Faut-il se réjouir de la décision de “démettre le chef du gouvernement” et du “gel” des activités du Parlement par le président de la République ? Est-ce la mort (presque) dans l’âme de la seule démocratie en Afrique du Nord ? Que va-t-il se passer maintenant ? Qui pour diriger le «gouvernement de crise» ?

Il s’agit là de quelques questions qui se posent ce lundi 26 juillet 2021, soit au lendemain de la “célébration“ du 64ème anniversaire de l’abolition par Habib Bourguiba du régime beylical en Tunisie (1957), par l’annonce par le président de la République de sa décision de démettre de ses fonctions le président du gouvernement, Hichem Mechichi, et concomitamment de geler les activités de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Il s’arroge ainsi le pouvoir exécutif…

Sans oublier un élément important dans les décisions de Kaïs Saïed, celui de la levée de l’immunité parlementaire des députés. Et pourquoi cette levée de l’immunité parlementaire ?

Oui, beaucoup de Tunisiens sont sortis dimanche soir dans les rues des différentes villes du pays, dès l’annonce de ces décisions, pour crier leur joie, considérant qu’il s’agit d’“une bonne chose“.

Bonne ou mauvaise interprétation de l’article 80…

Pour prendre ces décisions, le président de la République s’est basé sur les dispositions de l’article 80 de la Constitution tunisienne de 2014.

A ce niveau, on peut légitimement se poser la question de savoir si toutes les conditions énoncées par cet article sont réunies. Les subtilités du droit étant ce qu’elles sont, on peut en douter. Parce que cet article stipule notamment qu’« en cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du chef du gouvernement, du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la Cour constitutionnelle ».

D’ailleurs voici comment le président de la République a interprété les dispositions dudit article. Premièrement, il dit que la Constitution ne permettant pas la dissolution de l’Assemblée mais n’empêchant toutefois pas le gel de toutes ses activités.

Deuxièmement, il assure avoir pris la décision de lever l’immunité parlement de tous les députés, et va donc engager des poursuites judiciaires contre ceux d’entre eux ayant des affaires de corruption.

En toute logique, Kaïs Saïed indique qu’il va présider en personne le parquet (la justice), afin qu’il agit dans le cadre de la loi et ne garde pas le silence sur des crimes commis contre la Tunisie.

En outre, il devient de facto «président de la République» mais également quasi-chef d’un gouvernement qu’il va lui-même nommer…

Voilà donc l’explication des textes.

Maintenant essayons de réponde à notre première question, à savoir s’il faut ou non se réjouir de la décision de «démettre le chef du gouvernement» et du « gel » des activités du Parlement par le président de la République. Pour certains, la réponse est “oui“, pour d’autres c’est “non“.

Pour notre part, il ne faudrait pas y voir « la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide ». Et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, parce que c’est loin d’être une solution idéale pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les Tunisiens et la gouvernance du pays.

Ensuite, après le délai de 30 jours, que se passera-t-il ? Quels sont les plans de Kaïs Saïed pour sortir la Tunisie de cette situation de mauvaise gouvernance (lutte contre la corruption, respect de la loi, loi électorale, modification de la Constitution…) ? Pour l’heure, le chef de l’Etat n’a rien dévoilé de ses intentions.

A souligner au passage que Saïed n’a pas dit “dissolution du Parlement”. C’est important de le souligner.

Et s’il faisait appel à l’armée ?

Enfin, est-ce que le président de la République, en tant que chef des armées, au nom du « péril imminent » et par patriotisme, peut demander à l’armée de prendre la “gestion totale“ du pays ? Dans ce cas, celle-ci pourrait dissoudre et le Parlement, les partis politique et les institutions de l’Etat, et exiger, dans la foulée, une révision de la Constitution, de la loi électorale… Sans cela, on voit mal comment Kaïs Saïed pourrait changer en profondeur la donne politique tunisienne.

Mais que se cache-t-il derrière la décision de gel des activités du Parlement et de lever l’immunité des députés ? Tout porte à croire que le président de la République compte inculper des politiques dans des affaires de corruption.

Oui, bien sûr qu’on regrettera au passage l’interruption du processus démocratique dans notre pays. Oui, on aura “manipulé“ le droit. Oui, on se serait jeté dans l’inconnu… Cependant, l’incertitude est telle aujourd’hui que si rien n’est fait, et très vite, le bateau Tunisie risque de couler emportant avec lui tout espoir.

Que vont nous dire les spécialistes du droit ?

Tallal BAHOURY