« Notre seul choix est de nous orienter vers la production énergétique solaire et éolienne, le monde entier est allé vers les énergies renouvelables, notre pays a tous les atouts pour devenir un grand producteur d’énergies propres avec du soleil tout au long de l’année et du vent dans certaines régions comme le Cap Bon ou Bizerte. Lorsque nous savons qu’en Europe occidentale où il n’y a pas de soleil autant qu’en Tunisie, le mix se situe entre 70 à 80% alors que nous n’avons pas atteint les 4% (3,7%) depuis le lancement du Plan solaire de 2015, on est en droit d’être déçus ».

C’est ainsi que s’est adressée Neila Nouira Gongi au parterre de journalistes présents lors de la conférence du vendredi 10 juin consacrée à une thématique oh combien importante, celle des énergies renouvelables, un secteur qui n’arrive pas à décoller dans un pays qui souffre d’un énorme déficit énergétique et dans un contexte mondial de flambée des prix de gaz et de pétrole à cause de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

Pour la ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie, le blocage du développement du secteur des énergies renouvelables ne tient pas à la réticence des décideurs publics mais à des raisons qui les dépassent. Neila Gongi a évité d’entrer dans les détails, préférant observer une posture toute diplomatique pour ne pas se mettre sur le dos les syndicats « guerriers ».

L’Etat n’est pas responsable du blocage du développement du secteur des énergies renouvelables

En réalité, comme l’explique Ezzeddine Khalfallah, expert en énergies renouvelables, notre électricité est produite à 95% à partir du gaz (97% selon le ministère) et notre production de gaz a baissé de 40% entre 2010 et 2019. Parallèlement ses prix flambent, et il se pourrait bien que l’Etat devienne incapable de couvrir le gap entre les coûts de l’importation et de la production et les prix de vente dans les prochaines années.

La compensation coûte de plus en plus cher à l’Etat alors qu’il est plus simple d’user d’énergies renouvelables pour juguler les prix et préserver les réserves nationales en devises.

L’importation des hydrocarbures correspondent à 58% de dépenses en développement, 13% des ressources de l’Etat et 3,7% du PIB

Le Plan Solaire Tunisien établi en 2015 prévoit l’installation de 3 800 MW d’énergie renouvelable. Il faut compter autour d’un million d’euros d’investissements pour chaque MW installé, ce qui revient à une enveloppe d’investissement de l’ordre de 3,8 milliards d’euros, soit plus de 12,5 milliards de dinars. La STEG, lourdement endettée et déficitaire, a-t-elle les moyens d’investir autant ?

Evidemment non !

Il faudrait que l’Etat devienne magicien pour combler le gap entre le prix du baril de pétrole prévu dans la cadre de la loi des finances de 75 $ et celui auquel se vendent pétrole et gaz

Les syndicats ont juré leurs grands dieux qu’aucune centrale photovoltaïque privée ne sera raccordée au réseau de la STEG. Les petits promoteurs qui, eux, ont cru dans les promesses de l’Etat tunisien qui a promulgué une loi les autorisant à construire des centrales risquent aujourd’hui la faillite. Autant ne pas parler de l’image que renvoie la Tunisie à l’international, celle d’un Etat incapable de protéger les investisseurs.

L’Etat tunisien est pourtant conscient des enjeux. Il faudrait qu’il devienne magicien pour combler le gap entre le prix du baril de pétrole prévu dans la cadre de la loi des finances de 75 $ et celui auquel se vendent pétrole et gaz qui balance entre 120 et 123 $, est conscient des enjeux.

Conscient mais trop frileux, voulant à tout prix éviter les confrontations avec les syndicats aux dépens de ses équilibres budgétaires et du pouvoir d’achat des consommateurs.

Imaginons que Scatec, le développeur norvégien, entre en production et commence à vendre à la STEG les 300 MW qu’il aurait produit dans les 3 centrales solaires dans lesquelles il a investi en Tunisie, le prix pour le KW ne dépasserait pas les 75 millimes alors que la STEG produit au double de ce prix et subventionne l’électricité de 85% des consommateurs tunisiens.

La compensation fragilise d’autant plus les équilibres budgétaires que l’importation des hydrocarbures se fait en devises avec des cours mondiaux en hausse permanente.

L’importation des hydrocarbures correspondent à 58% de dépenses en développement, 13% des ressources de l’Etat et 3,7% du PIB. C’est énorme !

Ajuster pour atteindre l’équilibre énergétique

Comment atteindre l’équilibre ? Pour la ministre de l’Energie, les temps sont venus de remettre le système d’appui en question. « Voyez l’impact de la guerre en Ukraine sur nombre de pays européens ou proches de nous comme le Maroc ou la Jordanie. L’ajustement des prix a été instantané… En Allemagne, on pense même à rationner le gaz pour les entreprises. En Tunisie, nous n’en sommes pas encore là, l’ajustement reste partiel. Mais il faut que nous trouvions des alternatives viables et économiques pour une sortie de crise qui ne menace pas la compétitivité de nos entreprises et ne porte pas atteinte au pouvoir d’achat de nos concitoyens. Pour y arriver, la seule solution est l’accélération de la transition énergétique ».

Ce n’est un secret pour personne que l’Europe compte interdire, à partir de 2035, la vente des véhicules thermiques, ce qui signifie une seule chose : la transition énergétique est le seul moyen pour la Tunisie d’être au diapason des changements profonds qui vont advenir chez ses principaux partenaires.

L’Allemagne ambitionne d’obtenir 80 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables en 2030, un chiffre en hausse par rapport à ce qui avait été auparavant fixé, à 65 %.

La transition énergétique pour la Tunisie, le développement de l’efficience énergétique et la mobilité électrique ne doivent plus s’arrêter au stade d’intention

Dans 2 ou 3 ans, l’Europe, partenaire principal de la Tunisie, pourrait bien exiger le bilan carbone pour tous les produits écoulés sur ses marchés, ce qui frappera de plein fouet les industriels tunisiens qui n’ont pas réalisé leur migration vers les énergies propres.

La maîtrise des coûts énergétiques est un facteur essentiel de compétitivité, un argument différenciant sur les marchés internationaux comme en témoigne le succès rapide de nombre d’entreprises qui se positionnent avec des produits décarbonés à l’international.

La transition énergétique pour la Tunisie, l’accélération du programme des énergies propres, le développement de l’efficience énergétique et de l’accompagnement, la mobilité électrique ne doivent plus être des vœux ou s’arrêter aux intentions. C’est une nécessité et une obligation.

La ministre de l’Industrie a annoncé le lancement d’appels d’offres internationaux pour la production de 2 000 MW ER. «Nous avons pris beaucoup de retard, un retard que nous devons rattraper, vous avez bien vu les chiffres. Nous avons commencé par un premier jet, et nous comptons dans les prochaines semaines accélérer le rythme de la production de l’électricité à partir des énergies renouvelables, qu’il s’agisse de l’éolien ou le photovoltaïque ».

Pour y réussir, un travail de fond a été fait sur le cadre juridique et réglementaire touchant à toute la chaîne de valeurs. « Beaucoup me disent que nous rêvons quand on cite l’hydrogène vert, ou quand on parle d’ammoniac vert. Je peux vous assurer qu’aujourd’hui c’est une réalité. Nous travaillons sur un programme que nous avons mis sur la table avec pour objectif d’accélérer la production locale de l’électricité pour dépasser le cap des 35% d’ici 2030. Nous irons vers l’hydrogène vert, et ce n’est pas parce que c’est la mode mais parce que nous sommes un pays producteur de phosphate et parce que nous pouvons avoir, à partir de l’hydrogène vert, de l’ammoniac vert. Nous pouvons aussi être aisément un pays exportateur d’engrais verts. Aujourd’hui seule la Norvège le fait, alors pourquoi pas la Tunisie qui possède tous les atouts de réussite dans ce domaine. L’étude sera fin prête d’ici la fin de l’année, et nous avons un avantage comparatif compétitif très important ».

Nous pouvons être un pays exportateur d’engrais verts. Aujourd’hui seule la Norvège le fait, pourquoi pas la Tunisie

Pour précision, l’hydrogène vert est le dihydrogène fabriqué de manière décarbonée à partir d’une source d’énergie renouvelable ou nucléaire. La Tunisie est un lieu privilégié pour la production d’hydrogène vert à faible coût destiné au marché local ou à l’international.

Lire aussi : L’hydrogène vert, une manne providentielle pour la Tunisie

L’ammoniac vert pourrait faciliter la transition énergétique en tant que carburant décarboné ou comme vecteur énergétique. Il pourrait remplacer les carburants émettant du CO2 et contribuer grandement à la transition énergétique.

Des études stratégiques énergies seront présentées avant la fin du mois de juillet. Elles comprendront des recommandations et annonceront les décisions à prendre.

Parallèlement, les conclusions des études stratégiques sur l’industrie et l’innovation à l’horizon 2035, où l’axe économie verte et économie circulaire, est un axe prépondérant seront annoncées la première semaine du mois de juillet. « Nous sommes bien décidés à repositionner la Tunisie en tant que site attractif pour les investissements, et en tant que pays innovant et avant-gardiste », a assuré Neil Nouira Gongi.

Croisons les doigts.

Amel Belhadj Ali