Il y a quelques semaines, la Fédération du bâtiment et du bois de l’UGTT a appelé le gouvernement à sauver les entreprises des travaux publics menacées d’effondrement. Ces entreprises, dénonce la Fédération, qui emploient plus de 500 000 personnes sont écartées par certains ministères des marchés publics.

Les entreprises nationales sont soumises à des pressions insupportables, et on leur impose des conditions draconiennes, ce qui favorise les opérateurs étrangers à leurs dépens.

Pour précision, selon les normes OCDE, la part des internationaux dans les marchés publics est de 5% ; en Tunisie, on a toléré 10% pour passer ensuite à 33%.

La citation populaire qui s’applique le plus dans le cas de l’espèce est celle de la lanterne de Bab Mnara qui illumine la cité distante et ignore celle contiguë : « Kandil Bab Mnara, ydhawi al barani ».

Hallucinant !

Le secteur du BTP, en Tunisie, a enregistré une croissance négative de 24 points pendant les deux premiers trimestres 2022, selon l’Institut national de la statistique (INS), ce qui se traduit par la perte de 120 000 emplois.  Ceci n’a apparemment pas inquiété, outre mesure, les gouvernants occupés à éteindre les incendies et en prime celles des finances publiques !

Et nous ne savons pas aujourd’hui si nous devons en rire ou en pleurer, mais le même Etat, qui n’honore pas ses engagements financiers de 800 millions de dinars envers les fournisseurs nationaux privés et publics causant la faillite de nombre d’entreprises, trouve les moyens de payer les fournisseurs étrangers en devises après leur avoir facilité, via ses différentes administrations et mécanismes, l’acquisition de marchés publics importants.

En 2014, du temps où Hédi Larbi était ministre de l’Equipement dans le gouvernement Mehdi Jomaa, il y a eu promulgation d’une loi plaidant pour plus de transparence dans les marchés publics, favorisant la qualité pour des prix plus élevés sur le moins disant à une qualité médiocre dans l’exécution des projets. La Loi Hédi Larbi autorisait le dépôt des plaintes en cas de litige ou de désaccord dès qu’on dispose de preuves tangibles.

Ce qui manque à cette loi, promulguée depuis 8 ans maintenant, c’est les textes d’explication. Pourquoi ne les édite-t-on pas ? Ils pourraient éclaircir les points d’ombre et donner des solutions à la révision des prix. Nous aurions pu résoudre nombre de problèmes relatifs aux offres anormalement basses. Ce qui arrive très souvent est que dans les offres anormalement basses, une fois le marché gagné, il y a souvent du trafic sur la qualité des matériaux ou l’exigence de rallonges successives tout au long de l’avancement des travaux des chantiers en invoquant toutes sortes de raisons, ce qui peut augmenter considérablement le prix initial de l’offre.

La loi de 2014 visait une meilleure gouvernance, plus de performance et surtout plus d’équité dans l’octroi des marchés publics, mais comme la Tunisie est un pays qui marche à reculons, c’est le contraire qui est en train de se produire.

Quand la HAICOP devient une entrave !

Qui est responsable de cet état des choses ? Dans les projets publics, il y a deux aspects : l’aspect process -qui concerne la partie théorique- et l’aspect pratique -qui concerne ceux qui opèrent sur terrain, qui reçoivent les recours, maîtrisent les problématiques du marché et pilotent les projets. Ces experts identifient rapidement les points épineux. Ils siègent dans la commission des marchés et le COSEM – le comité de suivi et d’enquête chargé de suivre le respect des principes fondamentaux régissant les marchés publics, notamment la concurrence, la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité des candidats devant la commande publique et la transparence des procédures.

Ces experts savent parfaitement où se situe le blocage, et dans un pays qui se respecte, l’Etat devrait être le premier à s’alarmer du dépérissement des entreprises nationales et à lancer des enquêtes pour en connaître les raisons, le pourquoi et le comment, d’autant plus que l’information est disponible.

Y aurait-il dans l’Etat tunisien des cercles d’influence veillant à ce que les choses ne bougent pas en maintenant le flou et favorisant de fait les internationaux dans les appels d’offres ? Y aurait-il des arrangements contractés en dehors du cadre institutionnel et aux marges des procédures légales entre acteurs publics et internationaux à l’occasion de la passation des marché publics ou entente en cartel entre les entreprises soumissionnaires soutenues par des décideurs publics ?

S’il n’y a rien de tangible et que nous ne pouvons rien prouver à ce propos, il est de notre devoir d’interpeller la HAICOP (Haute instance de la commande publique), cette commission censée non seulement d’approuver l’octroi des marchés publics mais troquer, dans un contexte extrêmement difficile, son rôle purement technique pour celui de défenseure des intérêts nationaux.

Juste pour précision, les intérêts nationaux ne consistent pas à octroyer des marchés aux internationaux mais de veiller, dans le respect des lois, à ne pas priver les entrepreneurs locaux d’avoir la part maximale des marchés nationaux censés être un droit et représenter 90% de la totalité des offres.

Qu’est-ce qui explique l’incapacité des gouvernements successifs, depuis 2015, à promulguer les textes d’application de la loi de juin 2014 portant une meilleure gestion des marchés publics ?

N’est-il pas du devoir de la HAICOP et de l’Etat d’écouter la voix du secteur privé tunisien ? Celui qui réalise les travaux publics sans être réglé ?

Pourquoi Etat et principalement HAICOP ne prennent pas en considération les observations des privés sur les procédures adoptées dans le cadre des marchés publics ? (Voir document en pièce jointe).

Est-il mieux de faire profiter les internationaux des deniers publics tunisiens que d’œuvrer à préserver un secteur à forte employabilité ?

Le TUNEPS, meilleur moyen d’éliminer les adjudicataires nationaux

Le TUNEPS –pour Tunisian On line E-procurement System- qu’on disait meilleur moyen d’assurer la transparence des marchés publics, est aujourd’hui devenu un moyen pour bloquer le processus de participation aux marchés publics.

Un exemple édifiant : on informe le soumissionnaire que la capacité du Tuneps est de 20 Mo. Si l’offre est importante et que les 20 Mo ne suffisent pas, elle est refusée, si l’offre est envoyée dans la limite des 18 Mo, exactement, et que le reste est envoyé en papier, parce que le dossier est important, elle est refusée, si on n’atteint pas les 20 méga, l’offre est aussi éliminée !

Kafkaïen !

Le TUNEPS est donc devenu le meilleur moyen d’éliminer les adjudicataires nationaux. A quoi rimeraient tous les discours tonitruants sur la transparence et la lutte contre la corruption si à ce jour nous ne pouvons pas assurer que tous les moyens techniques et technologiques sont mis à disposition pour faciliter une participation équitable à tous les acteurs économiques aux marchés publics ?

Et nous ne savons pas, encore une fois, si nous devons en rire ou en pleurer, après plusieurs années de balbutiements, voilà qu’on revient sur la digitalisation des marchés pour autoriser l’envoi des dossiers de soumission sur papier.

Pourtant, un opérateur affilié à la Fédération des TIC à l’UTICA a proposé son aide gratuitement. Il a proposé aux décideurs «intègres» (sic) de résoudre le problème de capacité d’envoi et de migration. Le cloud coûte 600 dinars à 1 millions de dinars (MDT) par an, qu’on peut facturer aux entrepreneurs qui présentent leurs offres. Mais au lieu d’aller vers la numérisation, l’administration revient sur la digitalisation et promulgue un décret autorisant les soumissions sur papier.

La numérisation, la transparence n’est pas au goût de certains décideurs. Mieux encore, on entend des bruits de couloir sur le fait que la commission des marchés, dernier recours des nationaux pour que les étrangers ne finissent pas par occuper toute la place, risque d’être supprimée.

La raison est simple : cette commission veille au grain aux intérêts du pays, ne dépasse pas un mois dans le traitement des dossiers épineux et protège les nationaux de l’hégémonie étrangère et les lobbys qui travaillent pour son compte en Tunisie !

On refuse à ce jour, de publier les rapports d’évaluation sur les marchés accordés aux étrangers, des marchés payés en devises mais exécutés presqu’en totalité par des Tunisiens.

On offre des marchés aux internationaux pour faire des nationaux des sous-traitants. Allez chercher l’erreur et qu’on ne vienne pas nous parler de technologies et de savoir-faire inexistants chez nous. A 90%, tout peut être réalisé par des entreprises tunisiennes dont les performances sont reconnues à l’international.

Presque tous les marchés, accordés à tort à des étrangers, ont coûté plus cher à l’Etat. Et au lieu d’attaquer à tout-va le secteur privé en Tunisie, le président Kaïs Saïed, que la corruption indigne au plus haut point, devrait lancer un plan national pour la digitalisation totale et absolue des process d’octroi des marchés publics. C’est le seul moyen de mettre fin au népotisme et aux malversations, tout le reste est littérature.

Amel Belhadj Ali