« Un développement régional équitable et un aménagement intégré du territoire, une justice sociale fondée sur la solidarité sociale, un capital humain moteur du développement durable, une économie du savoir dynamo de l’innovation et de la créativité, une économie compétitive, diversifiée appuyant l’initiative privée et une économie verte adaptée au changement climatique », c’est en substance les axes de la politique économique de l’Etat présentée par Ahmed Hachani chef du Gouvernement au parlement lors du coup d’envoi des discussions sur le projet de loi des Finances 2024.

Le Chef du gouvernement affirme être optimiste et c’est rassurant, il est ambitieux aussi et c’est réconfortant mais comment atteindre tous ces objectifs et par quels moyens ?

Parmi les mesures annoncées, l’approbation du projet de carte d’identification biométrique et du passeport biométrique pour répondre aux normes internationales, l’avancement sur les projets publics bloqués dans les domaines du Transport, de la Santé et des infrastructures, l’achèvement de la consultation sur les projets de textes réglementant l’inclusion financière et le code des changes et celle sur la révision de la loi n°9 de 1989 réglementant les contributions et les établissements publics. Il a également cité l’article 96 du Code pénal et l’article 411 du Code du commerce relatif à l’émission de chèques sans provision ainsi que l’audit sur les recrutements et l’intégration dans la fonction publique, les institutions et les établissements publics visant à améliorer la gouvernance de toutes structures étatiques.

Ces mesures qui sont certes appréciables pourraient-elles métamorphoser le modèle économique en place projetant le pays dans le futur avec l’IA, l’économie verte, bleue, orange, la nanotechnologie, la robotique, etc ?

La révolution tunisienne n’a pas été suivie d’une révolution du savoir.

Peu probable sans une révolution des lois et des mentalités ! La prétendue révolution tunisienne n’a pas été suivie d’une révolution du savoir sans parler des mauvaises pratiques installées par les prédateurs du pouvoir depuis 2011 sans ambition, sans programme et sans vision mais excellant dans la chasse aux sorcières, la culture de la haine et la vindicte !

Le gouvernement Hachani doit donc bouleverser l’ordre établi à ce jour en s’attaquant sans trop tarder aux véritables maux de l’économie nationale et en prime la petite et moyenne corruption que nous trouvons dans des strates différentes de l’administration publique dans la logique instituée depuis plus de 10 ans de « koul w awakkel » (profites et laisse les autres profiter). Pour ce, non seulement il faut faire la grande purge en écartant les incompétents, les amnistiés promus à des postes de hauts cadres et les partisans du moindre effort mais il est impératif d’engager sans tarder le chantier de la digitalisation quoiqu’il en coûte parce que l’Etat en sortira systématiquement gagnant. Si la corruption s’est développée à un rythme effréné ces dernières années, c’est par le contact physique, la digitalisation éliminera tout contact physique et mettra fin au népotisme et aux services rendus aux dépens des intérêts de l’Etat.

Garder les compétences et relancer la machine énergétique

L’Etat tunisien devrait aussi mettre en place un plan d’action pour garder des compétences dont il a grandement besoin. Professeur Sadek Chaabane, ancien ministre de la Justice vient de publier un post où il cite des chiffres effarants. « Notre véritable richesse est en train de partir en fumée. Selon l’IACE, le coût de formation d’un médecin spécialiste est de 12 MD, celui d’un ingénieur est de 2,7 MD. Entre 2015 et 2020, médecins spécialistes et 39 000 ingénieurs ont quitté le pays en direction de l’Europe et des pays du Golfe, ce qui coûte au pays, 2000 MD chaque année » !

Y’a-t-il de plus grosses pertes dans un pays saigné à blanc dans ce qu’il a de plus cher et qui n’arrive même pas à relancer l’exploitation de ses ressources naturelles ?

Notre véritable richesse part en fumée avec le départ de nos compétences

Aux dernières nouvelles (Mois d’octobre) les exportations du secteur de l’énergie ont baissé de -35,7% et celles des mines, phosphates et dérivés de -27,3%, ce qui devrait pousser le gouvernement à prendre les mesures qui s’imposent pour mettre fin à la dérive de ces activités.

S’agissant des énergies renouvelables citées par le Chef du Gouvernement, quelles sont les mesures concrètes prises par l’Etat pour assurer une véritable dynamique du secteur ?

A ce jour, la Tunisie traine du pied alors que ses voisins Maroc et Algérie avancent à grands pas développant les centrales photovoltaïques et même l’hydrogène vert que l’Algérie grande productrice de gaz et de pétrole exporte vers l’Italie via la Tunisie ! Devons-nous en rire ou en pleurer ?

Pendant ce temps des dossiers, des projets sont en attente au ministère de l’Industrie sans ministre à ce jour laissés à la merci des directeurs généraux, les agences telle l’ANME en charge de développer le secteur ne peuvent pas déployer leurs ailes sans l’approbation d’un premier responsable capable de voir et de décider !

Aussi, beaucoup d’entreprises en difficultés ont fermé leurs portes et face à un climat d’affaires peu encourageant, les investisseurs potentiels rechignent à mettre leur argent dans un pays où ils passent pour des « voleurs ». De grands chefs d’entreprises ont préféré fuir le pays plutôt que de comparaître devant la justice.

Et Même les déclarations rassurantes du Président de la République recevant le président d’une UTICA, elle-même, en situation d’illégitimité électorale, n’arrivent pas à les convaincre de se fier au système.

Une baisse de la population active de près de 64 000 individus

Résultat des crises successives de l’économie nationale, de l’absence de visibilité et de confiance : une baisse au troisième trimestre de 2023 de la population active de 63,8 000 individus, ce qui n’est pas peu, correspondant à une diminution de 1,1 point de pourcentage du taux d’activité.

Même les startups censées être encouragées ne trouvent pas leur compte. A ce propos, une étude réalisée par Tunisian Startups, en partenariat avec la Fondation Friedrich Nauman, sera incessamment présentée. On y parle de l’accès limité au marché international, des difficultés d’accès aux marchés publics, des barrières à l’entrée pour les startups et des complications liées aux transactions financières internationales qui font que nos startups préfèrent s’installer ailleurs.

L’heure n’est plus aux grandes promesses, mais aux grandes décisions économiques

​​​​​​​Alors que l’activité économique a enregistré un repli de la croissance du produit intérieur brut en volume de -0,2 %* au cours du troisième trimestre de l’année en cours (juillet à septembre 2023), l’heure n’est plus aux grandes promesses, elle est plutôt celles des grandes décisions.

Nous avons compris que l’orientation de la politique économique tunisienne est sociale mais ce n’est pas en encourageant à tout va les sociétés communautaires que nous pourrions réussir plus de cohésion sociale et assurer un meilleur bien-être de la société.

Une économie sociale concilie les dimensions sociales, économiques et financières et peut dans le même temps créer des richesses. C’est donc un nouveau modèle économique que prône le Chef du gouvernement.

La question est : par quels mécanismes, quelles lois, quelle administration, quels moyens, il pourrait y parvenir ? Ce qui nous amène à nous poser une autre question : la politique de relance prônée par Ahmed Hachani est un objectif réalisable ou une espérance insensée ?

*Source : INS