Pour améliorer le contrôle fiscal, l’actuel ministre des Finances, Nizar Yaïche, a annoncé, dans une selfy-interview, le recrutement incessant de 500 agents supplémentaires. Ces derniers ne seront pas de nouveaux recrutés mais d’anciens agents de la fonction publique réaffectés au département du contrôle fiscal dans le cadre du redéploiement des fonctionnaires.

Abou SARRA

Avant d’être opérationnels et envoyés sur le terrain, ces agents bénéficieront d’une formation de trois à cinq mois, dans les domaines de l’audit, du contrôle et du recouvrement.

Plusieurs autres ministères, entre autres Commerce et Affaires locales, peuvent s’en s’inspirer pour remédier à leurs besoins en nouvelles recrues.

Il s’agit d’une solution pragmatique aux fins de pallier au manque d’effectifs signalé dans certaines activités clefs d’autant plus que, depuis cinq ans, le recrutement dans la fonction publique et le remplacement des retraités sont suspendus.

Est-il besoin de rappeler que la fonction publique est souvent sévèrement critiquée à l’intérieur comme à l’extérieur du pays pour son effectif pléthorique qui compte plus de 650 000 fonctionnaires. Sur ce total, « 130 000 agents salariés n’accomplissent aucune tâche claire », selon Abid Briki, ancien éphémère ministre de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption dans le premier gouvernement de Youssef Chahed (27 août 2016 – 2 mars 2017).

Pour l’histoire, Abid Briki fut le premier à lancer ce projet de redéploiement du sureffectif du secteur public. Il en avait même fixé les objectifs stratégiques sur la base d’une étude cohérente des besoins de la fonction publique en personnel.

L’idée principale était de cibler en priorité les niches qui doivent rapporter de l’argent à l’Etat, favoriser la collecte des recettes fiscales et dissuader toutes sortes d’abus économiques et sécuritaires générant des surcoûts pour les finances publiques.

Ces dernières seraient, à titre indicatif, les forces de sécurité (armée, police et garde nationale), les prestations publiques rémunérées, le contrôle économique, le recouvrement de l’impôt, la rationalisation de la subvention, l’enseignement préscolaire et primaire…

Une niche mérite qu’on s’y attarde particulièrement en raison de son impact immédiat sur les finances publiques.

Axer sur le recouvrement fiscal et le contrôle économique

Il s’agit des prestataires publics tels que les municipalités, la poste, les recettes fiscales et les centres de visite technique, à titre indicatif, qui doivent être retenues logiquement comme des activités prioritaires devant bénéficier de ce mouvement de réaffectation. Le but est de collecter, à travers la multiplication des guichets et de la décentralisation- déconcentration, le maximum de recettes pour le budget de l’Etat.

Une chose est sûre : il y a de l’argent à prendre légalement et ce d’autant plus que les citoyens sont disposés à payer des prestations plus chères pour peu qu’ils soient bien servis et ne fassent pas trop la queue.

Le recouvrement de l’impôt et le contrôle économique sont également des activités prioritaires dans la mesure où elles visent, respectivement, à lutter contre l’évasion fiscale, la contrebande et la contrefaçon, des activités qui coûtent des manques à gagner pour le budget de l’Etat estimés à des milliards de dinars (2 milliards de dinars pour la seule contrebande). Les 600 contrôleurs économiques pour tout le pays ne peuvent pas identifier tous les réfractaires au fisc et de les dénoncer, s’agissant notamment des personnes qui opèrent dans l’informel.

Au rayon du commerce, l’insuffisance des moyens matériels et humains dont dispose l’administration n’encourage pas à réduire le nombre des intermédiaires qui assurent, en fraude du fisc, la distribution de 60% des produits agricoles du pays et le détournement à d’autres fins plus lucratives les produits compensés (farine, huile végétale, fourrage…). Selon l’Institut national de la statistique et l’Organisation de défense du consommateur (ODC), la compensation ne bénéficie qu’à 12% des populations ciblées (les démunis) tandis que le reste (88%) profite à d’autres communautés plus nanties (hôteliers, industriels, pâtissiers…).

En matière de recouvrement fiscal et de lutte contre l’évasion fiscale, un manque à gagner de 25 milliards de dinars pour l’Etat, selon Fayçal Derbal, ancien ministre. Les fonctionnaires réaffectés auront à pousser deux communautés à payer leurs impôts.

D’après une étude de l’Association des économistes tunisiens (ASECTU), il y a deux populations qui ne déclarent pas leurs revenus au fisc. Il y a tout d’abord “la population potentielle hors champ fiscal”.

A ce propos, l’étude révèle que le tiers de la population active occupée ou employée (32%) exerce dans l’informalité. Cette population, note le document, n’est pas identifié par l’administration fiscale et échappe donc aux services de l’impôt.

Autre révélation : sur les 2,461 millions d’emplois salariés, plus du cinquième (508 000) occupe un emploi dans des activités informelles ou sont dans une situation ou forme d’informalité.

Vient ensuite la seconde population que le rapport dénomme “la population en défaut”. Le document estime que la moitié des contribuables répertoriés sont en défaut.

En chiffres, sur 734 000 contribuables répertoriés, 365 000 sont en défaut dont 302 000 personnes physiques et 63 000 sociétés.

Conséquence : l’Etat a beaucoup d’argent à collecter s’il parvient à renforcer l’effectif des contrôleurs de fisc et ceux affectés au contrôle économique.

Mieux, la réaffectation d’un lot de ces rebuts de la fonction publique à ces activités ne manquera pas d’accélérer l’intégration des opérateurs informels dans les circuits organisés et son corollaire la collecte de recettes fiscales devant renflouer les finances publiques.

Généraliser le redéploiement à tous les secteurs

En dépit de la haute qualité de ce projet, Abid Briki, son initiateur, n’avait pas eu le temps matériel requis pour le mener à terme –puisqu’il a été limogé au bout de 6 mois.

Le dossier du redéploiement des rebuts de la fonction publique devait être repris ensuite par Taoufik Rajhi, ministre chargé des Grandes réformes. Mais aucune réalisation notoire n’a été signalée durant le mandat de ce dernier (plus de trois ans).

De nos jours, le projet refait surface avec le dynamique ministre des Finances. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Car nous percevons, à l’horizon, que le problème du sureffectif de la fonction publique et de sa lourde masse salariale qui dissuade tout investissement public, peut se transformer, par le redéploiement bien étudié en une niche génératrice de ressources financières supplémentaires pour les Caisses de l’Etat.