Le conseil des ministres a adopté, le 25 janvier 2024, un projet de loi autorisant la Banque centrale de Tunisie (BCT) à accorder des facilités financières au Trésor public. Cette décision, qui vient amender, de fait, le 4ème paragraphe de l’article 25 de la loi 2016-35 régissant le statut de la Banque centrale de Tunisie, ne remet pas totalement l’indépendance de la BCT en cause. Elle a toutefois, suscité un débat divergent entre partisans et opposants.

BCT Kais Saied D’emblée, on peut dire qu’elle est loin d’être une surprise. Elle était attendue depuis la visite inopinée qu’avait effectuée, le 8 septembre 2023 le président de la République Kaïes Saïed à la Banque centrale de Tunisie (BCT). Le motif majeur de cette visite était de préparer le terrain pour l’amendement de l’article 25 de la loi 2016-35 régissant le statut de la Banque centrale de Tunisie.

L’article 25 qui pose problème

Cet article stipule que « la Banque centrale ne peut pas octroyer à la trésorerie générale de l’Etat des facilités sous forme de découverts ou de crédits, ni acquérir directement des titres émis par l’Etat ».

Cet article ne semble du goût du Chef de l’Etat car « il profiterait aux banques et leur ferait bénéficier de marges d’intérêt ».

Concrètement, l’amendement proposé sera perceptible à travers les gains qu’il va générer aux Caisses de l’Etat. Ainsi, au lieu de rembourser les crédits octroyés par les banques commerciales à l’Etat, moyennant un taux d’intérêt de 7% (4% au profit de la BCT, et 3% au profit des banques commerciales), l’Etat sera appelé à payer des intérêts de l’ordre de 4% uniquement.

“La Banque centrale et celui qui la gouverne -bien celui qui la gouverne- doivent se rappeler que la BCT est une institution publique et qu’elle n’est pas indépendante de l’État. Elle n’a qu’une indépendance au niveau de la politique monétaire” – Kaïes Saïed, président de la République

Par de là ces détails, il faut dire que l’indépendance de la BCT consignée dans la loi adoptée, en 2016, sous la pression du FMI et de l’Union Européenne,  n’a jamais été du goût du Président de la république. Quelque part, elle dérange son penchant souverainiste.

Première victime de cet amendement, le départ probable de l’actuel gouverneur de la BCT

Cette décision intervient également après la mise en garde adressée, le 24 novembre 2023, par le président de la République de la République aux défenseurs de cette indépendance.

Au cours d’une réunion groupant le chef du gouvernement Ahmed Hachani, la ministre de la Justice, Leila Jaffel et la ministre des Finances, Sihem Nemsia, le chef de l’Etat a tancé, directement, le gouverneur de la BCT Marouane El Abbassi.

Enervé,  le chef de l’Etat a déclaré : « La Banque centrale et celui qui la gouverne -bien celui qui la gouverne- doivent se rappeler que la BCT est une institution publique et qu’elle n’est pas indépendante de l’État. Elle n’a qu’une indépendance au niveau de la politique monétaire».

“L’indépendance de la BCT, ne saurait être sans limites et doit se borner principalement au niveau de tout ce qui a rapport à la préservation de la stabilité des prix” – Abdelkader Boudrigua, président du cercle des financiers

Conséquence : depuis cette mise en garde, on parle de plus en plus du départ de Marouane El Abbassi dont le mandat prend fin, le 17 février 2024, à cause, entre autres, de son attachement exagéré à cette indépendance de l’Institut des émissions.

Pour les partisans de cette décision qui amende de fait l’article 25, particulièrement le Chef de l’Etat, le gouvernement et le bloc parlementaire de la Ligne nationale souveraine (LNS) cette décision était impérative. Ils estiment qu’au regard de la situation économique difficile qui prévaut dans le pays, la BCT se doit de soutenir le Trésor.

Le président du cercle des financiers, Abdelkader Boudrigua, estime que « l’indépendance de la BCT, ne saurait être sans limites et doit se borner principalement au niveau de tout ce qui a rapport à la préservation de la stabilité des prix ».

Gare aux abus

Pour les opposants à cette décision dont le gouverneur de la BCT et le conseil d’administration de cette institution, ils redoutent les abus et dérapages. Ils  considèrent que « la restauration du financement direct de l’Etat par la BCT, même dans le cadre de limites légales ignorent que lorsqu’une brèche est ouverte elle risque de donner lieu à des abus et à des détournements de la loi, simplement pour offrir des solutions faciles et temporaires au gouvernement ».

La décision d’autoriser la BCT à accorder des facilités au Trésor n’est pas du reste une première. La BCT ayant déjà plusieurs fois fait des avances sur les dividendes de l’Etat pour le Trésor. La BCT l’a fait de manière déguisée dans les années 80 et 90.

“La restauration du financement direct de l’Etat par la BCT, même dans le cadre de limites légales ignorent que lorsqu’une brèche est ouverte elle risque de donner lieu à des abus et à des détournements de la loi, simplement pour offrir des solutions faciles et temporaires au gouvernement” – Gouverneur de la BCT

Durant la dernière décennie, la BCT avait octroyé au de gouvernement Youssef Chahed, le montant de 2,810 Milliards DT, en une seule tranche et en franchise d’intérêt.

Cela pour dire que cette décision est essentiellement conjoncturelle, comme cela a été le cas dans le passé. Néanmoins, elle a pour mérite d’interpeller les monétaristes et les budgétistes. Ces derniers sont appelés à coopérer davantage pour le bien du pays. Est-il besoin de rappeler que durant la décennie noire (2011-2021) les monétaristes (BCT…) et budgétistes (Gouvernement…) ont évolué comme s’ils étaient dans des bantoustans…