Dix (10) ans de violence verbale et physique distillée à fortes doses par des télévisions dont les feuilletons, tenez-vous bien, passent pendant le mois du ramadan. Un mois pourtant consacré au partage, à la générosité et à l’amour de son prochain devenu celui où les télévisions privées s’évertuent à abrutir la population. Ceci face au laxisme de l’Etat et à l’absence de tout contrôle sur le contenu si ce n’est quelques sommations d’une HAICA qui ne bouge sérieusement que sous la pression d’un public avisé ou quand les intérêts de certains partis politiques sont touchés. 

Des feuilletons diffusés en prime time et encouragés par des annonceurs investissant, sans le savoir, dans la violence et la décrépitude morale ! « Aouled Moufida » et « Ali Chouerrreb » constituent, à eux seuls, un « hymne » au banditisme et à l’effritement de toutes valeurs familiales et sociétales ! Des personnages idolâtrés par les jeunes et qui ne leur offrent aucune valeur. Sous d’autres cieux, les annonceurs se soucient plus de la qualité des supports médias servant à la promotion de leurs produits.

Dix ans où les prétendues élites politiques « révolutionnistes » ont offert des spectacles désolants de violence verbale et même physique couverte par tous les médias et diffusée sur tous les réseaux sociaux.

Dix ans de laxisme de l’Etat face aux comportements violents dans les endroits publics, sur les routes et d’indifférence face aux débordements agressifs sur les réseaux sociaux et dans les talkshow.

Dix ans pendant lesquels les enfants, qui avaient tout juste 5 ou 10 ans en 2011, ont partagé avec leurs parents les récits des terroristes partis en Syrie, ont vécu les actes terroristes perpétrés en Tunisie et entendu les récits des jeunes désespérés engloutis par une mer sans merci.

Quand la violence devient la règle, il ne faut pas s’étonner de la voir monter en flèche dans les établissements éducatifs.

Rareté des études sur la violence en milieu scolaire

En Tunisie, rares sont les études faites sur les effets de la violence sur la société. Nous en avons trouvé une intitulée « Marginalisation et violence en milieu urbain en Tunisie : réalité et perspectives » réalisée par Haïfa Bencheikha* en 2020.

On y cite l’école comme étant un nouveau foyer de violence. Entre 2012 et 2015, 67 412 cas de violence dans le pays, ont été rapportés. En 2017, 26 996 cas de violence physique ont été enregistrés contre 7 287 cas de violences verbales.

L’ITES (Institut tunisien des études stratégiques) précise que les violences dans les milieux scolaires sont plus importantes dans les villes et constituent un phénomène urbain par excellence. Le Grand-Tunis enregistre les taux les plus élevés, suivi par Sousse et Sfax.

Les violences scolaires peuvent être expliquées, selon l’ITES, par la régression du rôle d’encadrement de la famille, l’éclatement familial et une situation économique difficile qui crée une frustration chez les jeunes.

Autant dire que les violences ont souvent bien des raisons sociales. Nous pouvons citer la marginalisation et l’exclusion de certaines régions et certains quartiers urbains. La tolérance de la violence émanant de l’autorité, paternelle en particulier, affirme l’étude, qui crée un schéma que l’enfant pourrait ensuite reproduire. Aussi, la vision sociale traditionnelle qui consiste à ne valoriser que les enfants qui réussissent à l’école et à dénigrer ceux qui échouent ainsi que l’absence de politiques visant à organiser le temps libre des enfants et à leur proposer des activités de loisirs alternatives. Tous ces facteurs représentent une cause du malaise chez les jeunes, estiment les chercheurs.

Ce descriptif s’applique malheureusement sur le jeune du Lycée Ezzahra, apparemment lui-même victime de violence, ce que personne parmi le cadre enseignant ou l’administration n’a relevé. Ceci nous ramène à l’absence, dans nos structures scolaires, d’assistance psychologique pour les élèves vivant des problèmes familiaux, en souffrance et fragiles émotionnellement.

La violence, indique l’étude citée plus haut, s’explique par la défaillance de l’encadrement familial mais aussi par la pauvreté et le sentiment d’exclusion sociale, sans oublier l’incapacité des familles à consacrer du temps à l’éducation de leurs enfants.

Par ailleurs, on y précise que l’école a perdu son rôle en tant qu’établissement d’éducation à cause de «la généralisation des cours particuliers, des difficultés de communication et du climat tendu qui peut contribuer à augmenter les troubles de comportement des élèves. Ceci ajouté à l’absence d’activités de loisirs et de divertissement. Ils sont loin ces temps où des excursions sont régulièrement organisées dans les établissements scolaires pour permettre aux élèves la découverte du pays!

La faute au système éducatif !

Un haut fonctionnaire du ministère de l’Education nationale témoigne : «Comment voulez-vous qu’un élève respecte son enseignant qu’il paye lui-même pour les cours particuliers ? Quelle image renvoie aux élèves un enseignant qui prend un congé longue durée pour dispenser des cours payants chez lui ? Toute forme de violence doit être condamnée, c’est évident, mais n’oublions pas que l’attitude d’une partie du corps enseignant nuit au statut de l’enseignant et à sa noble tâche d’éduquer et d’apprendre les valeurs aux générations futures. Il est honteux de voir des enseignants sortir avec leurs élèves usant de l’autorité morale dont ils disposent. La relation entre un élève et son enseignant est un facteur clé de la réussite scolaire et les sentiments de confiance et d’efficacité de l’enseignant ont un impact positif sur la performance scolaire des jeunes, d’où l’importance d’établir des relations saines et bienveillantes. Ceci sans oublier l’importance du niveau pédagogique de l’enseignant qui dispense le savoir ».

Plus que la conduite indécente d’une partie infime du corps enseignant, c’est un système, celui de l’éducation nationale qui est en faillite. Il n’est épanouissant ni pour l’élève ni pour l’enseignant.

Il est en faillite parce que, depuis les années 90, il n’a pas accompagné les évolutions socioéconomiques du pays et n’a pas parié sur l’amélioration de la formation du corps enseignant et du cadre dans lequel évoluent enseignants et élèves à savoir l’école, le collège ou le lycée. La Tunisie a aussi beaucoup perdu en éliminant les filières professionnelles du cursus scolaire et en condamnant ceux et celles qui préfèrent les filières courtes ou le travail manuel à continuer leurs études dans des centres de formation ou à terminer un cursus long par obligation ou sous la pression familiale. Elle a beaucoup perdu en ennoblissant les filières longues aux dépens de celles courtes.

Les pouvoirs politiques ont aussi œuvré à créer des générations de jeunes obtus et fermés à la culture de la vie et à la créativité en les privant des activités culturelles et artistiques au sein de leurs institutions scolaires. La culture est indispensable à l’épanouissement des jeunes. Les différentes expressions artistiques représentent pour eux le moyen d’exprimer leurs sentiments et d’exorciser leurs souffrances au quotidien. Pour eux, l’art est la possibilité d’exprimer de multiples manières leurs opinions sur leurs vécu et les problèmes sociétaux qu’ils rencontrent. S’ils ne peuvent pas communiquer, ils ne peuvent pas être compris, donc pas entendus. Or, une personne qui n’est pas entendue se sent rejetée ce qui conduit à l’agressivité et à la violence.

L’école est un microcosme sociétal propice à différentes manifestations de violence, mais c’est également un endroit privilégié pour soutenir l’apprentissage de comportements sociaux positifs et développer des attitudes socio-émotionnelles permettant aux individus de trouver en eux-mêmes les ressources nécessaires pour une gestion saine des relations avec leurs enseignants et en dehors des murs de l’établissement scolaire.

Il est étrange que les syndicats tous puissants du secteur de l’éducation nationale n’aient pas milité pour améliorer la formation des enseignants et la qualité de vie dans les institutions scolaires. Comment, ne pas exiger aujourd’hui, que ces institutions se dotent de psychologues ou de conseillers pédagogiques à temps plein ?

Les comportements violents en milieu scolaire, n’émanent pas que de l’individu, la violence est aussi influencée par un ensemble de conditions de l’environnement scolaire, comme le cadre éducatif, les conditions d’enseignement et d’apprentissage ainsi que la qualité de l’environnement physique et social. Pour prévenir la violence, estiment les experts, il est essentiel de concevoir l’intervention en milieu scolaire à l’intérieur d’un modèle intégrateur ciblant divers niveaux de participation des acteurs concernés. Soit l’ensemble de l’environnement scolaire et ce depuis le ministère de l’Education nationale jusqu’aux familles et passant par les enseignants et les élèves.

Le drame du collège d’Ezzahra pourrait-il être le facteur déclencheur d’une prise de conscience réelle de la nécessité d’une refonte totale de notre système éducatif ?

Amel Belhadj Ali

Source : https://www.cap-lmu.de/download/2020/CAPerspectives-Tunisia-2020-05.pdf?m=1618216294&Un gahttps://journals.openedition.org/insaniyat/8046min qui venait d’avoir le bac