Dans son analyse des blocages qui empêchent le pouvoir en place d’évoluer positivement, Hatem Mliki, homme politique, technocrate et ancien député, évoque souvent, à l’adresse des médias, des défectuosités-imperfections au niveau de la vision et de la gouvernance. Il s’agit entre autres du déni de la réalité, de l’irresponsabilité et de l’improductivité des réformes entreprises. Certaines incohérences méritent qu’on s’y attarde.

La première incohérence relevée concerne la haute sphère du pouvoir, c’est-à-dire la présidence de la République, plus exactement le chef de l’Etat, Kaïs Saïed. «Il est clair qu’au niveau du leadership et de la vision, on est en train de relever une certaine schizophrénie, une perception erronée des choses, qui m’inquiète beaucoup», note Hatem Mliki dans un entretien accordé à un magazine économique de la place.

Le leadership souffrirait de schizophrénie

Pour preuve, Mliki évoque cette contradiction. Au moment où tout le monde est convaincu que tous les problèmes de la Tunisie sont d’ordre socio-économique et financier, le pouvoir en place est en train d’ignorer cette réalité et de privilégier les réformes politiques. Toutes les mesures et réformes engagées par le Mouvement du 25 juillet 2021 ont des relents politiques.

«Ainsi, dit il, pour une pauvreté très élevée, la réponse est une consultation publique. Pour un chômage qui a atteint des records, la réponse est la réforme de la Constitution. Pour une situation socio-économique alarmante, la réponse c’est d’organiser des législatives anticipées».

La deuxième imperfection serait, d’après Hatem Mliki, l’irresponsabilité. Entendre par-là la tendance du président de la République et certains de ses ministres à se déresponsabiliser, à faire assumer aux autres la responsabilité de certains dérapages et à ne pas reconnaître leurs propres responsabilités par rapport à la population en tant que gestionnaires effectifs de l’Etat tunisien.

Pour Hatem Mliki, cette tendance est très grave. «C’est une situation qu’on a connu avec les islamistes, après le 14 janvier 2011. Aujourd’hui, nous sommes en train de la vivre avec Kaïs Saïed qui les rejoint dans la même logique en vertu de laquelle les autres sont responsables».

Irresponsabilité et stérilité des réformes engagées

La troisième imperfection réside dans l’improductivité, voire dans ce que Hatem Mliki appelle « la stérilité au niveau des politiques publiques ». La stérilité étant pour lui la tendance à rester totalement inactif face à des urgences par rapport au pays (pénuries, migration clandestine, arrêts de production…).

« Ainsi, observe-t-il, toutes les mesures qui ont été prises, toutes les actions qui ont été faites n’ont rien à voir avec les problèmes que vit la Tunisie ». Et il les énumère ainsi : «on est en train de prendre des mesures soi-disant contre les monopoles avec un texte législatif qui n’a rien à voir avec la réalité du terrain. On est en train de promouvoir certaines formes de sociétés qui ne sont pas suffisamment bien étudiées (les sociétés “al ahlia“), alors que nous avons une loi sur les sociétés d’économie sociales et solidaires (SESS), un mécanisme similaire, à l’exception des modalités de financement et la collecte de fonds qui sont un peu différentes. Et maintenant on est en train de rechercher des solutions à travers la réconciliation pénale (…). Nous sommes en train de vivre le cercle vicieux d’actions stériles».

La solution n’est pas politique, elle est socioéconomique

« Tout cela est très inquiétant parce que cela montre qu’on est en train d’empêcher des réformes pertinentes capables de sauver ce pays. Nous sommes en train, que ce soit pour la gestion du budget de l’Etat ou de la gestion macroéconomique de la Tunisie, de prendre des mesurettes fiscales, des mesurettes monétaires et non pas de véritables réformes devant favoriser la relance au niveau macroéconomique (…). Nous sommes dans l’irresponsabilité de l’Etat par rapport aux enjeux de la Tunisie», a-t-il déclaré sur les ondes d’une radio privée.

Au rayon des solutions, le technocrate propose une piste pragmatique qui consiste à reporter les conflits et querelles politiques à 2024, date à laquelle on projette de tenir des élections législatives et présidentielle. Il s’agit ensuite de disposer, clairement, d’un gouvernement avec des compétences avérées et avec le soutien des opérateurs économiques et sociaux. L’objectif étant de stabiliser le pays et de prioriser les questions socio-économiques.