Disposant d’un “trésor de guerre“ conséquent, le Fonds de garantie des dépôts bancaires (FGDB) apporte une double protection à la place. Il peut intervenir, en renfort, pour parer à un éventuel défaut d’une banque. Tout comme il peut indemniser ses déposants. Cela se déterminera par un test de “moindre coût“ à l’appréciation du conseil de surveillance du Fonds, garant de la transparence du Fonds et gardien de sa bonne gouvernance. Cela est de nature à renforcer le contrat de confiance entre les banques et les déposants. Et donnera davantage de sécurité au système bancaire.

Détails avec Jaafar Khatteche, le directeur général du DG du FGDB.

WMC : La décision de promotion du Fonds date de 2016 et sa création est récente. Qu’est-ce qui explique ce décalage ?

Jaafar Khatteche : Je dois rappeler que le Fonds de garantie des dépôts bancaires constitue l’un des principaux apports de la nouvelle loi bancaire N°48 promulguée en juillet 2016. Je préciserais que ce fonds est institué par son article 149. Cependant, sa création et le démarrage effectif de son activité restent tributaires de la promulgation des décrets gouvernementaux d’application. Ces derniers fixent ses règles d’intervention, d’organisation et de fonctionnement, de même que les conditions d’adhésion et d’indemnisation des déposants.

Il y va de même pour la nomination de son directeur général et les membres de son comité de surveillance.

Lesdits décrets ont été publiés respectivement en octobre 2017 et décembre 2017, et la première réunion constitutive de son comité de surveillance s’est tenue en janvier 2018.

Le Fonds a été promu dans le cadre de la réforme du système bancaire. Comment présenter la vision autant que l’esprit qui a présidé à sa création ?

Le Fonds de garantie est un vecteur essentiel de la stabilité du système financier. Et cela tient à sa mission principale d’indemnisation des déposants en cas de défaut ainsi qu’à sa contribution au financement d’un éventuel plan de résolution d’une banque en situation compromise. Cela peut se faire soit sous la forme de concours remboursables garantis par l’Etat ou sous la forme d’une prise de participation dans le capital de l’institution en question.

En fait, la nouvelle loi vise l’instauration d’un filet de sécurité en vue d’empêcher l’effet systémique d’une banque en difficulté en procédant à une indemnisation rapide des déposants.

Vous avez soutenu que dans la région d’autres pays nous ont précédés. Cependant, vous avez de suite adhéré au Fonds mondial de garantie. Prendriez-vous l’initiative de la création d’une (éventuelle) “Union maghrébine des fonds de garantie“ ?

Le système de garantie des dépôts bancaires a été institué presque partout dans le monde ; la Tunisie se trouve en retard, y compris par rapport aux pays arabes et maghrébins. Je rappelle que nous avons adhéré à l’Association internationale (International Association of Deposit Insurers (IADI)), créée en 2002 par l’ensemble des Fonds en exercice, est reconnue comme l’organisation de référence auprès de laquelle les normes internationales en la matière sont discutées et établies, permettant en définitive de promouvoir un système financier efficace et stable et de gérer les interventions sur les entités bancaires en situation de crise.

Ceci étant, maintenant que nous avons installé les structures administratives et opérationnelles de notre Fonds de garantie de dépôts bancaires, nous avons décidé d’adhérer à cette instance internationale de référence et à l’instar du groupe MENA qui est déjà opérationnel au sein de l’IADI, nous avons entamé une réflexion et contacté certains de nos confrères maghrébins pour fonder une association maghrébine en la matière.

Vos actionnaires sont différents de vos contributeurs. Que sera le profil de vos rentrées ? Le gouverneur de la BCT a évoqué un objectif optimal de 2 à 2,5 milliards de dinars. Sur quelle période vous pensez l’atteindre ?

Le capital social du Fonds de garantie est de 5 millions de dinars totalement libéré, et souscrit à parts égales par l’Etat tunisien et la Banque centrale de Tunisie.

Pour leur part, les recettes du fonds proviennent des cotisations annuelles des banques adhérentes et des revenus de placements des ressources.

Les cotisations sont fixées à 0,3% de l’encours des dépôts de chaque banque. En 2020, ils totaliseront environ 200 millions de dinars (TTC) et évolueront, à l’avenir, en fonction de l’évolution de l’encours de dépôts des banques.

L’objectif optimal des ressources de 2 à 2,5 milliards de dinars avancé par le gouverneur de la BCT nécessite une période minimale de 15 ans en tenant compte du régime fiscal appliqué actuellement au fonds. Cependant, conformément aux dispositions de l’article 25 du décret gouvernemental 2017-268, le Fonds de garantie des dépôts bancaires est tenu de constituer un niveau des ressources permanentes destiné à atteindre ses objectifs qui ne doit pas être inférieur à 3% du total des dépôts des banques adhérentes.

Sauver les banques ou dédommager les clients, n’est-ce pas un deal d’assureur ? Comment agirez-vous au concret ?

Nous offrons, à l’instar des compagnies d’assurance, un service de garantie qui ressemble aux polices d’assurance. Toutefois, le Fonds de garantie peut intervenir dans le cadre du plan de résolution pour redresser la banque en situation compromise et éviter le processus d’indemnisation.

La garantie du FGDB n’est d’autre part pas souscrite par les déposants directement, elle est offerte par les banques à leurs déposants à titre gratuit et automatique et ne nécessite aucune demande de la part des déposants pour en bénéficier.

Sécuriser les banques et protéger les déposants, vous faites “coup double“. Si vous aidez à un reflux des dépôts vers les banques, n’est-ce pas que cela participera à augmenter vos rentrées ?

Certes, la mission du FGDB vise à conforter le contrat de confiance entre les banques et leurs déposants, ce qui est de nature à avoir un effet positif sur l’évolution de l’encours des dépôts bancaires, néanmoins toute évolution positive de l’encours des dépôts bancaires va être suivie d’une évolution conséquente des ressources du FGDB lui permettant d’atteindre une taille optimale. D’une certaine façon, le Fonds ne serait que mieux loti pour faire face à ses obligations.

Le gouverneur de la BCT soutient que vous parachevez le dispositif de sécurisation du système bancaire. D’une certaine façon, vous venez compléter la mission de supervision de la BCT ?

La création du FGDB vient compléter le dispositif d’instauration d’un filet de sécurité en vue d’empêcher l’effet systémique pour mieux sécuriser le système bancaire en particulier et le système financier en général. Notre mission est indépendante de celle assurée par la direction de la supervision bancaire à la Banque centrale de Tunisie. Cette indépendance n’exclut pas la collaboration des deux institutions en vue de mener de concert des études et des stress tests pour évaluer la solidité financière des banques de la place.

Dans ce cadre, le FGDB a signé une convention de coopération avec la Banque centrale de Tunisie en vue d’assurer l’échange périodique d’informations et de données, notamment celles relatives à la situation financière des banques et, suite à cette mesure, la BCT est engagée conformément à l’article 165 de la loi bancaire à faciliter au FGDB la collecte de tous les renseignements nécessaires à l’atteinte de ses objectifs.

Grace au FGDB, le système bancaire devient auto-immunisé. Pensez-vous que les agences de notation prendront en ligne de compte cet acquis ?

Le FGDB a été mis en place en vertu des dispositions de la loi bancaire et du décret gouvernemental portant fixation de ses règles d’intervention et le législateur tunisien a tenu compte, en élaborant son cadre juridique, des normes et publications internationales telles que l’IADI, le Financial Stability Board (FSB), la Banque des Règlements Internationaux (BRI).

Par ailleurs, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) ont adopté les principes essentiels de l’IADI dans tous les examens de pays et les missions périodiques d’évaluation de leur système financier (FSAP) afin d’évaluer l’efficacité du système de garantie des dépôts ; et il va sans dire que les agences de notation internationales prennent en considération les évaluations précités pour arrêter la notation souveraine de la Tunisie.

Vous mettez en avant le rôle du Conseil de surveillance du Fonds. Que sera la portée de sa mission ?

La gestion au niveau du Fonds de garantie des dépôts bancaires est supervisée par un Comité de surveillance composé de cinq membres nommés par décret gouvernemental pour un mandat de trois ans renouvelable une seule fois. Le Conseil se compose de deux membres représentant chaque actionnaire, ainsi que de deux membres indépendants des deux actionnaires, et d’un membre en sa qualité de juge de troisième grade. Le président du Conseil est choisi parmi les deux membres indépendants.

Ce comité dispose d’un pouvoir étendu. Il est chargé notamment :

  • d’arrêter les politiques et les stratégies du Fonds et de superviser leur application notamment en matière de placement des ressources selon des règles qui garantissent leur sécurité,
  • de mettre en place des procédures de recouvrement des cotisations des banques,
  • d’approuver les états financiers du fonds et son rapport annuel,
  • de déterminer les procédures d’indemnisation des déposants,
  • de déterminer et d’approuver les besoins du fonds en ressources additionnelles et les moyens de leur mobilisation,
  • d’approuver le budget prévisionnel annuel du fonds et de suivre sa réalisation,
  • d’approuver l’organigramme du fonds, le statut de son personnel et leur régime de rémunération,
  • d’approuver les contrats et les conventions de coopération,
  • de superviser la gestion administrative et financière du fonds,
  • d’approuver et de suivre la politique d’intervention du fonds dans le plan de résolution.

Vous disposerez d’un trésor de guerre conséquent. Comment l’affecterez-vous ? Vos actionnaires vous dicteront-ils vos “emplois“ ?

Le FGDB est appelé à constituer des réserves suffisantes lui permettant de faire face aux éventuelles interventions. Les réserves du Fonds sont investies selon des règles garantissant leur sécurité, leur liquidité et selon une politique et des procédures approuvées préalablement par le comité de surveillance.

A titre indicatif, les réserves du FGDB arrêtés au 30 juin 2020 ont atteint un montant de 300 millions de dinars investis en totalité en pension livrée adossés à des bons du Trésor tunisien pour une maturité ne dépassant pas 9 mois.

Par son intervention sur le marché secondaire, le FGDB offre des alternatives de refinancement pour les banques qui détiennent des titres de l’Etat.

Vous avez soutenu que vous avez une capacité d’emprunt et qu’un premier partenariat serait en marche avec la coopération allemande (GIZ ou KFW). Comment cela fonctionne-t-il ? Et à quelle fin ?

Dans le cadre de l’exercice de sa mission le FGDB est autorisé conformément à l’article 149 de la loi bancaire 2016-48 à mobiliser des ressources d’emprunt ; plusieurs bailleurs de fonds ont déjà exprimé leur disposition pour un éventuel financement.

Par ailleurs, l’intervention de KfW s’inscrit dans le cadre du programme d’appui budgétaire affecté à la réforme du secteur financier. Je rappelle qu’une enveloppe de 2 millions d’euros est allouée au FGDB sous forme d’une assistance technique ayant pour objectif la protection des déposants et l’amélioration de la confiance dans le secteur bancaire.

Afin de sensibiliser le Grand public, les banques ne devraient elles pas faire la promotion du Fonds auprès de leur clientèle ? Cela servirait vos intérêts communs, d’une certaine façon ?

Tout à fait, le service de garantie des dépôts est souscrit par les banques et offert aux clients automatiquement et gratuitement. De ce fait, les banques adhérentes peuvent capitaliser sur cet axe dans leur stratégie marketing et leur plan de communication, et ce en addition aux obligations règlementaires qui exigent de :

  • Publier un certificat délivré par le fonds de garantie des dépôts bancaires destiné au public justifiant leur adhésion au système de garantie des dépôts bancaires à l’entrée de leur siège social et dans les agences et succursales, ce qui est déjà fait.
  • Mentionner sur les relevés de comptes et la convention de gestion des comptes de dépôts, l’inclusion du compte en question au champ d’indemnisation et le plafond d’indemnisation pour les comptes individuels et conjoints, ce qui est déjà fait.
  • Informer leurs déposants de leur adhésion au fonds de garantie des dépôts bancaires sur son site web, ce qui est déjà fait.

Pour cela, nous avons organisé, le 6 août dernier au siège social du Fonds, une réception en l’honneur de nos adhérents et sous l’égide de M. Marouane Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, et dont l’un des objectifs était la sensibilisation des dirigeants des nos banques adhérentes pour promouvoir davantage l’apport du Fonds auprès de leur clientèle.

Si le Fonds existait, qu’aurait-il pu apporter dans le cas de la BFT ?

La BFT est une banque adhérente au FGDB, et elle bénéficie de la garantie des dépôts qu’elle a souscrits au profit de ses déposants ; jusque-là cette banque est soumise à la procédure de résolution, et l’intervention du FGDB n’est possible qu’après validation de son plan de résolution par les instances compétentes dont nous faisons partie. A ce stade, il est important de rassurer les déposants par le fait que nous sommes garants de leurs dépôts.

Si le Fonds existait aurait-il contribué à la restructuration des banques publiques ? De ce point de vue, et par mesure de précaution, ne faut-il pas un administrateur/observateur, représentant le Fonds dans les conseils des banques ?

Tout d’abord, je tiens à rappeler que l’intervention du FGDB n’est possible que dans le cadre d’un plan de résolution et sur décision de la BCT. La mission du Fonds en ce qui concerne la restructuration des banques ne peut concerner que les banques en résolution.

Elle est d’ailleurs conditionnée par une décision exceptionnelle du comité de surveillance et par un test de « moindre coût » consistant en un arbitrage entre le coût de l’indemnisation et celui du mécanisme d’intervention retenu.

Par ailleurs, le Fonds ne peut être en aucune manière être représenté dans les instances de gouvernance des banques adhérentes, il ne peut d’ailleurs même pas prendre directement le risque de leur contrepartie.

Le principe de précaution est respecté en amont par l’analyse prédictive de la situation financière des banques et les stress tests que le Fonds est dans l’obligation règlementaire de mener périodiquement.

Propos recueillis par Ali Abdessalam