Tunisie : Hichem Mechichi, ou le parfait exercice de l’art de l’esquive

Calme, serein et maîtrisant l’art de l’esquive, Hichem Mechichi, chef du gouvernement, a voulu garder ses distances avec les dossiers les plus épineux du moment. Nous nous attendions à de la fermeté, à des mesures concrètes pour mettre fin aux débordements venant de toutes parts et à un discours fort et percutant, mais voilà que notre CDG nous répond avec beaucoup de diplomatie, tenant à préserver la chèvre et le chou, nous rappelant la citation de Daniel Pennac : « La force, ce n’est rien dans la vie, c’est l’esquive qui compte ».

Sauf que, comme le dit et à juste titre Robert Sabatier, «en politique, il est un art qui consiste à faire passer les compromissions pour des compromis». Et nous osons espérer que Hichem Mechichi ne sera pas dans les compromissions comme l’ont été ses prédécesseurs, invoquant des mots devenus creux comme la paix sociale, la démocratie, la justice et l’égalité.  Des mots qui sonnent faux tant ils ont été dits et redits sans que l’on puisse voir leur impact sur le terrain, des mots qui au lieu de rassurer les Tunisiens, les ont atteints, comme l’a signifié M.Mechichi, de « sinistrose ».

Le CDG a annoncé des décisions mais sans nous dire comment les mettre en œuvre. Serait-ce le « comme/comme » de l’humoriste satirique Wajiha Jendoubi ? Comme toutes ces lois votées, qui traînent et meurent dans les tiroirs parce que sans textes d’application ?

Il a promis une prise en charge par l’Etat des personnes atteintes de la Covid-19 par les établissements de santé privés si refusés par les hôpitaux publics. Oui mais comment ? Par quels mécanismes ? Le gouvernement a-t-il mis en place un cadre procédural pour assurer le suivi des cas concernés ? A-t-il négocié avec ces établissements ?

Commentaire de Karim Ben Kahla, président du Cercle Kheireddine à ce propos : « La légèreté avec laquelle on annonce que celui qui ne trouve pas une place dans un hôpital public sera pris en charge par l’Etat dans une clinique privée, me fait plus peur que la maladie elle-même… j’ai cru rêver ».

M. Mechichi a parlé de rétablir la confiance avec les partenaires sociaux, avec les bailleurs de fonds et avec le peuple. Mais comment et à quel prix ?

Devons-nous éternellement payer le prix d’une paix sociale empoisonnée ?

Rétablir la confiance en se soumettant aux diktats des syndicats au risque d’affaiblir les finances publiques que le CDG reconnaît lui-même comme catastrophiques ? En négociant avec les bandits payés pour mettre à mal l’économie nationale et qui décrètent publiquement leur loyauté envers des pays étrangers ?

Le Chef du Gouvernement a parlé de la volonté d’intégrer les acteurs de l’économie parallèle dans le formel. Tant mieux. Mais comment ? Par quels mécanismes ? Par quelles lois et quels moyens ? Et quelles sont les mesures que prendra l’Etat à l’encontre des réfractaires, ceux qui se complaisent dans l’informel et qui sont au service de la contrebande transnationale ?

Qu’il s’agisse de la gestion de la pandémie Covid-19, de celle des finances publiques ou encore des crises sociales et de l’emploi des diplômés “structurels“, les réponses du CDG ont été d’une simplicité déconcertante.

A la pandémie, le déblocage des fonds paralysés par la lourdeur de la machine administrative, paraît-il c’est faisable !

Et la fermeture de la vanne du pétrole à El-Kamour alors, avec son coût élevé, ne mérite-t-elle pas des décisions rigoureuses de la part d’un gouvernement qui n’est pas politique et qui n’est pas soumis aux lubies des électeurs ? Notre gouvernement, très pacifiste, discute avec les auteurs de cet acte de vandalisme qui s’attaque à la sécurité économique du pays ! Et que nous dit notre CDG : « Ces pratiques sont inacceptables et inadmissibles, car les ressources naturelles appartiennent à la Tunisie, elles ne sont pas un bien personnel, et donc quiconque les bloque doit être sanctionné » !

Monsieur le chef du gouvernement, ils sont là devant vous les responsables du blocage des centres de production, qu’avez-vous fait pour sévir ? Devons-nous éternellement payer le prix d’une paix sociale empoisonnée ?

A ce propos, la meilleure des réponses au drame d’El-Kamour est celle de Hamed Elmatri, haute compétence, qui a travaillé dans des firmes pétrolières et qui connaît la région. Après avoir vu la liste des entreprises dans lesquelles les jeunes de la région de Tataouine veulent être recrutés. Il a réagi ainsi : « …Je me demande pourquoi personne à Tataouine ne s’est vraiment investi dans le développement de projets privés dans la région. Est-ce par manque d’argent ? Je ne pense pas… Si l’argent de la contrebande avait été investi à Tataouine, la population n’aurait pas besoin d’une “contribution publique“ pour réaliser un projet … Si cet argent n’avait pas été investi au Lac, à Ennasr et en France, s’il avait financé des projets locaux, l’économie de la région aurait été plus forte.  L’industrie automobile ? La marque de voiture tunisienne Wallys a été réalisée par deux frères et seuls. Ils sont partis de zéro et sans aucun soutien externe ou officiel. Le climat de l’innovation et de la libre initiative est pourri en Tunisie et partout. Ce projet a été réalisé dans la capitale. Qu’ont fait les jeunes de Tataouine ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu des projets innovants créés par des jeunes dans cette zone du pays ? Parce que l’enjeu est culturel avant d’être financier. L’explication est simple : nous voulons rêver et réaliser nos rêves et vous contribuables tunisiens, vous êtes là pour réaliser nos rêves, les financer, les concrétiser et les gérer pour notre compte si nécessaire…

Comment pouvons-nous garantir que le sort de toutes ces entreprises “nationales“ ne soit pas le même que celui de la “Southern Services Company“, créée par des fonds publics, il y a quelques années, pour devenir des structures où la corruption règne ? A qui la faute ? Je sais que personne n’est prêt à répondre ! Mais le plus important se rapporte aux statistiques sur les ressources humaines dans cette région. La région de Tataouine, de Bir Ahmar à Burj Al Khadra, compte environ 150 mille personnes. Combien parmi les jeunes de la région sont des ingénieurs en robotique ? Devons-nous créer une entreprise juste pour eux ?

Et des ingénieurs en aéronautique qui vivent à Tataouine, combien il y en a ? Devons-nous construire une usine d’aéronautique ? Et à supposer que nous les implantions sur place, les laisseront-ils travailler ou seront-ils chassés parce qu’ils ne sont pas les enfants d’une région où le taux de chômage est élevé ? »

Le problème des régions est aussi culturel !

Le problème de Tataouine est beaucoup plus profond que ça, explique M. Elmatri, il s’agit de la faiblesse du niveau d’éducation dans la région qui fait que ses performances dans les différents niveaux éducatifs sont médiocres. Conséquence ? L’inexistence des compétences qui peuvent permettre un développement de cette zone. Tataouine ne décollera pas même si on devait y investir des centaines de millions de dinars tant qu’elle n’aura pas amélioré son score scolaire et ne sera pas imprégnée de la culture de l’excellence et de la valeur travail.

Et l’exemple de Tataouine pourrait être généralisé à l’ensemble du pays et même aux grands quartiers périphériques des capitales. Monsieur le CDG, vous et les gouvernements qui vous ont précédé, réduisez les crises socioéconomiques des régions à un simple pourvoiement d’emplois. Il faut des révolutions culturelles dans les régions et un Etat qui ait le courage de mettre le doigt sur les plaies et d’y remédier par l’amélioration des structures scolaires, par la culture, par les centres de loisirs et un minimum de commodités pour un meilleur mieux-être et une meilleure qualité de vie.

Et ce n’est certainement pas en négociant avec des bandits que le pays sera sauvé. Comment garantir, dans ce cas, que nous n’aurons pas d’autres bandits qui couperont eau ou électricité parce qu’ils ont des revendications sociales ?

« Nous sommes en guerre » Monsieur le CDG et pas seulement contre la pandémie mais aussi contre tous ceux qui détruisent l’économie nationale, et à ce propos, nous n’avons pas relevé de votre part de messages rassurants en direction des créateurs de richesses nationaux qui sont diabolisés depuis 10 ans.

La confiance, c’est aussi un Etat garant de la justice et du respect des droits de tous et vous ne vous êtes pas exprimé à ce propos ! Quelles garanties, outre la simplification des procédures, offrez-vous aux opérateurs nationaux, vous et votre gouvernement ? Quelles incitations ? Quelle protection en tant qu’Etat comptez-vous leur procurer, eux qui sont devenus les otages des partis politiques qui n’ont cessé de les racketter depuis 2011 ?

Il est vrai que vous avez promis le remboursement des dettes publiques des entreprises à hauteur de 4 milliards de dinars à débloquer dans le budget de 2021. Mais nous aurions voulu vous entendre lancer des messages  plus rassurants aux créateurs de richesses devenus frileux et trop peureux pour investir. Nous nous sommes attendus à ce que vous vous engagez sérieusement à lutter contre le crime et la délinquance en annonçant de nouvelles mesures car le peuple tunisien vit dans l’insécurité.

La relance de l’économie et la sécurité des citoyens sont des urgences qui ont besoin de réponses et des mesures concrètes et pas des à-peu-près.

L’une des plus célèbres citations de Churchill s’adressant à son peuple a été : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ». Et il sauva la Grande-Bretagne lors de la Deuxième Guerre mondiale.

Amel Belhadj Ali