Au départ, c’est Sami Aouadi, économiste universitaire et syndicaliste, qui avait donné la sonnette d’alarme. Il a déclaré, récemment, que parmi les obstacles qui empêchent les investisseurs étrangers à s’implanter en Tunisie, figure en bonne place la régression inquiétante de l’investissement public dans la formation professionnelle. « Pourquoi un investisseur étranger viendrait en Tunisie s’il ne trouve pas de main-d’œuvre qualifiée ?», s’interroge-t-il dit.

De nos jours, il n’est pas le seul à le constater. Les industriels viennent de le rejoindre et de le relayer. Ils demandent, à gorge déployée, à l’Etat de se démener pour booster la formation professionnelle.

Dans une déclaration faite le 27 octobre 2022, sur les ondes d’une radio privée, Akram Belhaj, président de la Chambre nationale du cuir et chaussure relevant de l’UTICA, a révélé que le bureau de la Chambre a demandé, en vain depuis 8 mois, à rencontrer le ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi pour le sensibiliser à cette problématique. Celle-là même qui consiste à former en urgence une main d’œuvre spécialisée et d’une nouvelle génération d’industriels dans le secteur du cuir et chaussure.

Tout en déplorant ce « silence radio » de la part du ministère, il a ajouté que l’offre d’emploi dans le secteur est très forte, faisant remarquer toutefois qu’en l’absence d’investissement public dans la formation d’une nouvelle génération d’ouvriers, il sera difficile de remplacer, à moyen terme, les départs à la retraite.

Blocages

Outre la pénurie de main d’œuvre qualifiée, Akram Belhaj a cité, lors d’une conférence de presse sur « les marchés publics de chaussures et articles manufacturés similaires », un autre problème qui entrave le développement du secteur et menace sa pérennité. Il s’agit de la prolifération, ces dernières années, de l’importation de chaussures d’occasion au titre de la « friperie ».

Pourtant la loi est claire à ce sujet. Elle interdit strictement l’importation de chaussures d’occasion ; seulement cette loi n’est pas appliquée pour des raisons que les professionnels semblent ignorer, d’après lui.

Autre problème cité par le président de la Chambre nationale du cuir et chaussure, la vente sans contrôle en Tunisie de chaussure et d’articles en cuir importés. Là aussi, la loi est claire. Elle interdit la commercialisation sur le marché tunisien sans la carte technique, alors qu’une grande partie de produits proposés ne sont pas conformes au cahier des charges.

Ce phénomène, qui a pris de l’ampleur, se voit à l’œil nu. Il n’y pas un Tunisien qui n’ait pas connu une mésaventure avec ces chaussures importées qui s’avèrent parfois de très mauvaise qualité. Il les paye au prix fort mais après quelques semaines seulement, plus exactement dès l’apparition des premières pluies, ces chaussures par l’effet de la mauvaise qualité et la périssabilité de leurs composants rendent l’âme très vite et ne sont plus utilisables. Le préjudice est énorme au regard de leur prix très élevé.

Le secteur se défend bien

Abstraction faite de ce tableau noir, et chiffres à l’appui, le secteur du cuir et chaussure, qui emploie actuellement 28 000 personnes contre 45 000 auparavant, a montré qu’il a bien résisté à cette concurrence déloyale importée, pour la plupart du temps avec la complicité de l’administration et d’importateurs véreux.

En témoignent les exportations du secteur au cours des huit premiers mois de l’année 2022. Elles ont augmenté de 30%, avec une valeur estimée à 1,2 milliard dinars, selon Akram Belhaj.

Mieux, la décision gouvernementale d’instaurer, à compter du 17 octobre, le contrôle technique aux postes frontaliers (ports, aéroports, postes frontaliers terrestres…) ne peut que jouer en faveur de la pérennité du secteur.

La balle est maintenant dans le camp du gouvernement. Ce dernier est appelé à faire son job. Celui d’appliquer les lois du pays, d’investir dans la formation professionnelle et de doter cette activité génératrice d’emplois d’une main d’œuvre qualifiée. L’objectif étant d’attirer les investisseurs locaux et étrangers.

Abou SARRA