Tunisie : Face à la cherté des combustibles, le blocage des énergies renouvelables

Près de 700 millions de dinars de déficit. Rien que ça ! Il s’agit de la Société tunisienne d’électricité et de gaz (STEG), et ce ne sont pas les 100 millions de dinars débloqués récemment par l’Etat qui l’aideront à se remettre sur pied. L’exploitation d’autres sources de production énergétique pourrait pourtant relativement soulager la société de l’impératif de l’importation de gaz naturel ou de pétrole à prix fort pour faire fonctionner ses centrales électriques.

La loi n° 2015-12 du 11 mai 2015 relative à la production d’électricité à partir des énergies renouvelables autorise la production des énergies photovoltaïques ou éoliennes par des investisseurs internationaux ou nationaux dans le cadre de partenariats public/privé.

Pour la vente de l’électricité, les autorisations sont accordées dans le cadre d’appel à projet ou d’appel d’offres selon l’importance de la production. Pour le premier, tout se décide au sein du ministère de l’Industrie et de l’Energie à condition que la production ne dépasse pas les 10 mégawatts dans le solaire et 30 dans l’éolien.

Pour le deuxième, c’est la Commission de l’énergie à l’ARP qui étudie le dossier et accorde l’autorisation au premier sélectionné sur la base du meilleur rapport qualité/prix. La production dans ce cas varie entre 50 et 200 mégawatts.

La Tunisie prévoit d’ici 2030 d’approvisionner son marché de 30% d’électricité provenant des énergies renouvelables dans le cadre de projets PPP. Il n’est pas sûr qu’elle atteigne ses objectifs au vu de la forte résistance des syndicats de la STEG à leur développement.

Aujourd’hui, les syndicats s’opposent au raccordement au réseau électrique national de la centrale solaire de 10 MW de Tataouine réalisée à 50% par une entreprise publique, en l’occurrence l’ETAP, en partenariat avec ENI et dont le prix de l’électricité est de 117 millimes par kilowatt/heure, ce qui représente tout juste environ 0,1% de la production de la STEG.

Ce projet PPP a été réalisé dans le cadre réglementaire fixé par l’Etat (loi n° 2015-12 du 11 mai 2015) et en vertu duquel la STEG s’engage à acheter l’électricité auprès du producteur. Les investisseurs auraient respecté leurs engagements et construit la centrale solaire dans les délais impartis et dans le respect de toutes les conditions fixées par la loi. Seulement voilà, à ce jour le raccordement au réseau électrique national serait bloqué par les syndicats de la STEG.

Alors, si ENI déposait une plainte pour non respect des clauses du contrat, quelle serait la posture de la STEG et quelle image offrirait la Tunisie aux investisseurs ? Les syndicats « patriotes » (sic) savent-ils que l’Etat serait éventuellement appelé à lui payer des dommages et intérêts ? Est-ce la meilleure action à faire pour sauver une société au bord de la faillite ?

Parmi les raisons non dites, la promulgation de la loi Chahed pour la production et la commercialisation par les privés de l’électricité provenant des énergies renouvelables révisant la loi de 2015. Toutefois, doit-on pour autant bloquer des projets réalisés en toute légalité avec l’approbation de l’Etat ?

L’attitude de certains syndicalistes porte un seul nom : banditisme

La posture des syndicats populistes à souhait viendrait-elle de leur volonté de sauver une entreprise publique vitale pour l’économie nationale ou cacherait-elle d’autres desseins ? Dessins se rapportant aux ambitions électoralistes de ceux qui estiment que plus ils sont radicaux, plus ils débitent des discours dogmatiques/extrémistes et plus ils ont la chance d’être élus. Oui, mais à quel prix ?

De quels droits les syndicats interviennent-ils dans des choix déterminants visant à réduire la consommation des énergies fossiles dans un pays qui en manque considérablement, important gaz naturel et pétrole en devises aux dépens d’autres produits vitaux tels les médicaments ? Pourquoi priver le pays de ce gain en combustibles ? Et comment expliquer la léthargie de l’Etat face à ces agissements ?

La STEG aura toujours besoin de construire de nouvelles centrales électriques pour répondre aux besoins grandissants en électricité. On vient d’achever les centrales de Mornaguia, de Radès, et il y a quelques années celle de Bouchamma pour satisfaire à la demande et ce malgré la résistance des syndicats. Les besoins en électricité ont atteint cette année 4 447 mégawatts. Du jamais vu ! La centrale de Mornaguia a réalisé des records dans la satisfaction des demandes en électricité au plus fort du pic de consommation. L’Algérie a aussi aidé à l’approvisionnement de la Tunisie cet été.

Ce sont les besoins grandissants d’une société qui n’arrêtent pas d’évoluer qui plaident en faveur du développement de nouvelles énergies pour pallier aux coupures d’électricité et répondre aux besoins non moins grandissants de la population et de l’économie.

Mongi Marzouk, ancien ministre de l’Energie, dans un post publié récemment, a exprimé son ahurissement face à la bataille féroce menée par les syndicats contre le développement des énergies renouvelables et au laxisme des autorités de l’Etat.

Lire aussi : Tunisie : Bras de fer entre Mongi Marzouk et la Fédération générale de l’électricité

Slim Bouzidi, secrétaire général adjoint de la Fédération générale de l’électricité et du gaz (syndicat), avait déclaré que « la STEG ne peut pas prendre en charge tous les coûts de transport sur son réseau d’énergie électrique produite à partir des énergies renouvelables sans réaliser un quelconque bénéfice ».

Serait-ce à lui de ses prononcer à ce propos, lui dont les revendications salariales du syndicat qu’il représente ont toujours été satisfaites aux dépens des équilibres financiers de la STEG ?

En quoi le management de la STEG – relevant de la responsabilité du PDG et de son conseil d’administration avec obligation de résultat – concernerait les droits des travailleurs ? Sachant qu’ils figurent parmi les plus privilégiés des entreprises publiques.

Il y un nom au blocage du raccordement de l’électricité produite par la station de Tataouine, estime un expert : banditisme. Sachant que les syndicalistes qui désapprouvent l’attitude de leurs collègues peuvent être traités de “traitres“ et désavoués.

«Les énergies renouvelables sont une priorité nationale, une nécessité vitale pour notre sécurité énergétique, une demande populaire, et revêtent une dimension économique, environnementale et sociale, écrit Mongi Marzouk. Elles occupent une place de choix dans les politiques et priorités de la plupart des pays du monde en raison de leur sécurité énergétique, de la préservation du climat et de l’environnement et de leur faisabilité économique. A l’échelle mondiale, les énergies renouvelables représentent 11% de la demande d’énergie, 27% de la production d’électricité, 10% de la consommation d’énergie en refroidissement et chauffage et 3% de la consommation d’énergie dans les transports. La tendance internationale dans la mise en œuvre des centrales d’énergies renouvelables s’oriente principalement vers les grandes centrales ou l’autoproduction (décentralisée), ce qui est le cas pour la Tunisie. A l’horizon 2025, le plan tunisien d’United Energy vise à atteindre une capacité électrique solaire et éolienne d’environ 2 GW, dont 1,36 GW de grandes centrales, 0,21 GW d’autoproduction. De grandes stations 1,36 GW via des producteurs indépendants ou des projets de production pour la STEG (0,38 GW)».

Mais rien de cela ne sera réalisé tant que les syndicats décideront de tout et se mêleront de tout.

A noter au passage que le dernier rapport d’activité de la STEG fait état de ses mauvais résultats. 5,282 millions de dinars (MDT) en 2020 de revenus, soit -3,5% par rapport à 2019. A cause de la Covid-19 et de la crise économique, les ventes d’électricité ont reculé de 2% et celles de gaz naturel et de produits GPL de 7%. Ceci n’a pas empêché le renforcement des effectifs de la STEG qui auraient augmenté de 3,4 % en 2020 et la masse salariale de 12,5%, atteignant ainsi 505,4 MDT.

La STEG a affiché un nouveau déficit, en 2020 : sa dette dépasse, pour la 3ème année consécutive, les 8 milliards de dinars.

Devons-nous sacrifier l’intérêt du pays sur l’autel au militantisme nocif de certains syndicats ?

Amel Belhadj Ali

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