Les décideurs (politiciens et responsables administratifs) sont à l’origine des défaillances enregistrées au niveau des infrastructures ou des mégaprojets, car ils n’impliquent pas les ingénieurs. C’est ce qu’estime Kamel Sahnoun, le doyen des ingénieurs tunisiens et président de l’Ordre des ingénieurs tunisiens (OIT), dans une interview accordée à l’Agence TAP.

“Les projets réalisés ne répondent pas aux normes internationales dans le domaine, en plus de l’absence de leur entretien périodique et le manque des financements nécessaires”, explique Sahnoun.

En outre, il attire l’attention sur le fait que ce sont les grandes entreprises qui remportent la plupart des marchés publics, car les conditions d’appels d’offres ne permettent aux PME d’y participer.

“Nous avons demandé aux décideurs à maintes reprises d’impliquer les entreprises tunisiennes et les bureaux d’études dans les mégaprojets nationaux…”, regrette Sahnoun qui ajoute que l’objectif recherché est de permettre aux petites entreprises tunisiennes d’acquérir de l’expérience et de hisser leur niveau de connaissances.

Par ailleurs, il rappellera que l’OIT rejette la formule “clé en main” dans l’appel d’offres relatif à l’extension de l’Aéroport international de Tunis-Carthage. Les conditions très excessives mises en place ne font que renforcer la domination des grandes entreprises étrangères d’ingénierie au détriment des compétences nationales, se lamente Sahnoun.

Le schéma de développement actuel favorise le chômage des ingénieurs

Evoquant la situation du secteur, il a fait savoir que le schéma de développement adopté a impacté la situation des ingénieurs dont le taux de chômage a pris une courbe ascendante.

Sahnoun appelle à l’adoption d’un schéma de développement basé sur l’agriculture, les nouvelles technologies et les industries à haute valeur ajoutée, tout en s’appuyant sur les compétences nationales avec une répartition équitable du développement entre les régions.

Il recommande de faire face à l’économie de rente et d’harmoniser l’éducation et la formation qui devraient répondre aux besoins du pays, indiquant que 10 000 ingénieurs se trouvent au chômage. “L’OIT compte près de 80 000 ingénieurs, dont 70% sont âgés de moins de 40 ans”, avance-t-il.

Sahnoun souligne l’importance de ce secteur, l’associé de tous les autres domaines, sans pourtant nier le taux faible d’encadrement par rapport à d’autres pays étrangers, puisqu’il ne dépasse pas 1,2% de la main-d’œuvre active, alors que ce taux est de 2,3%, en France par exemple.

Ceci dit, Kamel Sahnoun assure que l’Ordre préconise l’amélioration de la qualité de formation des étudiants-ingénieurs pour la hisser au niveau international, vu que le nombre d’ingénieurs diplômés est de 8 000 par an issus de 58 écoles d’ingénieurs (30 publiques et 28 privées) pour 96 spécialités.

2 500 ingénieurs émigrent chaque année

Selon Sahnoun, la détérioration des conditions financières pousse les ingénieurs tunisiens à émigrer; ils seraient environ 2 500 ingénieurs tunisiens à partir chaque année s’installer à l’étranger.

Une étude réalisée par l’OIT en 2019, sur les ingénieurs qui n’ont pas bénéficié d’une augmentation salariale, a révélé la faiblesse des salaires des ingénieurs, même de ceux travaillant dans des établissements publics, par rapport aux autres secteurs, soit l’une des causes de la grève des ingénieurs programmée pour fin octobre.

L’ingénierie est le seul corps à ne pas avoir bénéficié d’augmentations salariales spécifiques à l’exception de l’augmentation régulière dont bénéficient tous les salariés des autres secteurs…

Les trois grands projets de l’OIT

Sahnoun a fait savoir que l’OIT se penche actuellement sur trois projets majeurs: l’amélioration de la situation financière et morale des ingénieurs, le développement de la formation en ingénierie et l’élaboration d’un nouveau statut du corps des ingénieurs.

L’objectif est de permettre à l’ingénieur de devenir plus actif dans le pays, faisant savoir que le projet sera soumis dans les jours à venir à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour adoption.

Pour ce qui est de la formation, il a précisé que l’Ordre veille au suivi du respect du cahier des charges du secteur par les écoles d’ingénieurs privées.