Loi n° 2021-37 du 16 juillet 2021, relative à la réglementation du travail domestique (1).

Au nom du peuple,

L’Assemblée des représentants du peuple ayant adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Chapitre premier 

Dispositions générales

Article premier – La présente loi a pour objet de réglementer le travail domestique de manière à garantir le droit au travail décent sans discrimination et dans le respect de la dignité humaine des travailleuses et travailleurs domestiques, conformément à la Constitution et aux conventions internationales ratifiées.

Art. 2 – La présente loi fixe les conditions d’emploi des travailleuses et travailleurs domestiques, les droits et obligations de l’employeur et de l’employé. Elle fixe également les mécanismes de contrôle et d’inspection et les sanctions applicables en cas de violation de ses dispositions.

Art. 3 – Au sens de la présente loi, on entend par :

– travailleur domestique : toute personne physique quelle que soit sa nationalité qui accomplit, d’une manière continue et habituelle, des travaux liés au domicile ou à la famille, sous le contrôle et la direction d’un seul employeur ou d’employeurs multiples, moyennant une rémunération, quel que soit son mode de paiement et sa périodicité.

– travail domestique : toute activité manuelle ou de service accompli au sein d’un ou plusieurs ménages ou au profit d’une personne, ou d’un ou plusieurs ménages.

– employeur : toute personne physique qui, sans poursuivre de but lucratif, engage les services d’une travailleuse ou d’un travailleur pour l’accomplissement d’un travail domestique.

Art. 4 – Les dispositions du code du travail s’appliquent aux travailleuses et travailleurs domestiques dans la mesure où elles ne sont pas contraires à celles de la présente loi. Les travailleuses et travailleurs domestiques demeurent régis par les dispositions de la loi n°2002-32 du 12 mars 2002, relative au régime de sécurité sociale pour certaines catégories de travailleurs dans les secteurs agricole et non agricole et à la loi n° 94-28 du 21 février 1994, relative au régime de réparation des préjudices résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Chapitre II
Des conditions du travail domestique

Art. 5 – Il est interdit d’employer ou de faire le courtage pour l’emploi des enfants comme travailleuses ou travailleurs domestiques.

Art. 6 – Les travailleuses et travailleurs domestiques sont employés directement, ou uniquement par l’intermédiaire des bureaux de l’emploi et du travail indépendant.

Art. 7 – L’emploi d’une personne bénéficiaire d’une pension de retraite en tant que travailleuse ou travailleur domestique est subordonné à la notification par l’employeur de la Caisse nationale de sécurité sociale et la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale, et ce, conformément à la législation en vigueur en matière d’emploi des retraités.

Art. 8 – Il est interdit à tout employeur de confisquer les pièces d’identité de la travailleuse ou du travailleur domestique pour quelque cause que ce soit. Il est également interdit, dans le cas où le travail domestique est lié à la résidence, d’obliger la travailleuse ou le travailleur domestique de demeurer au domicile ou avec les membres de la famille, durant les périodes de leur repos quotidien et hebdomadaire ou leur congés annuel. En cas du non-respect, les peines prévues par les lois particulières en vigueur sont applicables.

Section première – Du travail domestique auprès d’un seul employeur

Art. 9 – L’emploi d’une travailleuse ou d’un travailleur domestique auprès d’un seul employeur a lieu par contrat de travail à durée déterminée ou à durée indéterminée.

Le contrat à durée indéterminée auprès d’un seul employeur peut stipuler la soumission de la travailleuse ou le travailleur domestique à une période d’essai rémunérée pour une durée de deux mois, suite à laquelle, le contrat peut continuer à être exécuté, ou prendre fin.

Le modèle du contrat de travail domestique est fixé par arrêté conjoint du ministre chargé des affaires sociales et le ministre chargé de l’emploi, lequel est pris au plus tard six mois à compter de la date de la publication de la présente loi au Journal officiel de la République tunisienne.

Art. 10 – Le contrat de travail domestique auprès d’un seul employeur est établi en quatre exemplaires avec signature légalisée.

L’employeur et la travailleuse ou le travailleur domestique conservent un exemplaire.

L’employeur dépose un exemplaire auprès de l’inspection du travail et un exemplaire auprès du bureau de l’emploi et du travail indépendant, territorialement compétents, et ce,en support papier ou les envoyés par courriel.

Art. 11 – Le salaire de la travailleuse ou du travailleur domestique est payé en espèce ou par tout autre mode de paiement adopté. Il ne peut être inférieur au salaire minimum garanti (SMIG) applicable dans les différents secteurs, et ce au régime de 48 heures de travail par semaine, qu’il soit payé mensuellement ou à l’heure.

Art. 12 – Le salaire est payé une fois par mois sauf accord contraire des deux parties. Le paiement a lieu directement à la travailleuse ou au travailleur domestique, contre récépissé ou toute autre moyen laissant une trace écrite contenant notamment l’identité du travailleur ou de la travailleuse domestique et de l’employeur, la durée du travail accompli, le montant du salaire et la date de paiement.

Art. 13 – La durée du travail effectif dans les travaux domestiques auprès d’un seul employeur ne peut dépasser les quarante-huit (48) heures par semaine, réparties sur les jours de la semaine, d’un commun accord entre les deux parties et selon la spécificité du travail à accomplir. La durée du travail effectif et les heures supplémentaires ne peuvent dépasser les 10 heures par jour.

La travailleuse ou le travailleur domestique bénéficie au cours de la durée du travail d’une pause déjeuner d’une heure, pendant laquelle ils peuvent quitter le lieu du travail.

Art. 14 – La travailleuse ou le travailleur domestique travaillant auprès d’un seul employeur d’une manière continue, bénéficie des repos et congés suivants :

– un repos hebdomadaire d’au moins vingt-quatre (24) heures consécutives fixé en commun accord des parties au contrat,
– un repos payé, au titre de fêtes religieuses et nationales conformément à la législation en vigueur. La jouissance de ce repos peut être reportée à une autre date fixée en commun accord entre les deux parties, sans qu’il soit déduit du repos annuel,
– un repos annuel dont la durée est fixée à raison d’un jour par mois de travail effectif sans que la durée totale du congé annuel excède quinze (15) jours dont douze (12) jours ouvrés. La durée de ce repos est d’un jour et demi par mois de travail effectif pour les travailleuses et travailleurs domestiques âgées entre dix-huit (18) et vingt (20) ans, au 31 décembre de chaque année, et ce, sans que la durée totale du repos annuel dû n’excède vingt-deux (22) jours dont dix-huit (18) jours ouvrés. La durée du repos est fixée dans le contrat conclu par les deux parties.
– des congés de repos exceptionnels payés, sauf accord contraire des deux parties, à condition que la travailleuse ou le travailleur domestique produise les justificatifs de la survenance de l’événement l’imposant. Leur durée est fixée comme suit :

– Décès d’un conjoint, du père, de la mère ou d’un enfant : trois (3) jours
– Décès d’un frère, d’une soeur, d’un petit-fils, d’une petite fille, d’un grand père ou d’une grande mère : deux (2) jours
– Mariage de la travailleuse ou du travailleur domestique : sept (7) jours
– Circoncision de l’un des enfants de la travailleuse ou du travailleur domestique : un (1) jour
– Mariage de l’un des enfants de la travailleuse ou du travailleur domestique: deux (2) jours.

Art. 15 – La travailleuse domestique bénéficie, à l’accouchement et sur production d’un certificat médical, d’un congé de repos payé et d’un repos d’allaitement conformément à la législation en vigueur.

Le travailleur domestique a le droit de bénéficier d’un congé de paternité conformément à la législation en vigueur

Art. 16 – La travailleuse ou le travailleur domestique continue, durant la période de repos et de congés mentionnés aux articles 14 et 15 de la présente loi, à jouir de la plénitude de leurs droits prévus par la législation en vigueur. La jouissance de tels repos ou congés n’est pas considérée comme motif valable de licenciement.

Section 2 – Du travail domestique chez des employeurs multiples

Art. 17 – La preuve de la relation du travail liant la travailleuse ou le travailleur domestique à des employeurs multiples est apportée par tout moyen.

Art. 18 – Les dispositions de l’article 11 de la présente loi s’étendent à la travailleuse ou travailleur domestique exerçant chez des employeurs multiples.

Le paiement du salaire a lieu directement à la travailleuse ou au travailleur domestique contre récépissé ou tout autre moyen laissant une trace écrite contenant notamment l’identité de l’employé et de l’employeur, la durée du travail accompli, le montant du salaire et la date de paiement.

Art. 19 – Aucun employeur ne peut faire travailler une travailleuse ou un travailleur domestique pendant une durée de travail effectif excédant huit (8) heures par jour, sans que la durée de travail effectif, y compris les heures supplémentaires, dépasse dix (10) heures par jour.

La travailleuse ou le travailleur domestique bénéficie durant la durée du travail d’une pause déjeuner d’une heure pendant laquelle ils peuvent quitter le lieu du travail.

Chapitre III
Des obligations des deux parties au contrat du travail domestique

Art. 20 – Sans préjudice des dispositions prévues par la législation en vigueur, notamment le code du travail, l’employeur est tenu notamment:

– D’employer la travailleuse ou le travailleur domestique conformément à l’accord convenu entre les deux parties et fournir les produits et moyens nécessaires pour l’accomplissement  du travail domestique;
– D’assurer à la travailleuse ou au travailleur domestique des conditions du travail conformes aux prescriptions d’hygiène et de sécurité professionnelle conformément à la législation en vigueur,
– De fournir le logement décent et les prestations de subsistance à la travailleuse ou au travailleur domestique lorsque le travail domestique est lié à la résidence ou si le travail l’exige,
– De payer le salaire convenu en exécution du contrat de travail,
– De déposer un exemplaire du contrat de travail domestique auprès du bureau de l’emploi et du travail indépendant et auprès de l’inspection du travail territorialement compétents, en cas d’emploi direct d’une travailleuse ou d’un travailleur domestique par un seul employeur, ou envoyer une copie par courriel. Le bureau de l’emploi et du travail indépendant procède à la transmission d’une copie du contrat du travail domestique aux services de la Caisse nationale de sécurité sociale,
– D’informer, par tout moyen laissant une trace écrite, y compris par le biais d’un courriel, le bureau de l’emploi et du travail indépendant et l’inspection du travail territorialement compétents, de la rupture de la relation de travail avec la travailleuse ou le travailleur domestique employé directement par un seul employeur, et ce, dans un délai de quinze (15) jours de la date de rupture du contrat,
– D’immatriculer la travailleuse ou le travailleur domestique à la Caisse nationale de sécurité sociale et payer les cotisations dues conformément à la réglementation et aux procédures en vigueur en la matière,
 De faciliter l’accès de la travailleuse ou du travailleur domestique à tout programme ou formation de nature à développer ses compétences professionnelles, et ce, sur demande de  l’intéressé,
– D’informer la travailleuse ou le travailleur domestique si lui ou l’un des membres de sa famille est atteint d’une maladie contagieuse. En cas de dissimilation de toute information y afférente, l’employeur assume la responsabilité civile et pénale de tout préjudice causé à la travailleuse ou au travailleur domestique.

Art. 21 – La travailleuse ou le travailleur domestique, est tenu notamment:

– De fournir à l’employeur une copie des documents relatifs à son identité et sa situation civile nécessaires à la jouissance de ses droits;
– De fournir à l’employeur ce qui justifie qu’il est indemne de toute maladie contagieuse et, le cas échéant, sa soumission au contrôle médical périodique,
– D’informer l’employeur de tout changement survenant à son état de santé, notamment l’atteinte des maladies contagieuses et transmissibles,
– De garder le secret des données personnelles de la famille employeuse,
– D’exécuter le travail convenu avec l’employeur.

Chapitre IV
Du contrôle et des sanctions

Art. 22 – La mission de contrôle des conditions de travail domestique et le constat des infractions relatives à l’application de la présente loi sont confiés aux agents de l’inspection du travail et aux contrôleurs de la Caisse nationale de sécurité sociale territorialement compétents, chacun dans les limites de ses compétences, lesquels les exercent conformément à la législation en vigueur.

Ils ne peuvent entrer dans le lieu de travail sans le consentement de l’employeur.

Art. 23 – Les peines prévues par les lois pénales en vigueur, notamment le code pénal, la loi organique n° 2016-61 du 3 août 2016 relative à la prévention et la lutte contre la traite des personnes et la loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes, sont applicables en cas d’embauche ou de courtage pour employer des enfants dans le travail domestique ou en cas de violence à l’égard de la travailleuse ou le travailleur domestique, leur exploitation ou la violation de leurs droits.

Art. 24 – Est puni d’un mois à trois mois d’emprisonnement et d’une amende de mille (1 000) à trois milles (3000) dinars, quiconque aura fait le courtage pour l’embauche dans le travail domestique en violation des dispositions de l’article 6 de la présente loi.

Art. 25 – Sans préjudice des peines plus sévères prévues par des textes particuliers, est puni d’une amende de cinq cents (500) dinars, tout employeur qui n’aura pas déposé un exemplaire du contrat de travail domestique auprès de l’inspection de travail et du bureau de l’emploi et du travail indépendant territorialement compétents, conformément aux dispositions de l’article 10 de la présente loi.

La même peine est encourue par tout employeur qui sciemment engage un bénéficiaire d’une pension de retraite en violation des dispositions l’article 7 de la présente loi.

En cas de récidive, l’amende est portée au double.

Art. 26 – Est puni d’une amende de mille dinars quiconque aura sciemment entravé ou fait obstacle aux fonctions de l’inspecteur du travail ou du contrôleur de la Caisse nationale de sécurité sociale dans le contrôle ou l’inspection des lieux de l’exercice de travail domestique, durant l’horaire administratif, et ce, sans préjudice des dispositions relatives aux peines plus sévères prévues par le code pénal.

Chapitre V
Dispositions diverses et finales

Art. 27 – Toute personne doit signaler aux autorités compétentes, dès qu’elle aura pris connaissance ou aura observé, une situation d’embauche d’une travailleuse ou d’un travailleur domestique, quelle que soit leur nationalité, dans des conditions contraires aux dispositions de la présente loi , sous réserve des dispositions de la loi organique n° 2016-61 du 3 août 2016 relative à la prévention et la lutte contre traite des personnes .

Nul n’est responsable pénalement pour avoir de bonne foi fait le signalement mentionné à l’alinéa premier du présent article.

Il est interdit à toute personne de dévoiler l’identité de celui qui s’est acquitté du devoir de signalement, sauf avec son consentement ou dans le cas où les procédures légales l’exigent.

Art. 28 – Les litiges nés à l’occasion de l’exécution du contrat de travail domestique ou de sa rupture sont portés devant les conseils de prud’hommes territorialement compétents, conformément aux dispositions et procédures prévues au code du travail.

Art. 29 – Les dispositions de la présente loi entrent en vigueur dans un délai de six mois à compter de sa publication au Journal officiel de la République tunisienne.

Tout employeur ayant engagé une travailleuse ou un travailleur domestique doit régulariser sa situation, conformément aux dispositions de la présente loi, dans un délai d’un mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi.

Art. 30 – Sont abrogées à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, toutes les dispositions antérieures contraires à la présente loi, notamment la loi n° 65-25 du 1er juillet 1965 relative à la situation des employés de maison, telles que modifiée par les lois subséquentes, notamment la loi organique n°2017-58 du 11 août 2017 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

La présente loi sera publiée au Journal officiel de la République tunisienne et exécutée comme loi de l’Etat.

Tunis, le 16 juillet 2021
Le Président de la République
Kaïs Saïed

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(1) Travaux préparatoires :
Discussion et adoption par l’Assemblée des représentants du peuple dans sa séance du 30 juin 2021.