Il faut le vivre pour le croire ! Mais le mur de la peur, que nombre de Tunisiens croyaient tombé en 2011, laissant place à la libre expression, socle important pour une démocratie naissante, même si importée (sic), est en train de s’élever à nouveau et de plus en plus haut faisant taire des voix qui ont eu la naïveté de croire que rien ne pouvait les faire taire après la « révolution » de la liberté et de la dignité. (resic)

Les illusions rassurent jusqu’à ce qu’un fait, un incident, une attitude lèvent le voile sur une réalité que l’on refusait de voir et là c’est le désenchantement. Croire que l’idéal auquel on aspirait est réalisable est consolant jusqu’à ce que les faits de tous les jours ne répondent plus à nos attentes.

En Tunisie, on a voulu croire en l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui proclame que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions… »

Les chutes brutales des régimes ouvrent grandes les portes à l’anarchie et depuis 2011, c’est une liberté d’expression débridée et incendiaire qu’a vécu le pays. Une liberté de diffamer et d’insulter, n’épargnant personne et massacrant des réputations sans aucune vergogne.

C’est peut-être ce qui a fait qu’une partie des activistes politiques et de la société civile ont apprécié le rétablissement de l’autorité de l’Etat bénéfique pour la liberté d’expression ne pensant pas que la promulgation du décret 54 allait la museler autorisant les juges à user de leur pouvoir discrétionnaire pour décider si une expression libre mérite la prison ou pas !

Pire, il est des situations où on intervient directement dans les lignes éditoriales ou le choix des chroniqueurs commentateurs de certaines émissions.

Studio Shems sur la sellette

Ce fût le cas de l’émission Studio Shems à Shems FM lorsque Zina Zidi, journaliste animatrice fût sommée de se démettre d’un chroniqueur dont les propos auraient apparemment dérangé des hauts placés.

Anis Boughattass chroniqueur avait commenté l’arrestation de Adel Grar, ancien DG d’Al Karama Holding disant, à juste titre, que si nous devons sanctionner les responsables les cessions désastreuses des biens confisqués, il faut aussi engager la responsabilité de la Commission Nationale de Gestion d’Avoirs et des Fonds objets de Confiscation dont la mission selon le décret-loi n°2011-68 du 14/07/2011 est, entre autres, de prendre toutes les mesures relatives aux droits liés aux valeurs mobilières et parts et titres objets de confiscation ou de récupération, la gestion du portefeuille des valeurs mobilières et droits y rattachés, des parts et titres et des biens meubles et immeubles objet de confiscation ou de récupération et de prendre les mesures nécessaires qui concernent les contrats en cours pour garantir la continuité de leur exécution et de déterminer les procédures de cession par des guides qui seront publiés.

L’observation avisée de Anis Boughattas, n’a apparemment pas été au goût des décideurs en la matière et Zina Zidi a été sommée de déclarer Anis Boughattas persona non grata en tant que chroniqueur dans son émission.

Zina Zidi n’avant pas obtempéré, Me Boughattas a été informé directement par la radio que sa participation n’était plus souhaitée.

Réagissant à cette invective inacceptable dans un pays qui pensait avoir gagné un seul privilège après la chute de l’ancien régime, celui de la libre expression qui du reste, pour son grand malheur, s’érode de jour en jour, les autres chroniqueurs ont déclaré de leur plein gré suspendre leur participation à Studio Shems, sachant qu’ils sont tous volontaires et bénévoles.

Le plus grave dans cette histoire est qu’il n’y avait pas de fausses informations, de la diffamation, des insultes ou de fausses accusations, le commentateur s’est contenté de rappeler le rôle de la Commission Nationale de Gestion citée plus haut et de préciser que si faute, il y a, elle ne peut être uniquement celle de la direction d’Al Karama Holding.

La réaction des maîtres des lieux au ministère des Finances nous pousse à nous poser les questions suivantes :

  • Quant on n’a rien à se reprocher pourquoi s’offusquer des propos d’un commentateur à propos d’une affaire qui a défrayé la chronique ?
  • Dans un pays qui se dit doté d’une constitution garantissant la liberté d’expression, de quel droit un responsable aussi haut placé soit-il se permet-il d’intervenir dans les contenus des émissions et de décider des lignes éditoriales de médias qui agissent dans le respect des lois et règles en vigueur ?

Le grand journaliste qu’est Philippe Bouvard a un jour déclaré parlant de la France : « Au train où nous roulons, la liberté d’expression se résumera bientôt au droit de dire qu’on est très heureux de ne plus rien pouvoir dire ».

Si la pression sur les médias en Tunisie continue, nous deviendrons nous aussi heureux de ne plus rien pouvoir dire.

La liberté de penser, c’est aussi la liberté d’exprimer ses opinions et ses pensées.

Amel Belhadj Ali