Au soulagement de Tunisiens conscients de la délicatesse du contexte socioéconomique du pays après l’annonce de l’accord de principe du FMI, pour un nouveau programme d’accompagnement de la Tunisie, Noureddine Tabboubi a réagi en haussant le ton et en assurant que l’UGTT ne cautionnera pas les réformes imposées par le FMI et ne négociera qu’avec un gouvernement désigné après des élections en bonne et due forme.

« Le gouvernement actuel n’a pas le droit de décider de l’avenir du pays pour les 40 prochaines années » a déclaré le secrétaire général de l’UGTT qui a rappelé qu’il n’a pas discuté de projets de réformes avec les gouvernements précédents et qu’il n’a pas été appelé à le faire avec le gouvernement Bouden.

A la Kasbah, le son de cloche n’est pas le même et le ton est plutôt à l’exaspération. Contrairement à ce que prétendent ses dirigeants, l’UGTT a été invitée à maintes reprises à participer aux discussions sur des réformes vitales pour le pays. Les réactions de la centrale, elles, ont balancé entre déclarations publiques incendiaires dénonçant un gouvernement peu coopératif et excuses en privé expliquant qu’il faut bien rassurer les troupes et ne pas nager à contrecourant.

En situation de crise profonde, les leaders doivent-ils suivre le mouvement des troupes ignorant les enjeux réels de la crise des finances publiques ou tracer le chemin du salut pour tout le monde ?

Mais tout le monde a fait de la politique politicienne dans la Tunisie post soulèvement du 14 janvier 2011, alors pourquoi le reprocher à l’UGTT ?

Du coup l’échec de la dernière réunion 5+5 n’a pas été surprenant. L’UGTT qui estime que le gouvernement Bouden n’est pas suffisamment légitime (sic) pour discuter avec lui des réformes a décrété qu’il était assez légitime pour appliquer les 48 accords signés par ses prédécesseurs dociles à souhait. Ce à quoi le gouvernement aurait argué que les temps ne sont pas aux revendications salariales mais plutôt au rééquilibrage des fondamentaux économiques et à la réduction du déficit budgétaire. Sachant que si le gouvernement se soumet au dictat de l’UGTT, il devrait dénicher près de 1,6 milliard de dinars pour y parvenir. On ne voit pas où et comment il pourrait avoir ce montant.

Une situation de rupture néfaste pour le pays !

Entre la centrale syndicale et le gouvernement, nous assistons aujourd’hui à une situation de rupture néfaste pour le pays. Un blocage qui dessert en prime la Tunisie qui a besoin de toutes les parties prenantes et tous les patriotes pour sortir de crise après plus d’une décennie de mauvaise gestion et d’une gouvernance opportuniste, partisane et intéressée.

Conséquence : une situation financière fragile, une perte de la confiance des investisseurs dans notre pays et un pouvoir d’achat qui rétrécit comme peau de chagrin alors que l’inflation augmente.

La solution est-elle dans les augmentations salariales ? Tabboubi a lui-même déclaré à maintes reprises que ce n’est pas ce qu’il exige. Ce qu’il veut est que l’on puisse contrôler la cherté des prix et limiter l’inflation. Pourquoi dans ce cas, monter sur ses grands chevaux s’agissant du gouvernement Bouden alors qu’avec les autres, il était plus conciliant ?

Il est inquiétant de voir à quel point, ces derniers temps, les positions des dirigeants de l’UGTT sont plus politiques que syndicales. Elles donnent plus l’impression d’être des réactions d’un parti politique d’opposition que celles d’une centrale syndicale voulant participer concrètement au sauvetage du pays.   L’UGTT aurait-elle pris mouche parce qu’elle a perdu de son emprise sur les décisions présidentielles et gouvernementales ?

Depuis 2011, presqu’aucun gouvernement n’a pu être sacré sans avoir eu l’aval de l’UGTT qui pouvait approuver ou désapprouver la désignation d’un ministre ou d’un PDG à la tête d’une entreprise publique. Ceci, à tel point que son siège est devenu un passage obligé pour les diplomates et représentants des organisations internationales qui estimaient à juste titre qu’elle est plus puissante que l’Etat.

Après la soumission d’autant de gouvernements plus pour des raisons égoïstes que d’intérêt national, en quoi le fait que l’Etat récupère ses prérogatives peut déranger l’UGTT ? La légitimité historique doit-elle tout justifier ? Y compris un exercice plus politique que syndical ?

Il est utile de rappeler, tout de même, que feu Habib Achour ne décidait des grèves générales que lorsque les négociations avec le gouvernement ne pouvaient plus avancer à propos de revendications uniquement sociales. Habib Achour exigeait des dirigeants syndicaux d’enlever les habits des activistes politiques dès qu’ils franchissaient la porte de l’UGTT. Pour le martyr Farhat Hached, les intérêts du pays, prévalaient sur tout.

N’est pas Farhat Hached ou Habib Achour qui veut !

D’un autre coté le gouvernement en exercice qui s’attache aujourd’hui à récupérer le terrain perdu depuis des années, ne doit-il pas lui-même assurer et assumer son rôle social ? Ne doit-il pas, par force de loi, trouver les moyens de juguler la cherté de la vie ? Ne doit-il pas également respecter ses engagements, appliquer les lois qu’il promulgue et honorer les promesses qu’il fait ?

Si l’UGTT a pris autant de place dans la vie politique du pays, c’est parce qu’elle avait devant elle des dirigeants incompétents, frileux et partisans. Elle ne reviendra pas à son rôle initial si le gouvernement lui-même n’exerce pas pleinement le sien.

Quoiqu’on puisse reprocher à ses dirigeants actuels, il serait malsain de sous-estimer l’importance d’une centrale ouvrière soucieuse de l’intérêt national et constructive dans un processus de réformes capital pour le pays. Pour des centaines de milliers de Tunisiens, l’UGTT représente le symbole de la résistance aux abus et celui de la défense des droits des travailleurs.  Les errements de certains de ses responsables qui agissent plus en chefs de partis qu’en dirigeants d’une noble organisation syndicale devraient pousser les milliers de syndicalistes conscients de la gravité de la situation à appeler leurs élus à être plus raisonnables au vu des dangers qui guettent le pays.

Aujourd’hui alors que la Tunisie est en perte de vitesse sur le plan économique, alors que les investisseurs la boudent et que le doute remplace la confiance, la seule guerre qui doit être menée est celle de l’amélioration du pouvoir d’achat, de la relance des investissements, du rétablissement des déséquilibres des finances publiques et de la création des richesses et de la croissance.

Personne n’a intérêt à se tromper d’ennemi. UGTT ou gouvernement n’ont pas intérêts à se livrer des guéguerres entre eux, ils en sortiraient tous les deux perdants et la Tunisie risque de ne pas s’en relever.

A bon entendeur.

Amel Belhadj Ali