A la veille de la célébration du 75e anniversaire de la proclamation de la République italienne, nous avons rencontré son ambassadeur en Tunisie, Lorenzo Fanara, pour nous nous faire un parallèle entre cet événement et ceux de 2011 en Tunisie. Ensuite, pour évoquer les relations entre l’Italie et la Tunisie dans tous les domaines. Enfin, les perspectives d’évolution de la coopération tuniso-italienne.

Entretien.

WMC : Le 2 juin 2021, l’Italie célèbre l’avènement de la République (1946). Et toujours fidèle au régime parlementaire ?

Lorenzo Fanara : Le 2 juin 1946, les Italiens, par référendum, ont opté pour la République. Il fallait choisir un cadre démocratique avec une séparation des pouvoirs. Et aussi un mécanisme apaisant de contrôle des pouvoirs. De la sorte, on a mis au centre du système le Parlement.

C’est vrai que l’Italie a connu une relative instabilité politique, mais cela n’a pas empêché un dialogue institutionnel permanent qui a permis un engagement stable dans le respect des droits de l’Homme et de nos alliances internationales.

Au moment où le paysage politique italien n’était pas homogène et dans un contexte international divisé par les différences idéologiques, et alors que l’armée rouge envahissait la Hongrie, la Démocratie chrétienne et le parti communiste italiens se sont mis d’accord pour élire les juges de la Cour constitutionnelle. Pour les grandes causes, l’Italie a sauvé le consensus.

Et à cette occasion, quel est le message de l’Italie à l’adresse de son voisinage ?

Le message du 2 juin de cette année est celui de la “solidarité avec le voisinage“. C’est ensemble que l’on doit triompher de cette pandémie. On ne peut pas être sain dans un monde malade. Cette pandémie nous a enseigné que notre destin est commun. Je suis heureux de rappeler que la Tunisie a été aux côtés de l’Italie. Et permettez-moi de saluer le président de la République tunisienne pour son initiative de solidarité. A son tour, l’Italie a été solidaire de la Tunisie, et je rappelle que mon pays est un grand contributeur au programme Covax lequel a financé la majorité des stocks de vaccins dont a disposé la Tunisie.

Par ailleurs, l’Italie, qui assure pour cette année la présidence du G20, n’a pas manqué d’inviter la Tunisie à la conférence des ministres des Affaires étrangères et du Développement.

Nos échanges commerciaux génèrent un solde en faveur de l’Italie. Comment doper ces échanges, et dans le même temps rétablir un équilibre favorable aux deux pays ?

A la fin de l’année 2020, les exportations italiennes vers la Tunisie équivalaient à 2,4 milliards d’euros. Et pour leur part, les exportations tunisiennes à destination de l’Italie étaient de 2,2 milliards d’euros. Le solde est mince pour ainsi dire.

Il me plait de souligner qu’avant la crise de Covid-19, nos échanges augmentaient à un rythme soutenu. Nous devons concentrer nos efforts pour retrouver cette vigueur.

Dans la foulée, nous avons proposé une ligne de crédit destinée aux PME agricoles pour soutenir la production de ce secteur.

Cependant, les IDE italiens enregistrent un certain repli. Comment les faire revenir ?

Nous émettons le message que les IDE italiens en Tunisie sont d’un intérêt stratégique pour l’Italie.

Il ne vous échappe pas que la Tunisie est engagée dans une compétition globale, et pour cela il lui faut entretenir, en permanence, son attractivité pour préserver un positionnement avantageux.

Nous pensons que la Tunisie possède des atouts considérables, dont la proximité avec l’Europe, la qualité de ses ressources humaines notamment. Pour couronner le tout, il faut garantir un climat d’affaires qui sécurise l’investisseur. Cela concerne aussi bien la visibilité que la lisibilité de la réglementation, dans son ensemble.

Il existe à l’heure actuelle 800 entreprises italiennes ou mixtes qui exercent en Tunisie. Et j’observe qu’il y a des groupes italiens qui cherchent à se redéployer dans le voisinage et à comprimer les chaînes de valeur. La Tunisie est une destination à convoiter.

Ne faut-il pas promouvoir un forum d’affaires qui soit permanent entre l’Italie et la Tunisie ?

Avant la pandémie, nous avons organisé un forum d’affaires avec plusieurs centaines d’hommes d’affaires. Il y a eu une grande initiative en ce sens le 30 avril 2019, en marge du premier sommet intergouvernemental, et nous pensons que toutes les conditions sont réunies pour le perpétuer.

On a le sentiment que la coopération italienne fait de la sécurité un objectif majeur. Quelle est la part de vérité ?

L’Italie a été l’un des premiers pays à se tenir aux côtés de la Tunisie après le 14 janvier 2011 pour l’aider à renforcer ses corps de sécurité. Notre motivation était d’aider la Tunisie à sécuriser sa transition démocratique. Et nous observons que les corps sécuritaires tunisiens ont manifesté un grand professionnalisme et une loyauté républicaine que nous saluons.

Il n’est pas dans nos intentions de demander à la Tunisie d’être le garde-côtes de l’Italie. Il est toutefois de notre intérêt commun d’éradiquer les trafics en tous genres pour mieux renforcer nos deux démocraties.

Il est vrai que nous avons une coopération très avancée en matière sécuritaire, mais c’est là un aspect de notre approche globale pour renforcer la jeune démocratie tunisienne.

Notre coopération dans le domaine de l’énergie est ancienne. Enrico Mattei, à la tête de l’ENI, a été à l’origine d’une coopération exemplaire. Comment la doper à l’avenir ?

Il me plait de signaler que cette coopération se maintient et que l’Italie demeure le premier partenaire de la Tunisie dans le secteur de l’énergie. Récemment, l’ENI et l’ETAP ont réalisé une centrale photovoltaïque à Tataouine d’une puissance de 10 MW.

Nous avons organisé deux forums d’affaires pour les énergies renouvelables, et nous soumettrons des projets en conséquence au gouvernement tunisien.

Par ailleurs, je rappelle que l’Italie et la Tunisie ont signé un accord pour la réalisation d’un câble sous-marin reliant Haouaria à la Sicile. Et cela permettra à la Tunisie d’exporter son électricité à destination de l’UE. Si le projet se réalise, cela accentuera l’afflux d’une multitude d’investisseurs dans ce domaine.

En soutien à la coopération, quelles sont les nouvelles propositions de financement, à l’avenir ?

Je pense que nous concentrons notre soutien au financement des PME et des exploitants agricoles étant donné leur grande vitalité et leur réactivité en matière de création de richesses et d’emploi. Et l’Italie a toujours mis à la disposition de la Tunisie des lignes de crédit dédiées. La dernière en date, dotée d’une enveloppe de 73 millions d’euros, a été épuisée. A mon arrivé il subsistait un reliquat de 20 millions d’euros, et depuis tout a été débloqué en financement des investisseurs tunisiens dans des domaines aussi variés que la céramique, l’industrie de l’huile d’olive ou le textile. Nous nous activons à la réalimenter.

En plus, nous avons lancé une autre ligne de crédit dédiée aux PME dans le secteur agricole et de l’économie sociale et solidaire. L’apport italien est de 57 millions d’euros et l’UE contribue avec 44 millions d’euros supplémentaires. Une autre ligne a été mobilisée afin d’aider à la mécanisation de l’agriculture avec une enveloppe de 100 millions d’euros.

Ces incitations seraient-elles étendues à la coopération scientifique et aux IT ?

Récemment, nous avions accueilli M. Fadhel Kraiem, le ministre des Technologies de la communication, qui était accompagné d’un groupe de jeunes startuppers tunisiens. Il s’agit de leur proposer un programme de formation qui les habilite à s’insérer au marché international.

Nous croyons beaucoup au génie entrepreneurial tunisien, et si on veut soutenir la Tunisie, il faut aider le secteur privé et se tenir à l’écoute des jeunes talents.

Je vois des jeunes hommes et femmes, avec une énergie vive et un potentiel remarquable à qui il manque parfois l’approche du marché global. C’est là que nous les assistons.

L’Italie est bien insérée en Europe. N’a-t-elle pas une ambition pour l’Afrique ?

Il est vrai que l’Italie est bien engagée dans l’espace européen et cultive des relations proches avec les pays de l’Europe de l’Est ainsi que des Balkans, de même que de l’Afrique du Nord. Cependant, elle a aussi une ambition pour l’Afrique, car c’est le continent le plus proche. Et nous encadrons notre démarche avec l’Afrique dans la dynamique que nous impulsons au G20 dont nous assurons la présidence.

Et au sein de l’UE, nous plaidons régulièrement la cause du continent et du pourtour sud de la Méditerranée. Le commissaire européen Paolo Gentiloni, ancien président du Conseil italien, s’est beaucoup déployé afin d’obtenir de la Commission européenne une dotation de 600 millions d’euros en faveur de la Tunisie. Une première tranche de 300 millions d’euros vient d’être décaissée.

Quels projets communs dans le domaine culturel ?

Nous répondons avec beaucoup de bonheur à la demande de culture italienne de la Tunisie et des Tunisiens. Il me plait de rappeler que la culture est le meilleur rempart de la démocratie, et c’est un blindage sans pareil à la jeune démocratie tunisienne.

Je me plais de souligne que le 27 juin 2019, ce jeudi noir, quand deux attentats terroristes avaient ensanglanté Tunis et que le président Béji Caïd Essebsi était hospitalisé, nous n’avons pas cessé de répondre aux TO et autres investisseurs inquiets de la tournure des événements de demeurer en Tunisie et de soutenir la jeune démocratie tunisienne.

La riposte italienne ne s’est pas fait attendre. A peine une semaine plus tard, soit le 4 juillet, on a organisé la “semaine de l’opéra italien“. Qu’est-ce vous dites de ça ?

Naturellement et pour célébrer notre attrait commun pour les plaisirs de la table, nous ne manquons pas d’organiser la “semaine de la cuisine italienne“. Et nous continuons sur la même voie en défiant la crise de la Covid-19. Et mardi 1er juin 2021, nous avons inauguré à l’Institut culturel italien l’exposition photo « Piazze [In]visibili.

La riposte italienne aux menaces sécuritaires est d’essence culturelle et de portée civilisationnelle.

Entretien conduit par Ali Driss et Hechmi Ammar