Garder la diaspora dans le périmètre national. Le « Diaspora Mobilisation Act » propose un cadre dédié. Que peut être sa portée ?

Par Ali Abdesslam

La diaspora tunisienne est trop dispersée. Ils sont un million et 400 mille (1,4 million) TRE répartis sur 90 pays dont 85 % en UE. Ils n’ont pas coupé le cordon avec le pays. Il y a donc l’espoir d’en faire un levier de prospérité pour le pays. Le mieux serait de les mettre sur orbite de la mère patrie de manière pérenne et efficace.

C’est l’esprit de l’étude* menée par le cabinet Deloitte, co-financée par l’UE et la coopération allemande GTZ. Intitulée « Contribution socioéconomique de la diaspora », elle a été rendue publique, ce jeudi 27 courant à Tunis.

L’étude propose un plan d’action dénommé DIMA – pour “Diaspora Mobilisation Act“. Il a été signé séance tenante par Marouane Abassi, gouverneur de la BCT, et Stéphanie Schrade, coordinatrice du pôle migration chez GTZ. C’est une avancée remarquable et qui peut se développer à l’avenir.

Le message du gouverneur aux TRE : « Nous serons “DIMA“ avec vous »

“DIMA“, un jeu de mots parfait. En schéma tactique offensif, en football on parle du poste d’avant-centre en pointe. Et c’est exactement la posture qu’affectionne Marouane Abassi pour la diaspora tunisienne. Cette dernière est pourvoyeuse de transferts considérables en devises pour le pays. Ils représentent 32 % de nos réserves de change. Leurs envois sont supérieurs aux IDE. Et les TRE détiennent 1,7% du PIB en investissement productif, soit autant que le secteur textile.

Le gouverneur de la BCT porte sur eux un regard plus valorisant et plus gratifiant. Les TRE sont, dit-il un « gisement de compétences, de conseil pour le pays et de networking ».

Sur le même registre, Omar Bouzouada, PDG de l’APII, considère que les TRE sont détenteurs d’une citoyenneté extra territoriale. De ce fait, ils procurent à la nation une taille qui dépasse ses frontières physiques. Le pays gagnerait à les intégrer de manière systématique à sa stratégie globale de développement.

Les TRE seraient des vecteurs importants de transfert technologique, et de l’élévation de la compétitivité de l’économie qu’ils étalonneront aux standards internationaux. Il convient donc, dans une approche motivée, de cerner les talents, de les sensibiliser en vue de les mobiliser.

Bien occuper le terrain

Cerner les talents est bien le premier acte qu’a entamé GTZ dans son approche avec la diaspora. Stéphanie Schrade a annoncé la création d’un cluster et la génération de trois cents idées de projets. Et voilà que 68 d’entre elles sont déjà sur piste sous forme de start Up.

Mettre la main à la pâte est le meilleur moyen de familiariser les TRE avec l’écosystème entrepreneurial national.

Peter Prügel, ambassadeur de RFA, abondera dans le même sens. Il a notamment souligné l’effet de linkage que réalisent les TRE entre leurs pays de destination avec leur pays d’origine.

Marcus Coronaro, ambassadeur de l’UE, agréera l’approche DIMA en rappelant la justesse de la démarche.

Etat des lieux et recommandations

Oula Tarssim et Aymen Mtimet auteurs de l’étude rappellent quelques chiffres clés. Ce sont 72 % des membres de la diaspora à transférer des devises au pays. Ils sont 66 % à contribuer aux finances familiales. Leurs dépenses pendant leur séjour au pays représentent 7,3 % du Revenu National Disponible Brut (RNDB) soit prés du total de l’épargne nationale qui atteint à peine 9% du RNDB.

Leur investissement au pays natal représente un levier de développement socio économique de taille. L’ennui est qu’ils ne sont pas tous répertoriés sur une même plateforme. La Data les concernant doit être regroupée et les institutions en rapport avec la Diaspora doivent être fédérées.

Voici l’un des quatre axes suggérés par le Diaspora Mobilisation Act. Les deux experts insistent sur la génération de la Data pour maintenir le contact et le féconder. Ils préviennent que 50 % des TRE, faute de visibilité sur les programmes d’investissement dans leurs régions d’origine et du fait de l’instabilité régnante, n’ont pas investi sur les trois dernières années. Une structure centralisée et connectée avec les TRE aurait signalé pareille tendance et on se serait avisé à temps pour corriger le tir. Quoi qu’il en soit, avec la nouvelle méthodologie, on va pouvoir passer à un stade supérieur de mobilisation des divers contingents des TRE.

Enrichir le deal

Garder la diaspora sur orbite nationale est un deal gagnant-gagnant. N’évoquer que la seule possibilité d’investir exclusivement au pays est une offre égocentrique qui rend le deal déséquilibré. Nous regrettons que DIMA n’ait pas prévu de moyens pour financer les TRE qui désirent investir dans le pays de destination. Ils seraient en mesure de s’allier avantageusement des opérateurs nationaux. Et ce serait une bonne fenêtre de tir pout l’internationalisation de l’économie tunisienne.

D’ailleurs, cette option anime l’esprit du programme Famex. Séduire les TRE pour investir dans leurs régions d’origine est un acte louable.

N’est-il pas également avantageux pour les deux de les inciter à monter des jumelages entre leurs régions d’origine et celles d’accueil afin d’accéder aux fonds structurels européens. Les dotations octroyées par ces fonds sont destinées au développement régional et ne sont pas remboursables.

Faire du lobbying à Londres, à Hong Kong ou ailleurs grâce aux TRE est tout aussi intéressant que de leur communiquer le mal du pays. Et d’ailleurs c’est un message qui passe mal avec les troisième et quatrième générations.

Inviter les TRE à déceler les entraves administratives ne changerait en rien la résistance de l’administration tunisienne au changement. Si l’étude a réalisé un Benchmarking avec les expériences marocaine, indienne et des philippines, pourquoi ne pas suggérer de multiplier les banques de proximité à l’adresse des TRE.

Par ailleurs, nous regrettons que le plan DIMA n’ait pas associé les députés de l’émigration à leur initiative.

*L’étude est en ligne sur le site bct.gov.tn