La Tunisie a connu tour à tour une crise économique structurelle, une crise éducationnelle et culturelle plutôt aiguë et enfin une crise institutionnelle et de gouvernance publique profonde. La conséquence de ces crises est une révolution inachevée, une image à l’international ternie et une reconstruction institutionnelle à pas forcés au regard des standards démocratiques.

Cette refondation s’avère être soutenue par une opinion publique assoiffée de vengeance contre une classe politique jugée éloignée du quotidien rendu difficile des gens et une élite économique et médiatique considérée défaillante et tenue comme participant à l’incurie de l’Etat et de ses représentations qu’elles soient symboliques ou matérielles.

Depuis les années 90 la Tunisie et malgré une croissance moyenne relativement élevée et l’ouverture sur le monde à travers l’adhésion à l’OMC et la signature des accords de libre-échange avec l’Union Européenne, la Tunisie a raté son arrimage à la mondialisation et n’a pas su prendre sa part d’une manière conséquente et profitable dans la globalisation des échanges commerciaux.

A partir des années 2000 la croissance est plutôt molle, avec une moyenne de 2%, qui ne permet pas au pays de faire face aux défis du développement équilibré au niveau des régions, ni de créer suffisamment d’emplois notamment des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur.

Le taux de chômage est passé de 13 à 16% actuellement en 20 ans sans aucune capacité de juguler ce fléau qui touche toute les familles tunisiennes et qui pousse beaucoup de jeunes à partir à l’étranger par tous les moyens, légaux et illégaux. A cette croissance faible et ce chômage élevé s’ajoute une inflation relativement élevée oscillant entre 3 à 7% et culminant actuellement à près de 8% par an.

A cette crise économique lente et profonde s’est greffée une crise inattendue, celle de la baisse de la qualité de l’enseignement, par des choix politiques depuis les années 90 favorisant la massification de l’enseignement général, la dépréciation au niveau de la perception sociétale de la formation professionnelle, avec en outre un enfermement linguistique préjudiciable.

Les résultats des apprenants tunisiens aux différentes enquêtes internationales de type PISA et TIMSS se sont dégradés les dernières décades, le classement des universités tunisiennes n’est pas au niveau des dépenses de l’Etat dans le domaine de l’éducation et la part de ses dépenses dans la PIB. De cette crise éducationnelle est née une crise culturelle, une aversion à l’ouverture intellectuelle et cognitive sur les autres cultures, une fréquentation majoritaire des médias venus d’Orient, jusqu’à l’apparition des composantes d’une crise identitaire, un conservatisme latent et rampant dans la société menant parfois à un souverainisme béat et aveuglant.
CONSÉQUENCES FATALES…

Le fait le plus marquant né de cette conjugaison de crises économique et culturelle est l’apparition d’un sentiment fort d’inégalités sociales, faisant le lit de sentiments haineux d’une large frange de la société, étalée sur les réseaux sociaux devenus le lieu de la discorde et de la vindicte populaire contre la société politique et les élites.

La démocratisation de l’accès à Internet avec 75% de la population qui y accède au quotidien et les Smartphones dont disposerait plus de 70% des Tunisiens, a accéléré cette volonté populaire de se venger de la classe politique, des partis, des médias, des juges, des syndicats, des institutions financières, de l’étranger notamment des pays occidentaux, et tous ceux qui ont soutenu le processus de l’après janvier 2011 considérés comme responsables de leurs différents maux quotidiens, un pouvoir d’achat à la baisse, une insécurité urbaine inquiétante, une dégradation de l’éducation de leurs enfants, un système sanitaire chancelant et un avenir incertain du pays sous leur gouvernance. Le tout ressenti comme une violence, il fallait punir les responsables.

Les masses se sont donc vengées de cette classe dirigeante en faisant élire en 2019 un président non apparenté politiquement, aux mains propres car il n’a jamais dirigé ou pris part dans un quelconque mouvement politique, y compris avant la révolution. Cette indépendance affiché de tous les lobbies et centres d’influences l’a rendu populaire auprès d’une large frange de la population au grand dam de la société politique craignant un durcissement autoritaire de sa part jusqu’au risque de faire perdre au pays ce qu’il a le plus gagné pendant les 10 dernières années, à savoir la liberté d’expression et d’association.
LE 25 JUILLET ARRIVA…

Le coup de force du président Kais Saied du 25 juillet 2021 est arrivé au moment où les esprits étaient majoritairement mûrs pour accepter un changement radical du mode de gouvernance du pays après un été meurtrier côté Covid avec plus de 200 morts par jour pendant les 15 jours qui ont précédé cette date où tout a basculé. Le gouvernement de l’époque est apparu incapable de protéger les Tunisiens. L’intervention des militaires afin de diriger les opérations de vaccination et de distribution des concentrateurs d’oxygène était apparue comme une reprise en main ferme et salutaire par l’opinion publique.

La situation qui prévalait avant la date du 25 juillet était caractérisée par une dilution des pouvoirs, tous les pouvoirs. Ainsi, le parlement à travers un mode de scrutin de liste aux plus forts restes ne permettait pas de dégager une majorité claire, avec un projet évaluable aux termes d’une mandature, un système électoral qui poussait au consensus honni par les électeurs, aux compromis permanent voire à toutes les compromissions très mal perçues par les masses populaires. A ceci se sont ajoutées des images dégradantes entre violence physiques et verbales sous la coupole du Bardo passées en direct à la télévision.

Le pouvoir exécutif était partagé entre la présidence de l’Etat à Carthage et la présidence du gouvernement à la Kasbah et donnait l’impression de l’inefficacité par trop de tiraillements et l’incapacité d’être en ligne. Enfin un pouvoir judiciaire morcelé entre le conseil des magistrats administratifs, tribunal pénal, pôle financier, pôle terroriste… le tout « chapeauté » par un conseil supérieur de la magistrature à la solde des partis politiques en place. Ce n’était plus tenable.

M. Kais Saied s’est trouvé en phase avec le désir populaire de voir les choses changer radicalement. Lui, qui a toujours considéré que les partis politiques n’étaient que des officines cherchant les intérêts particuliers, celui des pères fondateurs de ces partis ou la puissance de l’argent, lui qui a toujours considéré que les corps élus et les corps intermédiaires ont confisqué la volonté populaire et le pouvoir du « peuple », ce Kais Saied s’est retrouvé en total congruence avec un peuple en quête de reprise en main ferme des choses de l’Etat mais aussi de régler ses comptes avec les partis politiques, les syndicats, la justice, la société civile, les médias, les chefs d’entreprises, les académiciens, les étrangers accusés d’ingérence… Ce qui plaît particulièrement à la plèbe.

Et c’est ce qui lui a donné l’autorité « morale » d’émettre des décrets présidentiels sans se référer à un organe élu, issu de la démocratie libérale représentative classique, mais uniquement sa personne, étant élue par le suffrage universel direct par une majorité frôlant les 75% des voix. Et là vient l’idée d’un référendum sur une nouvelle constitution donnant une part-belle au pouvoir présidentiel et la proposition d’un nouveau mode de scrutin législatif uninominal, conservatrice coté références identitaires, tout en garantissant un corpus favorable aux libertés individuelles, perçue comme concession à la société civile et la société politique.

Le 25 juillet 2022 sera la date de ce référendum. Il y a les oui, il y a les non, il y ceux qui boycottent par principe, et il y aura une frange du corps électoral indifférente, car plaçant les priorités ailleurs…

LE 26 JUILLET 2022 ET APRÈS…

Le 26, les échéances socio-économiques nous rappelleront à l’ordre, la dégradation du pouvoir d’achat, l’impact durable de la crise russo ukrainienne et la Covid, risquent de mettre tout ce monde d’accord : Il faut d’abord sauver le soldat Tunisie, son économie surtout, les équilibres de ses finances publiques, mais aussi le Tunisien, qui, quand il a faim, comme tous les terriens, relègue la raison à plus tard, et devient impatient, voire violent…

Toutes les crises, partout dans le monde, ont toujours visé en premier lieu les indigents, les plus puissants se débrouillent toujours pour se protéger en premier… Et là c’est une autre histoire qui s’écrira ou pas, fonction de la sagesse politique de nos gouvernants… Et on revient à l’exigence démocratique : Savoir gagner sans écraser ses adversaires, savoir perdre avec fair-play…

Enfin, il est à rappeler qu’aucun pays au monde n’est resté indéfiniment en crise, aucun ! cela dépend de la volonté populaire… On y revient.
Bon weekend référendaire.