Mehdi Bhouri, fondateur de WaterSpirit, est un challenger dans l’âme et un pur produit de la société civile, si l’on peut dire. Il a été actif dans nombre d’associations, car ne pouvant limiter son énergie à un seul cadre. Rêvant souvent, se surpassant toujours, il a décidé, après 14 ans dans un poste qu’il aimait dans la direction de la monétique de la BCT, de « s’affranchir » pour créer sa propre Start-up : WaterSpirit. Entretien

WMC : De la direction de la monétique à la BCT à la création de Water spirit, comment en êtes-vous arrivé là ?

Mehdi Bhouri: C’est l’amour de ce que je choisi et de ce que je fais. Mes choix de vie ont toujours correspondu à des vocations. Je ne peux me sentir bien que dans un cadre ou je peux me surpasser. Je me suis épanoui dans l’associatif, mais, ensuite, à la BCT que j’appréciais pourtant beaucoup, j’ai senti mon énergie partir car l’administration ne me permettait pas de tout dégager.

Et temps aidant, après avoir été associé à nombre de nouveaux projets à la BCT, j’ai mûri et j’ai commencé à apprécier la politique économique dans son ensemble, mais je ne pouvais décider de rien. Il fallait respecter la hiérarchie.

En 2013-2014, frustré, j’ai voulu faire de la politique croyant que cela me permettrait de changer la donne. J’ai intégré un parti politique pour mieux comprendre les enjeux socioéconomiques et contribuer à la réflexion sur la politique économique. Le parti Afek Tounes était celui que j’ai choisi parce qu’il abritait un labo socioéconomique. J’ai intégré l’équipe et nous avons passé des mois à travailler, dans la commission finances, à faire des propositions pour des textes de lois que nous avons soumis au Parlement, et bien que minoritaires, nous avons fait du beau travail, nous avons passé des amendements, dont la proposition que j’ai faite et que j’ai défendu à fonds, à savoir l’autonomie de la Banque centrale et aussi la loi bancaire.

Mes choix de vie ont toujours correspondu à des vocations

Pourquoi l’autonomie de la BCT était importante pour vous ?

Beaucoup de personnes ne comprennent pas que la loi sur l’autonomie de la Banque centrale est une belle réalisation. Nous devons savoir que c’est ainsi la BCT peut garantir la gouvernance et c’est la meilleure gouvernance est celle de la politique monétaire.

Dans les pays faibles, on essaye toujours de manipuler la politique monétaire à des fins de politique politicienne, mais grâce à la nouvelle loi en Tunisie, le politique ne peut plus intervenir sur la décision de la Banque centrale, chargée, il faut toujours le rappeler, de préserver les équilibrer monétaire du pays.

Et WaterSpirit ?

Au deuxième congrès d’Afek Tounes en 2017, j’ai bien vu que la politique politicienne est revenue en force. J’ai choisi mon camp, nous n’avons pas gagné, j’ai choisi de quitter.

J’aime les gens courageux qui ont du bon sens et dont la vision dépasse les égos, ce n’était malheureusement pas le cas. A ma déception de l’exercice politique dans notre pays, j’ai répondu par l’entrepreneuriat. Je sentais déjà que Afek partait dans une autre orientation, et j’ai senti le besoin de créer quelque chose de grand.

J’ai commencé d’abord à réfléchir au projet. Quel projet pourrait être porteur dans le contexte économique mondial aujourd’hui ? J’ai lu qu’il y avait deux secteurs qui influencent l’avenir du monde: l’info-technologie et la biotechnologie.

Alors j’ai cherché autour de moi les profils qui existent déjà et qui sortent de nos écoles. J’en ai trouvé dans les deux secteurs, mais le problème était que dans le secteur de l’IT, les diplômés restent six mois/un an grand max en Tunisie et partent à l’étranger. Aucune grande entreprise n’arrive à retenir les diplômés de l’IT en Tunisie, parce que très demandés ailleurs.

Ils choisissent de partir pour des raisons pécuniaires et pour une meilleure qualité de vie. Même les startups qui ont réussi dans l’IT ont été obligées à un moment ou un autre de partir ailleurs pour réussir. En revanche dans la biotech, il n’y avait pas beaucoup de demande et aussi beaucoup de chômeurs. Ils choisissent l’enseignement parce qu’ils ne trouvent pas d’embauche pour leurs niveaux et en plus la grande partie des diplômées est composée de femmes qui poursuivent leurs études et décrochent des doctorats.

J’ai pensé que faire un projet dans la biotech pourrait marcher car en matière de ressources humaines, il y a un grand choix. Les diplômés doctorants ou pas ont juste besoin d’être orientés côté business. C’était mon grand défi, et l’aventure a commencé.

La loi sur l’autonomie de la Banque centrale est une belle réalisation

Comment avez-vous évolué ?

J’ai constitué le premier noyau et j’ai commencé à étudier la biotech, les maladies qui ont besoin de biotech, et j’ai trouvé que c’étaient les maladies cardiovasculaires, la cataracte, les maladies neuro-dégénératives, le parkinson, l’Alzheimer et les rhumatismes.

A l’origine de ces maladies, il y a une cause racine : le vieillissement accéléré des cellules qui vient du stress oxydatif, de la pollution et autres raisons liées à l’environnement physique et socioéconomique dans lequel nous évoluons. Et donc si nous trouvons une solution à la cause racine, nous pourrons pallier beaucoup de maladies.

Pour lutter contre ces phénomènes, il y a les antioxydants et dans les antioxydants il s’est avéré que le plus fort et qui peut être commercialisé est l’Astaxanthin qu’on trouve soit dans les déchets des crustacés, la levure, ou la microalgue. La microalgue est la plus importante en quantité et elle est économiquement viable.

Nous avons donc choisi les microalgues et structuré notre projet. A travers un incubateur à Biat Labs, nous avons adopté une approche ligne startup pour faire le proof of Council. Nous avons levé des fonds par étapes et aussi contourné le besoin de lever de grands fonds par des partenariats avec des centres de recherches publics comme l’Institut des Sciences et Technologies de la mer et l’Institut supérieur de Biotechnologie de Sidi Thabet.

J’ai répondu à ma déception de l’exercice politique par l’entrepreneuriat

Vos recherches ont abouti à quoi exactement ?

Le challenge était comment optimiser le processus de production de la microalgue de bout en bout jusqu’au moment où elle synthétise l’antioxydant.

Ensuite, il fallait optimiser le processus d’extradition de la molécule dans des conditions optimales à travers des technologies assez compliquées comme le CO2 supercritique, sachant que la microalgue qui synthétise l’Astaxanthin est la microalgue la plus difficile à cultiver dans le monde.

Et donc comment vous procédez en Tunisie ?

A travers la recherche. Nous avons étudié toute la littérature s’y rapportant, étudié la dynamique de production de la molécule et conduit des essais et des expériences en procédant dans le sens contraire. Nous avons acheté des microalgues riche en Astaxanthin et nous avons commencé à faire l’extradition devant les Business Angels pour les convaincre à nous apporter leur soutien. Avec les fonds que nous avons réussi à décrocher, nous avons constitué l’entreprise.

Nous avons ensuite, en laboratoire, commencé le travail de la maîtrise des phases de la culture de la microalgue. C’est un processus assez complexe qui se fait en deux phases qui doivent chacune être maitrisée.

Et comment comptez-vous vendre le produit ?

Nous avons travaillé sur la valorisation et non sur la commercialisation. Nous avons vendu une petite quantité en 2019 à un laboratoire belge et c’était juste pour un essai. Pour vendre, il faut avoir un minimum de capacité, et à l’étranger on vous demande deux choses: le certificat d’analyse d’un bureau accrédité prouvant l’absence de métaux lourds et de bactéries, outre la capacité de production, et là on parle de centaines de kilogrammes.

Des centaines de kg que nous ne pouvions pas produire à notre démarrage par les moyens d’un petit laboratoire ou des moyens pilotes. Il fallait des moyens quasi industriels, et pour y arriver, le plus petit investissement possible et économiquement rentable est de 6 millions de dinars.

Faire un projet dans la biotech pouvait marcher car il y avait un grand choix de ressources humaines

Comment vous faites pour vivre ?

Au début, nous avions une cofondatrice qui avait gardé son poste et a travaillé pendant des années sans être payée. Nous avons résolu le conflit d’intérêt qui pouvait exister entre l’institut -sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur- où elle travaille et notre laboratoire grâce à un accord de partenariat.

Nous avons ensuite postulé pour un fonds de la Banque mondiale géré par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, et nous avons été sélectionnés avec deux instituts partenaires.

Nous avons pu bénéficier d’un fonds de près de 400 mille dinars investis en grande partie dans les équipements des laboratoires de nos partenaires et pas le nôtre. Nous n’avons rien eu mais cela nous a permis d’avoir un partenaire doté des équipements nécessaires pour avancer dans nos recherches.

Maintenant où en êtes-vous par rapport à la recherche ?

Nous avons finalisé notre process de bout en bout et utilisé le petit résultat que nous avons obtenu pour démarcher des clients potentiels. Nos marchés sont le Canada, l’Europe, les pays du Golfe et la Tunisie.

Aujourd’hui, nous nous préparons à la phase industrielle et nous attendons l’arrivée de tous les équipements. Le process a été évalué par les experts à 835 mille dinars en moyenne. Nous avons récolté 150 mille dinars cash grâce aux Business Angels et à mes propres économies pour aboutir à la phase industrialisation.

Le plus important est que j’arrive à destination

Et qu’en est-il des nouvelles levées de fonds ?

Les dernières levées de fonds sont de 6,2 millions de dinars destinés à passer à la phase industrielle. Une partie des équipements a été achetée et livrée. Elle permet de produire une première quantité à l’échelle pilote grâce au photo-bioréacteur que nous avons acquis.

Aujourd’hui, nous attendons d’autres équipements pour intégrer définitivement la phase industrielle.

Mehdi Bhouri, en voyant votre parcours, on réalise que vous faites les choses dans l’ordre en prenant votre temps, c’est comme d’autres start-up où tout évolue très rapidement. Pourquoi ?

Il s’agit de l’état d’esprit. Ari Maayan, Amérindien, est le premier qui a découvert les vertus de l’Astaxanthin extraite des algues. Je l’ai contacté et il a été très accueillant, il m’a soutenu et encouragé. Ce grand chercheur a une histoire préférée. C’est celle du colibri. C’est un oiseau très petit et très beau, il vole sur place et a une capacité extraordinaire de battre des ailes. La forêt est en flammes et tous les animaux s’affairent pour éteindre l’incendie. Le petit colibri va au fleuve, met de l’eau dans son bec et vient jeter les quelques gouttes sur les flammes. Mais l’incendie continuant à s’étendre, tous les animaux se sont enfuis sauf le colibri. Le pélican vint lui dire : “il faut être fou pour faire ce que tu fais, est-ce que tu crois qu’avec cette goutte d’eau que tu vas éteindre ce grand feu ?”. Le colibri lui répondit : “je ne sais pas si ça va éteindre le feu ou pas, l’essentiel c’est que j’assume ma responsabilité en combattant le feu avec ce que je peux”.

Le colibri a donné l’exemple. Il a une force double, la force de la volonté et la force du battement des ailes. Le battement des ailes, comme on raconte à propos de l’effet papillon, peut provoquer des changements considérables sous d’autres cieux. Energie, engagement, et détermination, c’est ainsi que nous pouvons réaliser nos ambitions. Je prends mon temps mais le plus important est que j’arrive à destination.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali