Cette année, l’Europe a connu une sécheresse d’ampleur historique. Elle serait, d’après les météorologues, la pire qu’un pays comme l’Italie ait connu en l’espace de soixante-dix ans. Cette siccité est d’un grand intérêt pour la Tunisie en sa qualité de pays producteur et exportateur d’huile d’olive. Et pour cause. Les trois principaux pays européens qui lui font concurrence en la matière (Espagne, Italie, Grèce) ont été fortement affectés par cette vague de chaleur historique. La sécheresse a touché durement l’oléiculture.

Probabilité : la récolte des olives sera grandement compromise pour la saison 2022-2023.

Selon les projections de Mintec, premier fournisseur mondial indépendant de données sur les prix mondiaux des matières premières, de prévisions de prix et d’informations sur le marché pour les chaînes d’approvisionnement alimentaire, la production d’huile d’olive va baisser cette année de 20 à 30%.

A titre d’exemple, l’Espagne va perdre, si on se fie aux projections, 30% d’une recette annuelle de quelque 3,6 milliards d’euros, sans compter l’activité touristique que le secteur génère.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres

Et comme disait Voltaire, « le malheur des uns fait le bonheur des autres », la Tunisie, qui a bénéficié en 2022 d’une pluviométrie plus clémente et qui dispose d’un bon stock d’huile d’olive par l’effet d’une bonne récolte en 2021, pourrait tirer profit de la situation en exportant plus d’huile d’olive sur l’Union européenne (UE).

En 2018, confrontée à une situation similaire, la Commission européenne avait déjà pris l’initiative d’offrir temporairement à la Tunisie un quota supplémentaire exempté de droit de douane de 30 000 tonnes d’huile d’olive conditionnée, et ce en plus des 56 700 tonnes prévues par l’Accord d’association entre la Tunisie et l’Union européenne.

Malheureusement cet accord n’a pas pu se réaliser en raison de plusieurs dysfonctionnements tuniso-tunisiens dénoncés du reste à l’époque par l’ex-ambassadeur de l’UE en Tunisie, Patrice Bergamini, dans une célèbre interview accordée, le 9 juillet 2019, au journal Le Monde.

Lire aussi : Tunisie – UE  : Et si Bergamini avait raison ? (Partie 2)

On y lit notamment : « En 2018, la Commission européenne a décidé d’octroyer un quota additionnel de 30 000 tonnes d’huile d’olive, en bouteille, conditionnée. Or il n’y a pas eu, malheureusement, de réponse tunisienne formelle. Le président [de la Commission, Jean-Claude] Juncker est revenu sur cet épisode lors de sa visite à Tunis en octobre 2018. La vraie raison tient sans doute à ce que des grossistes, dont certains sont des spéculateurs, ne voient pas d’un bon œil ce soutien européen, susceptible de favoriser l’émergence de nouveaux opérateurs tunisiens se lançant dans l’huile d’olive conditionnée made in Tunisia. Pour eux, l’essentiel tient à la préservation de positions non concurrentielles, et qui leur permettent a fortiori d’exporter de l’huile d’olive en vrac ».

Selon l’ONAGRI, 80% de la production oléicole en Tunisie est exportée en vrac comme un vulgaire breuvage. Sur un total de production de 195 000 tonnes en 2020, seules 27 000 tonnes d’huile d’olive conditionnée ont été exportées.

Sans commentaire.

Attention au lobby des importateurs européens

Néanmoins, signalons ici que le lobby des exportateurs vraquiers tunisiens d’huile d’olive n’est pas la seule partie à s’opposer à l’exportation de l’huile conditionnée «made in Tunisia» à plus grande valeur ajoutée. Il y a aussi les importateurs-conditionneurs d’huile d’olive italiens.

Ces derniers sont complices des vraquiers tunisiens pour deux raisons. Les Italiens, tout comme les Espagnols et les Grecs d’ailleurs, veulent maintenir le statuquo, c’est-à-dire continuer à acheter à bon marché l’huile d’olive tunisienne en vrac et la transformer pour la vendre au prix fort à l’international.

Dans un second lieu, Italiens, Espagnols et Grecs s’opposent à l’exportation de l’huile d’olive tunisienne conditionnée vers l’Europe pour dissuader, avec la complicité de leur cinquième colonne en Tunisie (les vraquiers), toute industrie de conditionnement prospère en Tunisie, et ce pour un simple motif : la qualité de l’huile d’olive tunisienne est de plus en plus reconnue à l’international à la faveur des trophées que ce produit de terroir ne cesse de récolter dans les concours internationaux.

Pour ne citer que le plus récent, il y a à peine un mois, le triomphe à New York des producteurs d’huile d’olive tunisiens, au plus prestigieux concours de qualité d’huile d’olive du monde, le « NYIOOC World Olive Oil Competition 2022 ». Un concours auquel ont participé 28 pays avec 1 244 marques d’huile d’olive.

La qualité de l’huile tunisienne reconnue internationalement

Les Tunisiens ont récolté un nombre record de 32 prix, soit un taux de réussite de 80%, le taux le plus élevé jamais enregistré par le pays, selon les experts. Dans le détail, les marques tunisiennes ont remporté 21 prix d’or et 11 prix d’argent.

Avec une telle distinction, l’huile d’olive tunisienne, qui est essentiellement biologique, a en principe ses lettres de noblesse pour accéder à n’importe quel marché du monde, dont les juteux marchés fort rémunérateurs nord- américains (Etats-Unis et Canada). Et pour cause, les résultats de ce concours indépendant sont suivis partout par les producteurs, les importateurs, les chefs distributeurs et la presse spécialisée.

Actuellement, la Tunisie exporte sa production d’huile d’olive à hauteur de 79% vers l’Union européenne, 16% vers les Etats-Unis, 7% vers l’Asie (Malaisie, chine, Turquie…) et 2% vers l’Afrique.

Par-delà l’ensemble de ces éléments d’éclairage, l’huile d’olive tunisienne, forte de son excellente qualité biologique, pourrait percer encore davantage sur les marchés européen et international pour peu que le gouvernement tunisien s’emploie à neutraliser ici le lobby des vraquiers, à encourager l’industrie du conditionnement et à diversifier les débouchés de ce produit, notamment en direction du Sud-est asiatique.

Abou SARRA