impôtsFracassantes ? Inquiétantes ? Révoltantes ? Les déclarations de la ministre des Finances dans un entretien diffusé récemment sur une télévision de la place ne sont pas passées inaperçues. Impôts sur la fortune, instauration d’un impôt sur les personnes physiques de 0,5% sur la valeur des biens possédés, réduction des délais de paiement de la TVA, ainsi que d’autres mesures que nous verrons bientôt couchées sur le projet de budget de l’Etat. Mesures alarmantes qui ne faciliteront pas forcément le rétablissement de la confiance entre différents pans de la société, entre gouvernants et gouvernés, et ne plaideront pas, à première vue, pour la relance économique tant espérée.

La ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, est une spécialiste des questions fiscales. Mais la fiscalité relèverait-elle pour elle d’un outil d’exercice de pouvoir entre groupes sociaux et économiques et gouvernants ? La contrainte budgétaire sera-t-elle pour elle le moyen de mettre au pas ces riches, qui pour certains sont «arrogants, corrompus et indisciplinés».

Il faut espérer que Sihem Boughdiri Nemssia est assez clairvoyante pour ne pas analyser la situation financière dramatique du pays sous le prisme des taxes et des impôts et croire qu’en punissant les riches, elle sauvera les pauvres !

«Les hauts taux tuent les totaux», scandait au 16ème siècle l’économiste français et conseiller de Henri IV, Barthélémy de Laffemas qui s’était rendu compte que plus on taxait les riches, moins ils payaient d’impôts.

Depuis, les choses n’ont pas beaucoup changé, plus on augmente les impôts, plus les riches choisissent la fuite vers des horizons plus cléments. «Pour les uns, l’impôt trop lourd constitue un obstacle majeur au développement économique. Les montants prélevés, sans cesse croissants, dissuaderaient le travail, brideraient l’activité, et, poussant à la délocalisation des hommes et des matériels, en privant la nation de ressources indispensables…. Pour d’autres, au contraire, le défaut principal du système résiderait dans son caractère inéquitable. La France a privilégié un mode de prélèvement indirect jugé au mieux proportionnel, au pire dégressif. Ce phénomène est à peine compensé par l’existence d’un impôt progressif sur le revenu, dont le rendement est toujours demeuré faible et l’assiette très imparfaite. Cette dénonciation s’accompagne d’ailleurs d’une mise en cause de l’efficacité du système» *.

Ce qui est valable pour la France, l’est doublement pour la Tunisie qui s’est longtemps inspirée de l’Hexagone pour la mise en place de son système fiscal.

«Nous sommes en train de tuer tout espoir de relance», s’indigne l’économiste Hédi Larbi. «Savez-vous qu’il suffit de 10.000 euros pour s’installer au Portugal et avoir une carte de séjour et tout le reste? La France a fait fuir les plus grandes fortunes à cause de la pression fiscale, et la Tunisie ne pourra pas s’en sortir si elle n’attaque pas les véritables problèmes et ne soigne pas ses maux profonds et ne répond pas aux véritables questions ».

Les véritables problèmes, selon Hédi Larbi, sont les dépenses de l’Etat qui dépassent aujourd’hui les 44 milliards de dinars, l’absence totale de confiance. Donc, la question que nous devons nous poser est la suivante : qu’est-ce qui permet de dire que de nouveaux impôts rétabliront les équilibres financiers du pays ?

Avant toutes réformes, il faut lancer des études et procéder à des simulations. «Supposons qu’en Tunisie, nous ayons 100 milliardaires et 1 000 millionnaires, il faut avoir des données précises sur leur patrimoine pour définir les paramètres précis nous permettant de fixer les taux d’imposition. Supposons que nous décidions d’un taux de 5% sur les actifs, quel en serait l’impact sur l’économie nationale? Nous pourrions tout autant appeler ceux qui ont des moyens importants à renforcer leurs investissements et les diversifier. On ne peut prendre des décisions aussi importantes à l’aveugle».

Hédi Larbi est rejoint par Mustapha Mezghani, ingénieur et consultant en Conseil et accompagnement des entreprises technologiques, qui s’insurge : «Est-il logique de faire un impôt sur la fortune avant d’élargir la base fiscale sachant que parmi les plus grands propriétaires figurent surtout les opérateurs du marché parallèle et les contrebandiers? Nous savons pourtant que l’impôt sur la fortune a deux biais importants :

– il taxe doublement ceux qui ont déjà déclaré leurs revenus et ont payés les impôts correspondants (les salariés, entre autres, qui auraient investi pour une meilleure retraite, mais aussi d’autres personnes) ;

– les héritiers qui possèdent des terres agricoles devenues zones urbaines ou autres et qui doivent payer des montants qui peuvent dépasser leurs revenus actuels risquant de ne pas trouver de quoi vivre décemment une fois l’impôt sur la fortune payé (cela est arrivé à l’étranger)».

Une réforme fiscale et rapidement

La Tunisie a besoin d’une réforme fiscale et très rapidement, estime pour sa part Fayçal Derbel, universitaire, expert-comptable et ancien conseiller de Youssef Chahed : «95% des ressources propres de l’Etat soit plus de 35 milliards de dinars proviennent des impôts. La pression des prélèvements obligatoires en Tunisie est le double de la moyenne effectuée dans 30 pays africains. C’est la même que dans les pays de l’OCDE sans avoir la même qualité de vie, les infrastructures performantes, la logistique, les commodités et tous les avantages dont jouissent les citoyens dans ces pays».

En Tunisie, il y a près de 400 grandes entreprises et quelques milliers de PME. Plus de 70% du tissu entrepreneurial national est composé de microentreprises (d’une, de deux ou au plus de 5 personnes). Les grandes entreprises représentent 70% du revenu fiscal du pays et ne peuvent aucunement s’adonner à l’évasion fiscale qui nuirait à leurs intérêts beaucoup plus qu’elle ne les servirait ; les PME couvrent, pour leur part, 5 à 6%, et la part des microentreprises est dérisoire.

Face au manque de ressources de l’Etat, comment rétablir les équilibres financiers et assurer la relance économique ?

«En rétablissant la confiance, c’est la grande bataille que doivent mener les pouvoirs publics aujourd’hui. Tout au long de cette décennie, on a nourri les divisions et installé défiance et méfiance entre régions, classes sociales, privé et public. Nous sommes dans un pays où les uns voient dans les autres des ennemis, ce qui est inadmissible».

La notion de croissance, explique Hédi Larbi, est née il y a 2 siècles. A la base de tout, il y avait la confiance. La confiance dans le système, dans les pouvoirs publics, dans la justice, la confiance entre citoyens et gouvernants et entre citoyens eux-mêmes.

«Les pays qui réalisent le plus de croissance sont ceux où le niveau de confiance intra-sociétal est très élevé. Et en la matière, les pays nordiques occupent le haut du pavé, rejoints par les USA où l’indice de confiance est à hauteur de 60%, puis viennent l’Europe continentale et de l’Europe du Sud. Dans un pays comme le nôtre, l’indice de confiance ne dépasse pas les 10%. Donc au lieu de s’acharner sur les créateurs de richesses, autant rétablir la confiance et les encourager. C’est simple, le seul message qui vaille est celui-ci : Respectez la loi et investissez, nous vous donnerons tous les moyens de réaliser vos projets pour vous, votre famille et pour le pays».

Dans l’ouvrage «L’économie de la confiance», l’auteur Eloi Laurent estime que «l’inaptitude à accorder une confiance nécessaire à la coopération en dehors des liens du sang ou de la communauté immédiate serait un handicap social et économique au sein des sociétés humaines». Il cite Alain Peyrefitte qui «convertit ce constat de coûts économiques de la défiance (ou plutôt de coûts économiques de la non-confiance) en postulat de gains économiques tirés de la confiance* ».

A bon entendeur.

Amel Belhadj Ali

* https://books.openedition.org/igpde/1651
* https://www.cairn.info/economie-de-la-confiance–9782348043550.htm