Dans la prison civile de Siliana, derrière les barreaux, les murs grisâtres et un bâtiment aux allures de forteresse, une lueur d’espoir anime cependant les pensionnaires de cette unité située au nord-ouest du pays.

Une longue file d’attente a été observée par la correspondante de la TAP à Siliana, en ce dimanche 20 décembre 2020. Les pensionnaires de la prison, jeunes et moins jeunes, faisaient la queue devant la salle qui a été consacrée à la projection du film documentaire “Disqualifié ” de Hamza El Ouni.

Le cinéma se présente comme une évasion dans le monde extérieur pour ces détenus grâce à une programmation spéciale baptisée “JCC dans les prisons” organisée dans le cadre des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC). Cette initiative instaurée en 2015 est devenue une tradition pour les JCC et les partenaires habituels du festival, le ministère de la Justice, la Direction générale des prisons et de la rééducation et le bureau de l’Organisation mondiale contre la Torture (OMCT) en Tunisie.

Une fois la lumière est éteinte, les yeux étaient rivés sur le grand écran pour une évasion de 114′ dans le monde d’un jeune danseur et comédien. Sur les visages se dessinait une multitude de sentiments, parfois contradictoires, qui traduisent cette soif pour les spectacles vivant et les arts en général. La bavette n’a pu dissimuler la joie de revivre cet instant magique du grand écran.

Dans ce film tourné dans la zone de Mohammedia, dans les faubourgs de la Capitale, Hamza Ouni dit retracer le parcours de Mehrez, un jeune danseur et comédien. Le périple qui s’étale sur une période de 15 ans, rentre dans la vie trouble de ce jeune artiste. A travers ce documentaire, le réalisateur livre une quête assez pénible d’un jeune issu de milieu défavorisé, déchiré entre sa dépendance aux jeux d’argent et aux courses de chevaux d’un côté, et sa carrière d’artiste de l’autre.

El Ouni estime que son film pourrait constituer une source d’inspiration pour les détenus où chacun pourra s’identifier dans cette quête du personnage de Mehrez décidé à évoluer et à atteindre ses rêves.

Pour l’un des détenus interrogés par la correspondante de TAP, pseudonyme Makram, assister à un spectacle a souvent été quelque chose d’ambigu puisqu’il n’a jamais eu l’occasion d’expérimenter auparavant. D’où vient sa grande émotion, partagée entre joie et peine, à la fois. “J’étais épris de sentiments contradictoires…c’est la première fois que j’assiste à un spectacle artistique”, a-t-il dit.

Son collègue, pseudonyme Hussem, a insisté sur l’importance de présenter des films dans les prisons, ce qui constitue à son avis un moyen qui aiderait le détenu à surmonter la tension psychique derrière les barreaux. La leçon derrière ce film est que “la bêtise chez l’être humain ne devra pas vaincre sa volonté de vivre et se reconstruire, en se nourrissant d’optimisme”.

Le Colonel Ayadi Chiab, directeur de la prison Civile de Silvana, a fait savoir que cette projection s’inscrit dans le cadre de réhabilitation des détenus afin de les préparer à la vie normale en dehors de la prison.

Le Porte-parole de la Direction générale des prisons et de la rééducation, Sofiene Mezghiche, a rappelé la vocation de ce programme des JCC dans les prisons qui vise à limiter les écarts entre le monde carcéral et celui de l’extérieur. Cette initiative renvoie aussi aux principes de base inscrits dans la Constitution tunisienne (article 42) et le droit à la culture, a-t-il encore dit.

En application au protocole sanitaire en vigueur et pour prévenir tout risque de contamination à la Covid-19 lors des projections, il a indiqué la présence de 24 détenus lors de chaque séance. Il a explique que ce programme profite à un total de 400 détenus répartis entre la prison de Siliana et autres centres de détention proches du gouvernorat de Siliana.

S’agissant des cas Covid-19 chez les détenus, il a présenté un chiffre qui avoisine les 20 cas dont 2 sont actuellement hospitalisés. Le bilan des contaminations dans les institutions pénitentiaires qui comptent un total de 23 mille détenus, demeure rassurant, a-t-il estimé.

Ce partenariat avec les JCC balise le chemin pour une meilleure réhabilitation du détenu à travers la présentation d’oeuvres cinématographiques porteuses de messages assez symboliques. Il a encore mentionné la tenue d’ateliers dédies à l’écriture pour le cinéma, sachant que les scénarios seront exploités que les détenus produisent leurs propres films.

En cette conjoncture sanitaire exceptionnelle marquée par la pandémie de la Covid-19, les organisateurs de la 6ème édition des “JCC dans les prisons” ont mis en place un protocole sanitaire assez strict. Cette section avait démarré samedi, au lendemain de l’ouverture du festival des JCC organisé du 18 au 23 décembre 2020 dans une édition rétrospective sans la Compétition.

Une série de projections pour six films dans cinq institutions pénitentiaires est au menu des JCC dans les prisons dont le démarrage a eu lieu le samedi 19 décembre, à la prison civile d’Oudhna (Ben Arous), au lendemain de l’ouverture du festival.

Les détenus de cette prison inaugurée au début de l’année 2020, ont eu droit au tout dernier film de Kaouther Ben Hania, ” L’Homme qui a vendu sa peau”. Ce long-métrage de fiction est présenté en première nationale dans le cadre des JCC.

Au programme des JCC dans les prisons, figurent également “True Story” d’Amine Lakhnech et ” Visa ” de Brahim Letaief qui seront présentés au Centre de réhabilitation de Souk Jedid (Sidi Bouzid). ” Un Fils ” de Mehdi Barsaoui sera présenté à la prison civile de Sfax et ” Fatwa ” de Mahmoud Ben Mahmoud à la prison de Borj el Amri (Manouba).

Cette section qui constitue une fenêtre sur le monde extérieur pour les résidents de ces institutions s’étale du 19 au 23 décembre. Les divers partenaires des ” JCC dans les prisons” espèrent atteindre le chiffre de 12 mille pensionnaires dans les 5 institutions pénitentiaires participantes.

Les programmes culturels dans les unités pénitentiaires s’insèrent dans le cadre d’une stratégie de réforme pour la réadaptation précoce du détenu.