Lorsque nous voyons que l’une des références principales pour la mise en place d’une stratégie de relance économique, vitale pour un pays asphyxié et sur laquelle planche le gouvernement depuis des mois, est la Consultation nationale (voir critique méthodologique), nous ne pouvons nous empêcher d’être déçus. Pire, nous sommes scandalisés. La Tunisie n’a pas encore atteint le fond mais elle y va incontestablement.

C’est dramatique. Nous ne sommes plus dans le populisme mais dans la populacerie.

Ainsi, après les Hédi Nouira, Mansour Moalla, Ismail Khlil, Mustapha Kamel Ennabli, Taoufik Baccar, Mohamed El Ghannouchi, c’est la rue aujourd’hui que nous interpellons pour décider des priorités économiques du pays, et ce à travers une consultation nationale contestable aussi bien sur le plan méthodologique que sur celui de sa réalisation sur terrain.

Non mais où va-t-on ?

Donc le gouvernement, ses ministres et ses administrations qui, apparemment, réalisent la mollesse de l’activité économique et la fragilité des équilibres macro-financiers ont cru bon de s’adosser à la Consultation nationale à laquelle auraient participé les érudits du pays (sic) pour définir la stratégie de l’économie nationale.

Dans la Tunisie d’antan, lorsque nous étions un Etat respectable, les plans économiques étaient la quintessence de la synergie des ministères et de leurs meilleures compétences.

Que nous promettent donc les grands de l’économie, forts de la légitimité de la consultation ?

En l’absence de l’investissement, la hausse du taux de chômage et à la faillite des PME, la cherté de la vie et l’aggravation des risques budgétaires sous la pression du conflit russo-ukrainien, ils pensent pouvoir relever le rythme de croissance de 2,6% en 2022.

Comment ?

En rétablissant la confiance, disent-ils. Les représentants de notre gouvernement prétendent que la confiance des opérateurs économiques se rétablit graduellement. Ce qui n’est nullement le cas, au vu des échanges que nous avons régulièrement avec ces derniers. Des opérateurs qui voient à chaque fois s’abattre sur eux l’épée de décrets présidentiels ne s’appuyant sur aucune logique économique. Mesures prises de manière unilatérale, les membres du gouvernement n’osant discuter aucune à voir leurs attitudes soumises lors des conseils ministériels. Comment rétablir la confiance des investisseurs et rassurer la population en entendant régulièrement les invectives du président ? Kaïs Saïed ne sait-il pas qu’il terrorise les investisseurs par son attitude hostile ?

Tout dernièrement, le lancement d’un BTC d’un milliard de dinars avec un taux d’intérêts qui dépasse les 9% a réussi. Preuve que les banques disposent d’assez de liquidités qu’elles prêtent aux plus forts taux en l’absence d’investissements notables dans l’économie.

Objectifs spécifiques ? Pourquoi faire ?

Le ministère de l’Economie et de la Planification a émis un document consacré à la relance économique où on cite des objectifs spécifiques. La définition économique des objectifs spécifiques ou auxiliaires est qu’ils «sont les objectifs concrets et mesurables que l’entreprise espère atteindre dans un certain laps de temps et toujours dans le cadre des objectifs généraux». Oui mais à l’échelle d’un Etat, à quoi riment-ils et sont-ils mesurables?

On parle des « PME qui voient leur trésorerie se renforcer et leur accès au financement facilité, des projets d’investissement public et privé débloqués et de nouveaux projets lancés, des lois et règlements régissant le climat des affaires modernisés, des entreprises exportatrices plus compétitives ».

Magnifique ! Mais …

Conjugués au présent, ces objectifs – ne nous mentons pas à nous-mêmes – n’ont pas pu se réaliser dans le passé à cause de nombre d’entraves, dont une administration publique qui refuse de céder ne serait-ce qu’un millimètre de son terrain opposant un véto à toute tentative d’éliminer les autorisations superflues. Sclérosée, vidée de ses compétences, appliquant des réglementations désuètes et paralysantes dont certaines centenaires, cette administration refuse systématiquement de céder son autorité et son pouvoir, d’où le rejet de l’établissement d’une liste négative pour booster l’investissement.

Il faut dire qu’en l’absence d’une décision politique éclairée, pour une véritable révolution procédurale et réglementaire, nous ne pouvons parler de la réussite de réformes ou d’avancées économiques. Des réformes qui doivent être conçues et élaborées par de véritables économistes et non par des politiciens propagandistes.

A ce propos, pourquoi ne pas avoir tout simplement révisé le Code de l’investissement en y introduisant de nouveaux éléments incitatifs pour l’investissement, éliminant les réglementations désuètes et allégeant le cadre légal ? Pourquoi se suffire de mesurettes quand nous pouvons prendre des mesures efficientes ?

Que le gouvernement, en soutien au secteur privé, veille aujourd’hui à apurer une partie des arriérés de l’Etat vis-à-vis des entreprises en priorisant le secteur du BTP n’a rien de lumineux, quant à la mise en place d’un crédit de 50 millions de dollars (près de 150 millions de dinars) pour le refinancement des PME, à quoi serviraient-ils en l’absence de lois facilitatrices et fluides ? Proroger de 12 mois le report d’échéance des unités touristiques viables ne sauverait pas ces unités dans une conjoncture internationale où il y a risque de recul des intentions de départs en voyage. La Tunisie reçoit la clientèle moyenne et bas de gamme, celle qui souffrira le plus des conséquences de la guerre en Ukraine. Les stratégies à mettre en place ne doivent pas être conçues et réfléchies dans une logique de coup par coup mais être profondes et courageuses.

Les lignes de financement ne suffiront pas en l’absence de la confiance

Hédi El Arbi, économiste, n’a pas cessé de crier à tue-tête que les financements viendront lorsque la confiance sera rétablie et les plans de relance ou même de sauvetage seront élaborés par de hautes compétences. Ses appels, ses cris ne sont toutefois pas entendus. Toutes les lignes financières destinées aux PME, qu’il s’agisse de recovery, ou de la ligne de financement des 200 MDT, ou de l’augmentation de la ligne de dotation de soutien à la restructuration financière des PME de 100 MDT ne serviraient à rien et encore. Nous ne savons pas si le gouvernement Bouden dispose des fonds nécessaires.

Adopter un décret-loi portant mesures exceptionnelles pour accélérer les projets d’investissement public et relancer l’investissement privé et toutes les mesures d’encouragement pourrait ne pas servir à grand-chose. Rien qu’à lire les décrets présidentiels sur la spéculation, la réconciliation pénale, nous pouvons supposer que ceux qui pensaient investir ou réinvestir ont décidé de tempérer. Par leur formulation, leur ambiguïté, leur dimension coercitive et leurs incohérences, ces décrets effrayeraient quiconque voudrait investir. Ceci conjugué à l’absence de visibilité.

Nous attendons, à ce propos, du ministère des Finances qu’il annonce les chiffres sur les opérateurs du secteur informel qui se sont présentés aux services du ministère profitant des mesures d’amnistie pour régulariser leur situation. Nous attendons que ce même ministère nous explique comment le budget 2021 a été clôturé, et comment nous allons boucler le budget 2022 avec près de 30 milliards de dinars en moins au vu de la flambée des prix du pétrole et des céréales.

Des mesures énumérées dans le plan de relance qui s’apprêtent plus à des déclarations d’intention

Qu’il s’agisse de l’inventaire des actifs de l’Etat, de leur évaluation en vue d’en faire bénéficier les projets publics et privés, de technologies, de la révision de l’article 96 du Code pénal, de celui du change, ou de décrets-lois à promulguer sur les sûretés mobilières, l’appui à l’inclusion financière (améliorer l’accès aux services financiers, protection des consommateurs…), le « Crowdfunding », l’ESS ou la simplification des procédures et la promotion des exportations, la Tunisie ne pourra pas s’en sortir sans un climat politique rassurant.

L’articulation des mesures énumérées dans le plan en actions concrètes n’est pas claire ; trop générale, elle nous donne l’impression d’être plus dans les déclarations d’intention que dans les véritables réalisations.

Aucune dimension concrète. Ce qui nous pousse à nous poser la question suivante : ce plan de relance économique est-il une réponse aux besoins immédiats d’un pays en détresse ou juste pour satisfaire aux vœux du président ?

Lorsque le soleil brille, il ne brille pas sur toute la planète terre, juste sur une moitié. Kaïs Saïed, président de la République, devrait avoir l’humilité de reconnaître qu’il ne peut gérer la Tunisie, décidant de tout, partant de ses propres convictions et croyant dur comme fer détenir la vérité. Une vérité puisée dans l’histoire proche et lointaine sans aucun rapport avec la réalité socioéconomique de la Tunisie aujourd’hui. A travers l’histoire, il y eut des philosophes qui ont avancé des idées qu’ils pensaient lumineuses, tel Proudhon, ce socialiste utopique qui n’a pas pu réaliser ses rêves d’un monde idéal égalitariste, et considéré par ses pairs comme un anarchiste. Même Karl Marx, qui a inspiré la révolution bolchévique, n’a pas vu sa doctrine réussir en Union Soviétique ; la preuve : sa chute et la remise en question de tout le système marxiste-léniniste.

Si Kaïs Saïed avait de l’humilité, et aimait autant la Tunisie qu’il le dit, il aurait écouté les voix des meilleures compétences économiques et politiques, indépendamment des sympathies ou antipathies personnelles, et l’aurait sauvée d’une dégringolade devenue malheureusement prévisible.

Si Kaïs Saïed avait de l’humilité, il n’aurait pas eu à imposer à un gouvernement frileux et effacé, la consultation nationale comme référence pour des décisions déterminantes pour le futur du pays.

Si Kaïs Saïed avait de l’humilité, il se serait rendu compte que sa diplomatie tous azimuts est un échec, que ses ambassadeurs dans les pays les plus importants pour la Tunisie, partenaires de longue date, sont défaillants et ne font pas grand-chose pour clarifier la situation du pays à l’international, laissant les lobbyistes traitres traîner notre image dans la boue. Il aurait compris que son ministre des Affaires étrangères ne réussit pas à améliorer nos relations avec nos amis de longue date : incompétence ou impuissance ?

Si Kaïs Saïed avait de l’humilité, il aurait écouté d’autres voix que la sienne, ce qui, peut-être, auraient fait la différence. Mais lui qui se dit soucieux du jugement dernier, prenant à tout bout de champ des référence islamiques, n’entend personne.

Kaïs Saïed aura-t-il des réponses convaincantes lorsque Dieu, qu’il craint apparemment plus que tout, lui demandera des comptes sur ce qu’il a fait de sa « Oumma » (resic) ? Le Dieu tolérant, miséricordieux, le fidèle, le clément, le sécurisant, le confiant qui pardonne, qui absout, qui gracie, qui écoute, qui compatît et surtout qui aime ?

Des 99 noms d’Allah, Kaïs Saïed aurait-il choisi juste ceux du contraignant, du dominateur, qui avilit, qui abaisse, qui juge arbitre et tranche ?

Qui est Kaïs Saïed, cet homme qui tient dans ses mains les destinées d’un pays, qui décide de tout et pour tous ?

Nous gagnerons peut-être à découvrir qui est notre Président !

Amel Belhadj Ali