Ils sont loin les temps où la SOTUPRESSE assurait la distribution de centaines de titres de journaux et de magazines étrangers et tunisiens. Internet et son écosystème n’a épargné aucune activité économique. Ils pèsent aujourd’hui 15,5% du PIB mondial et ont augmenté deux fois et demie plus vite que le PIB mondial au cours des 15 dernières années.

L’une des victimes en titre est l’édition et la presse écrite que l’évolution technologique a sérieusement affectée. La presse écrite est aujourd’hui supplantée par les journaux et les sites électroniques ainsi que par les réseaux sociaux.

Le recul de la presse écrite a eu un impact direct sur toute la chaîne de valeur y compris les sociétés de distribution dont l’un des portes étendards en Tunisie a été la Sotupresse.

La Sotupresse et les autres sociétés de distribution pourront-elles résister à l’invasion du net ? Réponses de Sami Yeddes, directeur à la Sotupresse.

WMC: Qu’en est-il du secteur de la distribution après le développement des médias numériques et le recul de la presse papier ?

Sami Yeddes : Aujourd’hui, nous assurons principalement la distribution de la presse étrangère. Nous distribuons également des titres nationaux mais ce sont des magazines, et leur nombre ne dépasse pas une dizaine. C’est évidemment insignifiant par rapport aux 700 titres étrangers que nous distribuons, dont malheureusement le nombre commence à baisser parce que les ventes ont diminué.

Le réseau de distribution s’est rétréci comme peau de chagrin. Auparavant, nos clients étaient les libraires et les propriétaires de kiosques. Aujourd’hui, la presse écrite ne suscite plus le même engouement auprès des différentes clientèles. Les comportements ont changé et les kiosquiers préfèrent remplir leurs étagères d’autres produits qui se vendent plus facilement et sont plus rentables. Un frigo de vente d’eau en bouteille ou un présentoir de chips sont beaucoup plus rentables qu’un présentoir de magazines ou de journaux.

Les ventes aussi sont en baisse, à cause du pouvoir d’achat d’abord, ensuite, il y a le problème de la non maîtrise des langues étrangères, mais surtout à cause du pouvoir d’achat et du développement des médias électroniques qu’on peut lire en PDF ainsi que des réseaux sociaux où les gens pensent trouver de l’information.

La presse écrite est aujourd’hui supplantée par les journaux et les sites électroniques ainsi que par les réseaux sociaux

A ce rythme-là, quel avenir, d’après vous, pour le secteur de distribution de la presse écrite ?

Avant de parler d’avenir, décrivons la réalité. Dans les années 2000, à la station Place de Barcelone, il y avait trois kiosques qui vendaient journaux et magazines ; dans les stations des trains, il y avait aussi les vendeurs ambulants de journaux, mais plus maintenant.

Si vous prenez le train ou le métro, vous ne verrez plus personne lire un journal. Tout le monde regarde son smartphone. C’est la raison pour laquelle le réseau de distribution s’est rétréci.

Ceci conjugué aux difficultés au niveau de l’importation. Il y a des frais qui ont été rajoutés. C’est malheureusement devenu notre lot quotidien. A chaque jour, de nouveaux tarifs. Il arrive quelquefois que nous soyons facturés même si la livraison n’a pas été reçue dans nos magasins. A titre d’exemple, les quotidiens qui viennent de France. Avant, les journaux étaient expédiés le jour de leur parution, l’après-midi à Tunis. Plus maintenant à cause des coûts élevés du transport. On nous envoie les journaux 2 ou 3 fois par semaine. Le transport aérien a doublé de coût, le fret aussi.

Ensuite, il y a les coûts de livraison en Tunisie. Avant, on avait Dispresse, qui assurait la distribution de la presse sur tout le territoire national, nous y étions nous-mêmes actionnaires. Nous distribuions par nos propres moyens sur le Grand Tunis, mais à l’intérieur du pays c’est plutôt la Dispresse qui prenait le relai.

Malheureusement, cette entreprise a fait faillite et même notre participation au capital qui était de l’ordre de 10% est parti avec.

Le réseau de distribution s’est rétréci comme peau de chagrin. Auparavant, nos clients étaient les libraires et les propriétaires de kiosques. Aujourd’hui, la presse écrite ne suscite plus le même engouement auprès des différentes clientèles

Il n’y a pas d’autres alternatives ?

A un certain moment, nous nous sommes orientés vers les transporteurs pour la distribution à l’intérieur du pays, mais nous sommes soumis à la convention de la presse écrite qui exige de bons salaires, ce qui fait que le coût du transport est très élevé.

Nous avons sous-traité la distribution avec des transporteurs spécialisés, qui livrent pour nous, pour le journal La Presse de Tunisie aussi, et les autres quotidiens. Le transporteur calculait un coût collectif sur tous les titres, mais comme il y en a qui ont disparu et d’autres qui assurent eux-mêmes la distribution, le coût est devenu très élevé pour nous.

Aujourd’hui, il n’y a plus de titres à distribuer. Le journal La Presse est absent à l’intérieur de la République, ALChourouk assure sa propre distribution, et nous ne savons pas comment font les autres.

Comment envisagiez-vous l’avenir dans ces conditions ?

Nous sommes en train de tout renégocier : nos contrats avec les transporteurs, les fournisseurs aussi, et même avec nos employés. Nous avons réduit notre effectif pendant ces dix dernières années : de soixante, nous sommes aujourd’hui une vingtaine.

Le problème a commencé après le 14 janvier 2010, entre 2011 et 2012, les ventes ont grimpé à cause de l’évènement.

Avant, nous vendions la presse étrangère avec les restrictions sur certains titres. Il y avait des difficultés à distribuer certains magazines et hebdomadaires. Nous vendions « ce qui était censuré » si je puis dire et l’interdit était porteur. Nombreux étaient nos compatriotes qui voulaient avoir des informations sur la Tunisie, en lisant la presse étrangère parce que, pensaient-ils, elle était plus crédible. Il y avait aussi les touristes qui achetaient leurs journaux et magazines dans les hôtels, ce qui boostait les ventes.

Nous vendions aussi les titres pour enfants.

Actuellement il n’y a plus d’interdit et il y a le digital, la presse numérique et tous les sites ainsi que les réseaux sociaux où on peut s’informer. Le besoin se ressent beaucoup moins d’acheter des titres étrangers. Le nombre de touristes a baissé et la plupart de ceux qui fréquentent les hôtels sont des Tunisiens qui préfèrent faire des dépenses pour les études et le parascolaire. Avec l’augmentation des prix des magazines, les parents n’achètent plus, et ne peuvent plus se permettre cela.

Nous sommes à 40% du chiffre d’affaires que nous réalisions en 2010/2011, et même avant bien que les prix de vente aient augmenté

Quel est votre chiffre d’affaires aujourd’hui ?

Nous sommes à 40% du chiffre d’affaires que nous réalisions en 2010/2011, et même avant bien que les prix de vente aient augmenté.

Comment faites-vous pour couvrir les frais de fonctionnement ?

Je ne vous donne pas les détails, mais en termes de grandeur, nous sommes passés d’une entreprise bénéficiaire à déficitaire pendant 4 ans. Les trois dernières années, grâce aux assainissements auxquels nous avons procédés, nous réussissons tout juste à réaliser un équilibre financier. Nous ne dégageons pas de bénéfices, c’est encore tôt, nous sommes tout juste dans l’équilibre des exercices. Il nous faut encore du temps pour couvrir les pertes cumulées.

Mais est-ce que vous estimez que vous avez un avenir, dans la presse ?

Dans la presse, c’est un peu difficile. Nous sommes aujourd’hui en train de diversifier nos activités et nos produits. Nous vendons des romans, des ouvrages éducatifs, etc. Nous sommes conscients qu’il faut chercher d’autres créneaux, pour pouvoir maintenir l’effectif que nous avons gardé. Les séniors sont partis, et maintenant nous n’avons que les jeunes, j’espère que nous pourrons redresser la barre avec d’autres perspectives.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali