La situation de l’emploi en Tunisie et son évolution à court et à moyen terme sont préoccupantes. Avec un taux de chômage atteignant 16,2% au troisième trimestre 2020 et des perspectives économiques rendues plus sombres encore par la conjoncture nationale et internationale et l’impact du Covid-19, la Tunisie risque de voir son taux de chômage atteindre ou dépasser allègrement 20% de la population active totale au sens de l’INS.

Mais si on prend en considération la réserve de population active et si on corrige tant soit peu le taux d’activité du sexe féminin, manifestement mésestimé jusque-là, le chômage pourrait toucher le quart de la population active potentielle. Un tel scénario est d’une redoutable dangerosité pour la paix civile, l’unité nationale, l’Etat et la démocratie.

La politique de l’emploi en Tunisie a souffert d’insuffisances et d’incohérences conceptuelles…

A dire vrai, la situation actuelle de l’emploi ne résulte pas exclusivement de la conjoncture comme on pourrait le penser de prime abord.

La politique de l’emploi en Tunisie, si on peut l’appeler ainsi, a souffert, dès l’origine, d’insuffisances et d’incohérences conceptuelles et méthodologiques endémiques et rédhibitoires qui tiennent au fait qu’elle est conçue d’abord comme une politique de traitement social du chômage et qu’elle inverse les termes de la relation de dépendance entre croissance et emploi.

Le résultat est que la répartition sectorielle de l’emploi s’est glissée vers une configuration favorable au tertiaire (les services non marchands notamment), et ce à l’instar des économies industrielles.

l’Etat s’est reposé sur un code d’investissement qui n’a jamais donné les résultats escomptés

S’agissant des régions en déficit de développement et d’emploi, la politique de l’emploi qui y a été suivie a consisté en un saupoudrage des ressources allouées qui n’a pas encouragé l’émergence de véritables espaces de développement, ou de distinguer en ce qui concerne les mesures d’accompagnement à la stratégie nationale, entre ce qui relève de l’infrastructure de base et ce qui est destiné à créer des emplois ou de sources de revenu.

En vérité, l’Etat tunisien s’est reposé sur un code d’investissement qui n’a jamais donné les résultats escomptés au plan régional et qui a vivement accéléré la migration intérieure, intra et inter-gouvernorats.

Quoi qu’il en soit, la situation exige d’agir immédiatement sinon la Tunisie court le risque d’affronter une crise socioéconomique et humaine sans précédent.

Quid de la SNE ?

La Stratégie nationale pour l’emploi (SNE) offre à cet égard une opportunité qu’il ne faut surtout pas ignorer. Certes, elle est perfectible, comme toutes les stratégies, elle a néanmoins le mérite d’exister en tant que telle et d’être pour ainsi dire prête à l’emploi.

Résultat d’une large concertation entre gouvernement et partenaires sociaux (UGTT et UTICA notamment), suite logique à la conclusion d’un Contrat Social signé en 2013 par les mêmes parties ainsi qu’au Dialogue national pour l’emploi initié  en 2016 avec le soutien et l’assistance du Bureau international du travail (BIT), la SNE s’inscrit dans une volonté commune de faire face à la situation et pose subsidiairement le problème d’une politique contractuelle trop longtemps laissée à l’abandon.

Les objectifs de la SNE…

L’objectif de la SNE est d’atteindre un certain nombre d’objectifs sociaux considérés comme essentiels à l’apaisement social : intégration des jeunes demandeurs d’emploi dans le marché du travail, promotion de l’emploi décent, respect effectif des droits sociaux, quel que soit le secteur d’activité ou la taille des entreprises.

L’atteinte de ces objectifs de caractère social requiert évidemment l’application concomitante des mesures économiques et monétaires préconisées par la SNE dont le réamorçage du développement des secteurs productifs, la promotion des activités en rapport avec les exigences de l’environnement durable, l’amélioration de la productivité et de la compétitivité des entreprises.

la situation de l’emploi ne peut pas s’améliorer de façon pérenne si la croissance n’est pas au rendez-vous

Il est clair que la situation de l’emploi ne peut pas s’améliorer de façon pérenne si la croissance n’est pas au rendez-vous, si l’investissement ne repart pas, si la part de la valeur ajoutée dans la production n’est pas en hausse, si la productivité stagne et si la compétitivité de l’économie nationale régresse.

Sur ce même élan, la SNE propose d’agir sur quelques axes prioritaires.

Le premier concerne l’appareil productif lui-même. Il s’agit alors de peser sur les leviers macro-économiques afin qu’ils puissent favoriser l’investissement de façon générale, l’investissement riche en emplois décents et rémunérateurs en particulier, de faciliter l’accès au crédit et les marchés publics aux PME.

Cependant, il est vital que cette action soit compatible et cohérente avec les actions préconisées depuis quelques années déjà par les études sur le devenir de la stratégie industrielle.

Le deuxième concerne le capital humain. Il s’agit alors de promouvoir l’apprentissage, d’encourager la formation continue et de remodeler le cadre institutionnel et programmatique de la formation professionnelle. D’aucuns, attentistes ou blasés, diront qu’il faut commencer par la base de l’instruction publique, c’est-à-dire le primaire et le collège, mais alors il faudra attendre vingt ans au moins pour voir le résultat du changement espéré. La Tunisie ne peut pas se le permettre.

D’autres axes sont également pris en charge par la SNE. Ils concernent le marché du travail, sa gouvernance et sa gestion, le suivi et le contrôle des actions menées, l’évaluation des performances, etc.

Bref, l’heure est à l’action immédiate, c’est-à-dire à l’application sans délais des recommandations formulées par la SNE.

Habib Touhami

* Les intertitres sont de la rédaction