Une douleur humaine insurmontable, celle de femmes lâchées par le destin d’une famille déchirée et d’un entourage parfois hostile, est projetée en images dans “Sœurs”, nouveau film, oeuvre de la franco-algérienne Yamina Benguigui.

Le film est un long-métrage de fiction (1h39) “qui est en partie autobiographique ” a déclaré la réalisatrice, présente vendredi soir au cinéma Le Colisée à Tunis, à l’occasion de la projection de son film en avant-première tunisienne.

Après sa sortie dans les salles françaises, en juin dernier, “Sœurs” sera, à partir du 8 décembre courant, dans les salles tunisiennes, au Colisée et dans plusieurs autres cinémas de la Capitale. Le groupe Goubantini est le distributeur en Tunisie de cette coproduction de StudioCanal et CADC avec plusieurs autres partenaires français.

Dans “Sœurs”, Benguigui traduit cette relation quelque part ambiguë avec le pays d’origine et celui d’accueil et un lien qui n’est jamais rompu malgré la séparation qui demeure géographique. “Nous sommes nés en France mais nous portons en nous l’histoire de cette Algérie, l’histoire du Maghreb..”, dit-elle devant un public peu nombreux, venu voir son film en bravant la pluie et le mauvais temps.

La cinéaste est également une femme politique française, de parents algériens, née et ayant vécu dans la ville de Lille au Nord de la France. Elle était notamment ministre déléguée chargée des Français de l’étranger et de la Francophonie (2012) et ministre déléguée à la Francophonie (2012-2014). La question identitaire et de double culture a souvent été au coeur de ses films et ses actions en faveur des droits des femmes d’origine maghrébine en France.

“Ce film constitue une étape importante pour moi ” a confié la réalisatrice qui lève le voile sur la question d’enlèvements d’enfants et le code de la famille en Algérie où la loi (article 87) reconnait uniquement l’autorité du père sur les enfants. Une question dont elle soulève dans le film.

“Sœurs” revient ainsi sur la question identitaire dans une fiction qui réunit un casting d’actrices françaises ayant toutes des origines algériennes: Isabelle Adjani (Zorah), Rachida Brakni (Djamila) et Maiwenn (Nohra). La Franco tunisienne Hafsia Herzi, algérienne de par sa mère, est dans le rôle de Farah, la fille de Zorah alors que Faiza Guène interprète le rôle de Soumaya, la cousine des trois sœurs, à Alger. Cette dernière est également réalisatrice, scénariste et romancière.

Cette fiction a été tournée fin 2018, entre la France et l’Algérie dans les villes d’Alger, Oran et Constantine. Benguigui rappelle un tournage difficile qui a coïncidé avec le hirak en Algérie et la crise sanitaire liée au covid19 et le confinement en France.

La cinéaste y aborde l’histoire de trois sœurs à la recherche de leur frère disparu depuis son enlèvement par son père. Depuis trente ans, les trois sœurs vivent dans l’espoir de retrouver leur frère Rheda, enlevé par leur père et caché en Algérie. Selon la volonté de leur maman, elles reviennent sur les traces d’un passé douloureux, notamment pour la cadette qui était elle aussi enlevée par le papa, un homme dur et agressif.

Elles partent à Alger à la rencontre de leur père mourant afin qu’il les aide à retrouver leur petit frère, dissimulant au fond d’elles cette rancœur qui ronge et le sentiment d’injustice qui les guette.

Zorah et ses sœurs débarquent dans une Algérie révoltée contre un cinquième mandat politique dont les prémisses se font sentir à Tiziouzou, terre de leurs ancêtres, et les vendredis interminables des manifestations hebdomadaires. Elles embrassent un mouvement en marche et adoptent une révolution qui s’assimile à la leur mais qui se passe plutôt au milieu de foules aspirant à la liberté.

L’histoire du film est donc en partie autour de la vie de Benguigui, cette cinéaste et créative polyvalente qui est à la fois, réalisatrice, romancière et femme politique. ” Il y a 30 pc de mon histoire après avoir fait une trentaine de films sur l’histoire de l’immigration, sur la présence de nos parents en France et sur leurs enfants..”.

Après un premier long-métrage de fiction en 2000, “Incha’Allah dimanche”, Benguigui revient avec “Sœurs” portant la double casquette puisqu’elle est à la fois la réalisatrice et la scénariste. Pour ce nouveau film, elle estime avoir conquis un thème encore plus profond à travers “un récit plus intime dans une fiction sur les femmes, les sœurs, la sororité et le rôle de l’aînée..”.

La grande question qui se pose pour elle c’est aussi celle la possibilité qu’offre le cinéma pour mettre à nu certains de nos maux. La réalisatrice se libère donc du poids d’une certaine dictature patriarche et sociétale pour se projeter dans une vision subjective d’une femme mure et raisonnable dont Isabelle Adjani incarne le rôle.

A travers ce film, elle crie haut et fort, réclamant ” est-ce que nous avons le droit d’écrire nos histoires et pas le regard de la société qui nous entoure, ces vis-vis des familles que nous avons?”.

Le maki, l’histoire, les séquelles d’un passé douloureux persistent et font leur apparition dans le présent des sœurs et leur maman divorcée il y a trente ans pour les sauver et se sauver d’un mari violent. Pourquoi tu as divorcé? lui dit sa petite fille Farah (Hafsia Harzi), un choix que la veille Dame explique par sa volonté de préserver ses filles, “c’est pour votre liberté”, dit-elle.

Deux des trois sœurs ont parvenu à réussir leur vie professionnelle, l’une directrice de théâtre et scénariste et l’autre est mairesse. Mais parfois il suffit d’un mot pour savoir que le mot intégration demeure difficile même étant nées et vécues toute leur vie en France. Le sentiment d’être étrangères les guette pourtant elles sont chez elles.

A partir d’une pièce de théâtre documentaire dans laquelle la petite fille Farah joue le rôle de sa mamie, la sœur aînée, Zorah, adapte l’histoire de sa famille pour le Théâtre dans une œuvre qui fait échos en Algérie.

Au maki, ressurgissent les scènes horribles de viol de jeunes femmes résistantes par les militaires. Leur maman en a été victime et témoin et les atrocités de la guerre en période coloniale continuent de hanter les esprits. Leurs répercussions physiques et surtout psychiques les affectent encore, les grands comme les petits.

Cette fiction franco-algérienne est réalisée à partir d’une musique signée Amine Bouhafa, célèbre compositeur tunisien et auteur de plusieurs œuvres pour le cinéma. La réalisatrice y intègre aussi d’autres musiques du patrimoine algérien ce qui accentue encore plus cet amour pour ses racines et l’identité maghrébine auprès de Yamina Benguigui.