Les 40 barrages que compte la Tunisie sont confrontés à un sérieux problème, celui de l’envasement, lequel devient de plus en plus inquiétant et fréquent. Des milliers de mètre cubes de vase se déposent chaque année au fond des bassins des barrages avec comme corollaire la diminution progressive de leur capacité de rétention d’eau et l’exposition du pays à de graves problèmes en matière d’approvisionnement en eau potable et en eau d’irrigation.

Abou SARRA 

Pour mémoire, la Tunisie souffre d’un déficit hydrique endémique, la part de sa population d’eau est inférieure à 500 m3/par an et par habitant.

Pour résoudre ce problème, il existe une technique appelée dévasement. Sans présenter des alternatives crédibles, les ingénieurs-fonctionnaires du ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche ne veulent cependant pas en entendre parler sous prétexte que cette option serait trop coûteuse.

S’inspirer de l’expertise algérienne

Pays voisin, l’Algérie connaît le même problème. Seulement, au lieu de le fuir comme c’est le cas des tunisiens, les Algériens ont décidé de l’attaquer en mettant au point une stratégie cohérente pour résoudre le problème d’envasement.

Certes l’Algérie a plus de moyens financiers que la Tunisie, mais l’enjeu est de taille lorsqu’on sait que notre pays sera confrontée, dans une dizaine d’années, au réchauffement climatique et à un stress hydrique aigu, d’où la nécessité de s’y préparer. C’est une priorité absolue pour le pays.

C’est pourquoi les Tunisiens, à défaut de bonne volonté et de moyens, ont intérêt à s’informer sur la stratégie de dévasement algérienne et de s’en inspirer lorsque le pays se stabilisera et changera dans le bon sens et aura de véritables décideurs et hydrologues.

Pour revenir à la stratégie algérienne, celle-ci a déjà été mise en œuvre. Il s’agit de débarrasser les 80 barrages du pays de quelque 1,3 milliard mètres cubes de vase.

Pour rentabiliser l’opération et réduire le coût d’importation de matériel en devises, l’Algérie a lancé une industrie de montage et de fabrication de bateaux de dragage multi-usage (ces bateaux peuvent être utilisés dans le dragage des ports).

Toujours dans l’objectif d’optimiser les coûts, l’Algérie a engagé en amont des études pour valoriser la vase et son utilisation dans l’agriculture, poterie, briqueterie, industrie des matériaux de construction.

Mieux, pour prévenir de nouveaux envasements dans le futur, elle vient de programmer un vaste chantier pour la plantation sur les versants des barrages de millions d’arbres.

L’état des lieux en Tunisie, selon l’ONAGRI

Pour la Tunisie, l’Observatoire national de l’agriculture (ONAGRI) a lancé plusieurs alertes à travers des études, notes et autres statistiques qu’il fournit.

En voici les principales :

L’envasement des barrages a atteint, au mois d’août 2021, 23% pour les 36 grands barrages du pays, 675 millions m3 sur une capacité initiale de 2 988 millions m3.

Le taux d’envasement dépasse 50% pour les barrages de Mellègue Siliana et Rmil ; pourtant un seul de ces trois barrages a atteint une durée de vie de 50 ans, les deux autres ont respectivement des durées de vie de 34 ans et de 19 ans seulement, précise l’ONAGRI. « Si rien n’est fait pour réduire la sédimentation, ces barrages qui sont situés généralement dans des régions pauvres en ressources en eaux seront totalement envasés en 2035 pour les barrages Mellègue et Rmil, et en 2047 pour celui de Siliana », alerte l’observatoire.

Pour remédier à la réduction des ressources en eaux de surface, l’ONAGRI rappelle la construction du barrage Mellègue 2 dont la fin des travaux est prévue pour 2022. Ce nouveau barrage supérieur de Mellègue vise à préserver la ville de Jendouba contre les inondations et à favoriser la création de nouvelles zones d’irrigation.

Sa construction s’inscrit dans le cadre des projets du ministère de l’Agriculture consistant à réaliser quatre barrages, au cours des prochaines années, moyennant une enveloppe d’investissement de 935,8 millions de dinars. Il s’agit des barrages de Douimis à Bizerte, Saïda à La Manouba, El Kalâa à Sousse et Mellègue supérieur au Kef.

La note de l’ONAGRI, qui exprime une situation d’alerte sur la mobilisation des ressources en eaux de surface dans le pays, vise à aider à la prise des décisions nécessaires pour assurer la durabilité de ces ressources.

L’Observatoire revient, en outre, sur les 5 bassins versants les plus érodés du pays où le niveau d’érosion dépasse les 10 m3 par hectare et par an, en l’occurrence les bassins versants des barrages de Barbra (Jendouba), Guezala (Bizerte), Kesseb (Béja), Lebna (Nabeul), Siliana (Siliana).

Il s’agit d’attirer l’attention sur l’urgence d’intervenir pour la fixation des sols à travers la protection des eaux et des sols et les plantations forestières.

Cela pour dire que les Tunisiens sont conscients du phénomène de l’envasement. Mais pour y remédier, les solutions sont renvoyées à chaque fois aux calendes grecques. C’est la mentalité de la fuite en avant.