Le secteur des énergies renouvelables manque de mixité. Les femmes demeurent globalement moins nombreuses dans les postes de décision et dans les principaux métiers de l’énergie, selon Tanja Faller, cheffe du Cluster Energie & Climat de la GIZ Tunisie.

Dans cette interview accordée à l’Agence TAP, la responsable estime que les femmes devraient être des actrices de premier plan dans la transition énergétique “parce qu’elles pourraient créer le changement et aussi parce que la diversité aboutit toujours à de meilleurs résultats”. Interview.

Est-ce que l’égalité des genres est respectée, d’après vous, dans le secteur de l’énergie renouvelable en Tunisie?

Tanja Faller: Ca dépend de votre définition du concept genre. En Tunisie, sincèrement, la situation est beaucoup mieux que dans d’autres pays, car il y a aussi une meilleure perception des carrières dans le sens où les femmes s’orientent de plus en plus vers les métiers des sciences, des technologies, de l’ingénierie ou du numérique.

Les filles aussi choisissent des cursus scolaires scientifiques, et là encore, la Tunisie est en avance.

Mais est-ce que les femmes et les hommes sont égaux? Je dirais que non ! Parce que ce n’est pas toujours évident d’accepter les femmes dans certaines activités.

Généralement, la question du genre doit se traiter dans son ensemble, car si on parle de genre en dehors de la dualité Hommes-femmes, il y a une forte discrimination dans le secteur de l’énergie.

En tout cas, il faut que tout le monde travaille sur cette question et il faut associer même les hommes à ce combat sur la parité et l’égalité des chances parce que tout le monde en sortira gagnant.

D’après vous, pourquoi on a besoin aujourd’hui de femmes dans le secteur de l’énergie?

Tout simplement, parce que la diversité crée toujours des résultats meilleurs. Au sein de la GIZ, nous avons toujours œuvré à respecter une approche des droits humains et à soutenir la parité, parce qu’on croit que plus les équipes sont mixtes et diversifiées, plus les résultats seront plus importants.

Revenons à la conférence “WomenEnergizeWomen” organisée début mai à Munich, quelle est sa portée et qu’envisage d’entreprendre la GIZ, dans le futur?

La conférence fait partie d’une campagne de sensibilisation et de réseautage. Nous travaillons beaucoup dans ce cadre sur le mentorat des jeunes femmes dans le secteur de l’énergie en collaboration avec le réseau “Global Women in Energy Transition” (GWNET), pour aider les femmes à échanger et à mettre en valeur leurs carrières et leur rôle dans la transition énergétique.

L’idée est aussi, de baliser le terrain aux jeunes générations, les filles exceptionnellement, pour qu’elles empruntent cette voie des énergies renouvelables. Personnellement, je crois aujourd’hui qu’il faut que les femmes comprennent qu’elles peuvent apporter une valeur ajoutée dans le milieu du travail.

Leur présence à tous les niveaux, je la vois comme privilège et une opportunité et on doit guider les jeunes filles sur ce chemin pour qu’elles optent davantage pour les métiers STEM (Sciences, Technology, Engineering et Mathematics), si elles le veulent, bien sûr.

Et pour les femmes dans le milieu rural, comment les associer à la transition énergétique, d’après vous?

C’est vrai qu’on n’a pas de programmes spécifiques aux femmes dans le milieu rural. Mais, je crois que celles-ci peuvent bénéficier d’une façon ou d’une autre, du déploiement des ER et de l’accélération du rythme de la transition énergétique.

Par exemple, nous avons aidé à équiper des hôpitaux par des panneaux solaires dans le cadre d’un plan pour aider les populations à se faire vacciner pendant la pandémie. Ce genre d’initiatives aide à rapprocher les services de soin de ces femmes et des populations rurales en général.

Promouvoir l’énergie solaire et renouvelable dans le milieu rural pourrait avoir un impact sur les femmes, même si on n’a pas de programmes spécifiques pour cette catégorie. Aussi, avoir de l’énergie solaire pourrait faire éviter aux femmes d’aller des kilomètres pour ramasser du bois pour la cuisson, puisque ce sont toujours les femmes et non pas les hommes qui fournissent ce service au sein des ménages.

Vous travaillez beaucoup avec les autorités énergétiques tunisiennes (ANME, STEG) pour accélérer la transition énergétique. Que pensez-vous du rythme de déploiement des ER en Tunisie?

Ce rythme est très lent à mon avis. On n’est actuellement qu’à 4 % d’énergie renouvelable dans le mix énergétique, alors qu’on cible 30% à l’horizon 2030 (récemment révisé à 35%). Je crois que même un taux de 30 % n’est pas ambitieux pour la Tunisie, compte tenu du potentiel existant. Si on n’est pas ambitieux, on ne reçoit pas de fonds additionnels et vice-versa.

A mon avis, il faut une vision claire avant tout, après, les fonds vont venir. D’abord, il faut travailler sur la lenteur des délais d’implémentation des projets d’énergie renouvelable. Des blocages forts persistent et je dirais que c’est politique. Car, la lenteur du rythme de déploiement des ER, ne résulte pas d’un refus de ces énergies, mais plutôt d’une lenteur au niveau de la prise de décision.

Pour accélérer ce rythme, il faut que la prise de décision ne dépende pas d’une seule personne.

C’est tout un secteur qui doit bouger. Je vous explique pourquoi une chose prend beaucoup plus de temps en Tunisie qu’en Allemagne. C’est parce qu’en Allemagne, la prise de décision ne se limite pas à une seule personne.

Je crois que la mise en place d’un comité de prise de décision à un plus haut niveau est très importante. Si ce comité se dote d’une vision claire, il agira et respectera des règles claires et transparentes et il pourra débloquer beaucoup de situations et signer les contrats de concession.

Revenons à la question du financement. Pensez-vous que l’accès aux financements des projets de transition énergétiques est meilleur qu’avant en Tunisie ?

Non! Tout simplement parce que la situation financière de la Tunisie n’est pas meilleure qu’avant. Cette situation financière a besoin de plus d’attention à mon avis.

Les conditions de financement des projets ER ne sont pas non plus favorables et désormais ces conditions dépendent de la situation financière du pays. Car, le risque pays compte pour les investisseurs.

C’est pour cela que pour la GIZ l’accord avec le FMI est primordial pour pouvoir avancer et débloquer les financements pour les ER. Ceci ne signifie pas attendre la décision du FMI pour avancer et continuer à travailler sur les projets d’ER en Tunisie.

D’abord parce que la GIZ ne finance pas les projets, mais elle assiste techniquement et travaille en partenariat avec les autorités tunisiennes et ensuite parce qu’il ne faut pas que la Tunisie se contente des financements des bailleurs de fonds internationaux (BM, BAD, BERD, KFW…).

Il faut que les projets d’ER dans le pays soient économiquement viables pour attirer les fonds privés.

La Banque mondiale ou n’importe quel bailleur de fonds multilatéral peut assister au début, mais la solution à long terme c’est le secteur privé. Donc, il faut voir ce dont le secteur privé a besoin et ce qui lui manque, pour s’engager davantage dans le financement de projets ER.