épargne aucun effort pour être toujours présente en tant que soutient au développement et veille à répondre aux besoins qui surgissent

Qu’attend la CDC de l’Etat tunisien pour réussir sa mission ?

La CDC fait partie de l’Etat, comme mentionné plus haut, nous sommes le bras financier de l’Etat tout en disposant d’un management autonomie. La CDC représente un nouveau modèle économique qui traduit une vision moderne de l’action publique, plus mure, plus impliquée mais surtout plus participative qui valorise l’action commune et accepte d’être un partenaire avec les acteurs privés.

La CDC attend plus de célérité des parties prenantes et publiques afin qu’on puisse rattraper le retard post révolution et atteindre une vitesse de croisière en matière d’investissement et de développement du pays.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali